Yellow Korner veut rendre la photo d’art accessible à tous

La Hune. L'ancienne librairie-galerie mythique de Saint-Germain-des-Prés, à Paris, est devenue la vitrine chic de Yellow Korner. © Yellow Korner

Dix ans après son lancement, l’enseigne proposant des photographies artistiques à prix accessible continue son expansion. Son réseau qui compte 80 boutiques dans le monde, dont six en Belgique, parie sur l’internationalisation et l’outil digital pour accroître son développement.

Un prêtre en soutane embrassant sur les lèvres une nonne sur un fond immaculé, cela vous dit quelque chose ? Cette image, réalisée par Oliviero Toscani en 1992 pour une campagne publicitaire de Benetton, fait partie de la mémoire collective. Elle fait aussi partie des 2.000 clichés du catalogue de Yellow Korner dont le réseau compte 80 boutiques dans le monde, dont six en Belgique. Avec un chiffre d’affaires de 30 millions d’euros, l’enseigne française est devenue en 10 ans le leader mondial de l’édition de la photographie artistique à petit prix. D’ici cinq ans, 200 nouveaux points de vente devraient voir le jour, en Italie mais aussi aux Etats-Unis et en Asie.

En proposant à un tarif compétitif des tirages tous azimuts – mode, architecture, nus, portraits de célébrités, portraits animaliers, paysages exotiques, etc. -, Yellow Korner séduit une large clientèle. Huit millions et demi de visiteurs poussent chaque année la porte de ses magasins quelque part en Asie, aux Etats-Unis ou en Europe. Seul l’allemand Lumas, qui possède un maillage d’une quarantaine de magasins et une offre sensiblement proche, se pose en rival, sans toutefois égaler la force de frappe du numéro un. ” Nous avons peu de concurrents car c’est un métier de passionnés “, avance Alexandre de Metz, 37 ans, cofondateur de la marque avec Paul-Antoine Briat, 35 ans, dirigeants de la holding YKF et actionnaires de référence. ” On a commencé en 2006 par s’implanter dans les magasins Fnac, avec la volonté que les gens s’achètent une photo d’auteur comme on s’achète un livre ou un CD. ”

Alexandre de Metz, cofondateur de Yellow Korner
Alexandre de Metz, cofondateur de Yellow Korner© YELLOW KORNER

Une idée qui séduit alors plusieurs business angels, rapidement suivis par plusieurs fonds d’investissement (360° Capital Partners, A Plus finance, UFG-Siparex Audacia) qui permettent aux fondateurs de sortir progressivement du réseau de la Fnac et de lancer leur propre chaîne de magasins grâce à l’apport de plusieurs millions d’euros. Le dernier tour en date, fin 2014, a permis de récolter, selon Les Echos, pas moins de 15 millions d’euros auprès de la société de gestion Latour Capital.

Le modèle Taschen

Yellow Korner, qui revendique un taux de croissance de 25 % par an et des ventes qui proviennent pour moitié hors de France, est un concept international s’adressant en priorité au grand public. ” Dès l’origine, notre référence a été les éditions Taschen qui ont démocratisé le beau livre, détaille Alexandre de Metz. On a voulu rendre la photo d’art accessible aux néophytes qui peuvent être intimidés par les foires d’art contemporain ou les galeries traditionnelles. Nous nous adressons aux gens qui n’ont pas forcément les moyens de mettre 5.000, 10.000 ou 15.000 euros dans un cliché. ” On est loin effectivement des tarifs de la franchise française dont les prix se situent entre 80 et 650 euros en moyenne par image, en fonction du format. Pour atteindre de tels tarifs, la firme s’éloigne radicalement des pratiques des galeristes qui s’appuient sur la définition légale d’oeuvre d’art, qui fixe la limite des tirages à 30 exemplaires numérotés, signés et réalisés sous la supervision des photographes. Avec des tirages non signés, reproduits en très grand nombre, jusqu’à 5.000 exemplaires, Yellow Korner ne joue pas dans la même catégorie.

“On nous reproche parfois d’être un magasin de posters, mais c’est oublier qu’on se bat pour nos auteurs.” Alexandre de Metz, cofondateur de Yellow Korner

Ses espaces de vente développés par l’architecte Gérard Barrau, spécialiste de la distribution (Sephora, Nature & Découvertes) parlent d’eux-mêmes. ” A l’inverse des galeries lambda qui sont toujours blanches, la couleur dominante chez nous est le noir. On veut créer des endroits accueillants où les visiteurs se sentent bien, avec une musique d’ambiance et des photographies en libre service que vous pouvez prendre en main. ” Mais en classant son catalogue maison par thématiques, par ambiances, voire par coloris, Yellow Korner est souvent accusé de reléguer l’art photographique au rang d’objet purement décoratif. ” On nous reproche parfois d’être un magasin de posters, mais c’est oublier qu’on se bat pour nos auteurs, se défend le cofondateur. Nous mettons en avant leur travail par le biais d’événements ou de publications. Nous choisissons les nouveaux venus de manière proactive selon des critères très exigeants. ” Très courtisée, l’enseigne reçoit près de 100 demandes spontanées de collaborations photographiques par jour. Elle retient moins de 10 nouvelles signatures par an, lesquelles touchent un pourcentage sur les ventes ” similaire à celui qui se pratique dans l’édition musicale pour les artistes ou le secteur du livre pour les auteurs “, avance Alexandre de Metz, sans autre précision. Ce qui voudrait dire environ 8 %.

Afin de compresser les coûts de fabrication, la firme a internalisé en 2014 son outil de production en créant à Munich la société Zeinberg, filiale à 100 % de Yellow Korner, qui chapeaute un laboratoire photographique basé à Cracovie d’où partent tous les tirages à destination des magasins du monde entier. Zeinberg propose également sur Internet un service d’impression grand public orienté premium, où tout un chacun peut immortaliser ses photos de vacances en grand format dans l’esprit d’un laboratoire professionnel. Une activité parallèle au core business de la marque mais que les nouveaux venus, Christian Autié, directeur général venu de chez Marionnaud et Frédéric Ennabli, ancien CEO de Body Shop, nommés tous deux en 2014, entendent bien développer.

Après le laboratoire de Cracovie, la mise sur pied d’autres unités de production, sans doute aux Etats-Unis et en Asie, devraient être mis en place d’ici deux ans. Une autre priorité des managers est l’augmentation des ventes directes par Internet du catalogue de Yellow Korner dont 15 % des transactions passent seulement aujourd’hui par la toile. Une refonte du site Yellow Korner actuellement en cours devrait tirer les chiffres vers le haut selon Alexandre de Metz.

Saint-Germain-des-Prés

La volonté de ” constituer un portefeuille d’activités complémentaires “, selon les mots de Frédéric Ennabli, passe aussi par La Hune, une ancienne librairie-galerie mythique de Saint-Germain-des-Prés, à Paris, qui a été rachetée en 2015, nom compris, par le groupe pour 1,3 million d’euros. Ce haut lieu de la culture littéraire d’après-guerre est devenu la vitrine chic de Yellow Korner qui y vend des tirages numérotés et signés de grandes pointures tels que Elliott Erwitt à des tarifs qui, pour le coup, n’ont plus rien à envier aux galeries d’art. C’est dans cet écrin que sont organisés les événements ” haut de gamme ” de la marque, comme le récent lancement d’un livre consacré au styliste Jean-Charles de Castelbajac, édité par Yellow Korner éditions et Te Neus. Une initiative qui ressemble à s’y méprendre à une volonté d’upgrader l’image de marque de ” la photographie d’art pour tous “.

Par Antoine Moreno.

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