Voitures électriques : les fabricants de batteries en pleine zone de turbulences

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Tassement des ventes automobiles, concurrence chinoise exacerbée… Les constructeurs européens de batteries affrontent plusieurs vents contraires. Les projets annulés d’usines se multiplient.

La jeune industrie européenne des batteries se sent un peu à plat en cette rentrée. Si son avenir semble garanti par l’électrification inéluctable du parc automobile à très long terme, son horizon immédiat s’est brusquement assombri ces derniers mois. Les ventes de voitures électriques connaissent un creux inquiétant au moment où les premières gigafactories du Vieux Continent commencent tout juste à apprivoiser la difficile production de masse de cellules de batteries.

Les fabricants revoient en conséquence leurs prévisions de croissance sur ce marché. Certains repoussent ou annulent même des projets d’usines de batteries, la pièce la plus coûteuse d’une voiture électrique. Si la tendance est plus marquée en Europe, elle touche également le reste du monde.

Cascade d’annulations de projets

Pas moins de 220 gigawattheures (GWh, l’unité de mesure des capacités de production dans le secteur) de projets, prévus à horizon 2030, ont été annulés sur les premiers mois de l’année, selon Benchmark Mineral Intelligence (BMI). L’équivalent de cinq grosses usines, et de quoi équiper 4,4 millions de voitures à terme.
En Europe, ACC, la coentreprise entre Stellantis, Mercedes et TotalEnergies, a repoussé le lancement de deux nouveaux sites en Allemagne et en Italie. Le suédois Northvolt reculerait sur un projet de nouvelle usine en Suède après avoir essuyé, fin juin, une annulation de contrat de la part de BMW.
Le chinois SVolt a annoncé stopper son projet de deuxième gigafactory en Europe. Fin 2023, Volkswagen a prévenu qu’il n’envisageait finalement pas de nouvelles usines pour sa filiale de batteries PowerCo.

“Les fabricants revoient leurs prévisions de croissance sur ce marché. Certains repoussent ou annulent même des projets d’usines de batteries.”

Une croissance ralentie

“La croissance du marché, même si elle est toujours là, ralentit, observe Christophe Pillot, directeur général de l’entreprise de conseil spécialisée dans les batteries, Avicenne Energy. Elle est surtout moins importante que certains, trop optimistes, l’avaient prévu. Le marché n’était pas forcément prêt et de toute façon, vu les délais nécessaires au lancement des sites de fabrication, l’offre de batteries ne pouvait pas suivre.” Selon son décompte, la production européenne dépassera, en 2024, à peine plus de la moitié de ce qui était annoncé, soit 140 GWh contre les 250 GWh prévus.
Si la demande s’érode, les prix, eux, chutent de manière vertigineuse. “En grave situation de surproduction, les entreprises chinoises sont prêtes à casser les prix pour trouver des débouchés à l’export, observe Cristopher Iaco, fondateur du cabinet de conseil Bonsai Technology et ancien de Tesla. Logiquement, ils trouvent beaucoup d’appétit du côté des constructeurs européens.”
La cellule de batterie “low cost” dite LFP, car faite de lithium, de fer et de phosphate, a touché le plancher des 60 dollars le kilowattheure, contre plus de deux fois plus il y a 18 mois. La pression sur les fabricants de batteries du Vieux Continent, qui parviennent tout juste à accélérer leurs cadences après des lancements industriels très difficiles, s’en trouve d’autant plus forte.

Pression insoutenable

Le chinois svolt ne construira finalement pas une deuxième gigafactory en Europe. © Getty Images

Une telle pression sur les prix n’est pas soutenable, même pour les groupes chinois. A ce prix-là, nombre de ces derniers ne couvrent pas même le coût des matières premières et vendent à perte, selon Avicenne Energy.
“Les autorités chinoises se sont décidées à mater les constructions agressives de nouvelles capacités de batteries, indique Aran Waid, analyste senior chez BMI. Depuis mai, les producteurs doivent prouver que leurs lignes de fabrication existantes tournent à plus de 50 % de leurs capacités pour avoir le droit de s’agrandir.”
L’essor du marché des batteries devrait également finir par absorber l’offre et faire remonter les prix. Avicenne Energy table sur 25 à 30 % de croissance annuelle dans les batteries d’ici à la fin de la décennie, au niveau mondial. Beaucoup d’industries rêveraient de tels taux de croissance.

Domination chinoise

Même si les prix devaient se reprendre dans les 24 mois, la concurrence asiatique est là pour durer. D’ailleurs, les capacités de production européennes ne devraient pas suffire à répondre à la demande, même en 2030. Pas moins de 1.700 GWh de capacité de production sont annoncés à cet horizon sur le Vieux Continent. Mais Avicenne Energy estime que seul un gros tiers sera opérationnel à cette date, pour une demande qui devrait atteindre les 1.000 GWh.
“Des projets seront annulés, d’autres repoussés, rappelle Christophe Pillot. Et il faut prendre en compte le taux de déchets , un gros problème dans ce secteur lors des premières années de production.” Les multiples start-up européennes qui ont promis des usines gigantesques doivent encore faire la preuve de l’utilité de leurs innovations et de leur maîtrise des procédés de fabrication à la chaîne.
Le tout, alors que Chinois et Coréens font tourner leurs gigafactories depuis une dizaine d’années et dominent outrageusement le secteur. A elle seule, la Chine engloutit déjà plus de 70 % du marché . “Il y a un espace pour les Européens, veut croire Yu Franck Du, au cabinet londonien Rho Motion. La régulation que Bruxelles est en train de mettre en place devrait les aider à protéger leur marché.” Sans cela, la concurrence serait trop féroce.

Guillaume Guichard («Les Echos» / 3 septembre 2024)


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