Xavier Vanneste (Brasserie De Halve Maan) : “Un moment, j’ai cru qu’on allait faire faillite”
Plus de 1,7 million de visiteurs, avec des pics atteignant 80 000 visiteurs par jour. La période des fêtes de fin d’année a été exceptionnellement animée à Bruges. « Quand l’horeca brugeoise fonctionne bien, nous en profitons aussi », déclare Xavier Vanneste, le PDG de la brasserie brugeoise De Halve Maan. Cela représente un véritable coup de pouce pour l’entreprise, qui a traversé des années difficiles.
Pendant plusieurs jours, du matin au soir, la ville de Bruges a été bondée, notamment grâce à des événements comme De Warmste Week et Wintergloed. La brasserie locale De Halve Maan travaille avec de nombreux partenaires de l’horeca dans la ville, qui vendent ses bières – Brugse Zot, Sportzot, Straffe Hendrik et Brugs Tarwebier. « Quand l’horeca brugeoise fonctionne bien, nous en profitons aussi », explique Xavier Vanneste.
Le centre des visiteurs de la brasserie est devenu une attraction touristique dans le centre historique. « Nous accueillons chaque année plus de 100 000 visiteurs », affirme Vanneste. « C’est plus que certains musées de la ville. Je pense que nous sommes probablement la brasserie la plus visitée du pays. Cela, nous le devons évidemment à notre emplacement, mais aussi à notre histoire. Nous voulons rester une entreprise familiale qui produit des produits de qualité tout en grandissant de manière économique et écologique durable. »
Il y a quelques années, De Halve Maan a attiré l’attention internationale lorsque Vanneste a décidé de construire une canalisation souterraine de bière de 3,3 kilomètres entre la brasserie du centre-ville et une unité d’embouteillage en périphérie. Ce projet a été financé via du crowdfunding. Par la suite, des investissements ont été réalisés dans une nouvelle unité d’embouteillage, des panneaux solaires et une station d’épuration d’eau, pour un montant total de 30 millions d’euros. Mais, en mars 2020, au cœur de ce programme d’investissement, la crise du coronavirus a éclaté, et le pays est entré en confinement.
Nous accueillons chaque année plus de 100 000 visiteurs. C’est plus que certains musées de la ville.
Avez-vous traversé des moments difficiles ?
Xavier Vanneste : « Nous avons connu quatre années compliquées, de 2020 à 2023. Tout d’abord, il y a eu la crise du coronavirus. Étant donné notre lien avec l’horeca brugeois, nous avons été plus durement touchés que d’autres brasseurs. Ensuite, il y a eu la guerre en Ukraine, la crise énergétique et l’inflation élevée, ce qui nous a confrontés à une hausse des coûts des matières premières, de l’énergie et du personnel. À ce moment-là, nous menions le plus gros programme d’investissement de l’histoire de notre entreprise, ce qui n’était pas évident. En conséquence, nous avons enregistré des pertes quatre années consécutives. »
N’avez-vous pas eu peur que les banques vous lâchent ?
Vanneste : « À un moment donné, notre taux d’endettement était très élevé. Nos dettes bancaires avaient considérablement augmenté pour financer les investissements. Et c’est justement à ce moment-là que le pays s’est arrêté et que notre EBITDA (flux de trésorerie opérationnel, ndlr) a été divisé par deux. J’ai pensé un court moment : sommes-nous en faillite ? Mais les banques sont restées calmes et ont conservé leur confiance. Nous avons toujours communiqué de manière proactive avec elles. Très rapidement, nous nous sommes dit : “La tempête arrive, nous devons nous réunir pour ajuster nos plans.” Nous avons utilisé toutes les lignes de crédit disponibles et contracté des crédits supplémentaires si nécessaire. En parallèle, nous avons eu recours à des financements alternatifs, comme le crowdlending et l’émission d’obligations. Pour les banquiers, c’était aussi un signal montrant que notre projet bénéficiait de suffisamment de soutien. »
Êtes-vous aujourd’hui en terrain plus stable ?
Vanneste : « Oui, nous sommes sortis de la zone de danger et de nouveau sur un chemin de croissance. En 2023, nous avons encore enregistré une perte, mais l’EBITDA avait déjà augmenté de 50 % et atteint un niveau acceptable. Une brasserie est une entreprise guidée par le CAPEX (dépenses d’investissement) et l’EBITDA : avec le flux de trésorerie opérationnel, vous devez payer tous les investissements. Il est encore trop tôt pour faire des déclarations sur 2024, mais l’EBITDA a encore progressé et nous devrions probablement clôturer l’exercice avec un bénéfice. »
La consommation de bière belge diminue, tant dans le pays qu’à l’exportation. Qu’en est-il pour vous ?
Vanneste : « En 2023, De Halve Maan a produit 65 000 hectolitres. Le chiffre d’affaires et la production augmentent, principalement grâce à notre bière sans alcool, Sportzot. Elle est devenue une référence sur le marché des bières spéciales sans alcool. Nous constatons également un intérêt croissant à l’international. Nous avons lancé la Sportzot aux États-Unis et en Chine, et cela fonctionne bien. Nos bières classiques comme Brugse Zot et Straffe Hendrik restent quasiment stables, ce qui n’est pas mauvais sur un marché en déclin. »
La montée en popularité des bières sans alcool ou à faible teneur en alcool est-elle une tendance internationale ?
Vanneste : « Pour nous, Sportzot est un produit d’avenir, mais il est difficile de généraliser. Je ne pense pas que la bière sans alcool connaîtra le même succès partout. Dans certains pays, elle aura plus de succès que dans d’autres. Le marché de la bière, comme celui des boissons en général, est très sensible aux tendances. Certaines catégories deviennent très populaires, puis l’intérêt diminue, avant de renaître quelques années plus tard. Par exemple, notre bière blanche a progressé de 10 % l’année dernière. Nos bières fortes comme Straffe Hendrik connaissent peu de croissance en Belgique, mais elles se développent bien en Chine, aux États-Unis et en Amérique latine. »
Les bières belges peuvent-elles encore conquérir les marchés internationaux ?
Vanneste : « Il y a dix ans, on pensait que les bières belges allaient s’imposer facilement sur les marchés internationaux. Mais je n’ai jamais cru à l’idée que les bières belges se vendent toutes seules. Certains brasseurs ont abordé l’exportation de manière trop opportuniste. Ils envoyaient un conteneur en disant : “Buvez-le.” Mais ils ne se demandaient pas si un deuxième ou troisième conteneur suivrait, alors que c’est la question la plus importante. Nous, nous avons toujours envoyé des personnes sur nos marchés d’exportation ou mis en place des structures locales. Si vous voulez créer un marché, il faut construire quelque chose de durable : développer une marque, établir des partenariats et fidéliser une clientèle. C’est un travail intensif.
Un autre grand changement, c’est qu’aujourd’hui, dans les pays où nous exportons, il y a aussi des bières artisanales locales. Pour vendre des bières belges aujourd’hui, il faut redoubler d’efforts et offrir de la qualité. »
Je m’attends à une nouvelle vague de consolidation dans le bas du marché.
Les brasseries belges sont-elles un secteur en crise ?
Vanneste : « Non, dire cela serait exagéré. Il y a encore de nombreuses entreprises solides et performantes. Mais après 15 ans de croissance effrénée, on assiste à un tri naturel. Ce n’est pas forcément une mauvaise chose. Beaucoup de petites brasseries sont apparues. Souvent, il s’agissait des initiatives d’amateurs et souvent d’une qualité moindre. Maintenant, certaines de ces entreprises disparaissent ou cessent leurs activités.
Souvent, ce sont des brasseries qui n’étaient pas encore rentables avant 2020 et qui n’avaient pas de réserves pour traverser des périodes difficiles comme la crise du COVID-19, la crise énergétique et l’inflation. Le marché se rationalise : ce qui n’est pas viable disparaît.
Une brasserie a-t-elle besoin d’une taille critique pour être durable ?
Vanneste : « Oui, je le pense. Pour devenir une entreprise durable et atteindre un certain niveau de qualité, une brasserie doit avoir une production annuelle importante, en milliers d’hectolitres. C’est nécessaire pour financer les investissements et attirer les bonnes personnes. C’est pourquoi je m’attends à une nouvelle vague de consolidation dans le bas du marché. Beaucoup de petites brasseries cherchent un repreneur ou un investisseur, mais souvent elles n’en trouvent pas, ce qui les force à arrêter leurs activités. »
Quels sont les objectifs de De Halve Maan pour les prochaines années ?
Vanneste : « Nos principaux investissements sont derrière nous. Maintenant, nous voulons croître de manière prudente, à la fois en Belgique et à l’international. Cette croissance mesurée doit nous permettre de renforcer notre structure et de recruter des personnes qualifiées. L’accent est mis sur une croissance durable, qui crée quelque chose de précieux.
Je ne crois pas aux histoires du type “The sky is the limit (“le ciel est la limite”) ou “les arbres montent jusqu’au ciel”. Nous sommes une brasserie familiale de taille moyenne et voulons le rester. Et nous voulons être fiers des bières que nous produisons. »
Brasserie De Halve Maan : quelques faits marquants
• La brasserie produit de la bière depuis cinq siècles sur le site du Walplein, dans le centre historique de Bruges.
• Au milieu du XIXe siècle, la famille Maes devient propriétaire de la brasserie.
• En 2005, Xavier Vanneste, le fils de Véronique Maes, prend la direction de la brasserie en tant que sixième génération. Il rénove la vieille brasserie et lance une nouvelle marque de bière : Brugse Zot.
• En 2016, la brasserie installe un pipeline souterrain de bière de 3,3 kilomètres. Ce pipeline relie la brasserie située dans le centre de Bruges à une unité d’embouteillage en périphérie de la ville. Le projet est financé par crowdfunding.
• En 2018, De Halve Maan lance la bière spéciale sans alcool Sportzot. La bière est produite en filtrant l’alcool de la Brugse Zot.
• En 2022, une nouvelle unité d’embouteillage est mise en service. Les investissements dans les panneaux solaires et le traitement de l’eau sont financés via le crowdlending. En moins de 24 heures, l’entreprise collecte 2 millions d’euros.
• Pour 2024, des bénéfices sont attendus, tandis que De Halve Maan a enregistré une perte de 674 000 euros sur un chiffre d’affaires de 19 millions d’euros pour l’exercice 2023. L’année précédente, la perte était de près de 2 millions d’euros.
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