Vitalie Taittinger : “Je crois en l’excellence”

Vitalie Taittinger
Frederic Brebant Journaliste Trends-Tendances  

Posée sur de superbes crayères inscrites au patrimoine mondial de l’Unesco, la Maison Taittinger vient de s’offrir un sacré lifting. Une opération séduction qui vise à sceller la montée en gamme d’un champagne renommé. Rencontre au coeur de l’une des plus importantes maisons de champagne avec sa présidente, Vitalie Taittinger.

En surface, tout est calme, luxe et volupté. Sur le site rémois de Saint-Nicaise, les volumes s’harmonisent pour accueillir le visiteur au cœur de la Maison Taittinger fraîchement rénovée. Les jeux de lumière et de transparence révèlent subtilement l’ancien pavillon des années 1930, mais à 18 mètres sous terre, c’est un tout autre visage qu’offre la célèbre marque de champagne. Dans un labyrinthe de trois kilomètres de caves, ce sont les affres du temps mais aussi ses vertus qui racontent cette fois l’histoire et le savoir-faire de cette entreprise familiale.

De spectaculaires crayères, déjà exploitées à l’époque gallo-romaine, rythment en effet la visite des lieux avec, ici et là, des cryptes, des escaliers usés et des portails témoins de l’ancienne église abbatiale du 13e siècle dont il ne reste aujourd’hui que les sous-sols. C’est là précisément, dans ce réseau souterrain de galeries secrètes qui servit de refuge aux premiers chrétiens et aux soldats de la Grande Guerre, que se niche aujourd’hui le nectar Taittinger. Impassibles, deux millions de bouteilles de la prestigieuse cuvée Comtes de Champagne attendent patiemment le moment festif où elles pourront enfin délivrer leurs bulles, bercées par une température constante de 10°C à 12°C, été comme hiver. Des conditions idéales pour la conservation et le vieillissement d’un vin effervescent, au minimum 10 ans…

Quatre générations

Imprégné d’histoire, le site exceptionnel de Saint-Nicaise est repris sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco depuis 2015, dans le cadre de l’inscription Coteaux, Maisons et Caves de Champagne. Il permet de comprendre non seulement le rôle joué par ces crayères dans la ville de Reims, mais aussi d’apprécier aussi les trois ingrédients essentiels à la création d’un bon champagne : “Le raisin, le savoir-faire et le temps”, dixit Pierre-Emmanuel Taittinger, l’un des piliers de cette entreprise familiale qui s’étire sur quatre générations et qui est aujourd’hui présidée par sa fille Vitalie.

Bien sûr, les origines de cette maison indépendante remontent bien plus loin encore, lorsqu’un certain Jacques Fourneaux décide, en 1734, de se lancer dans le commerce vinicole en Champagne, mais ce n’est que 200 ans plus tard que démarre véritablement l’aventure de cette marque de prestige. En 1932, l’ancêtre Pierre Taittinger rachète la maison de champagne Forest-Fourneaux et le château de la Marquetterie qui l’accompagne à Epernay. Il faudra toutefois attendre une vingtaine d’années pour que la Maison Taittinger s’établisse aussi sur le site rémois de l’ancienne église Saint-Nicaise, portée par la deuxième génération des frères François, Jean et Claude Taittinger qui bâtiront ensemble la renommée de leur champagne éponyme et donneront à l’entreprise son véritable essor.

Vente et rachat

Au fil des ans, le succès est tel que la famille mise sur la diversification et investit dans le Groupe du Louvre avec des palaces (Hôtel de Crillon à Paris, Martinez à Cannes, etc.), une cristallerie (Baccarat) et des chaînes d’hôtellerie standard (Campanile, Kyriad, etc.). En juillet 2005, coup de théâtre ! Le groupe familial cède toute l’affaire au fonds d’investissement américain Starwood Capital Group pour plus de deux milliards d’euros. Pour la marque de champagne française, cette parenthèse étrangère sera toutefois de courte durée : 10 mois plus tard, Pierre-Emmanuel Taittinger, représentant la troisième génération, rachète le domaine, ses vignobles et ses caves, avec le soutien de la banque Crédit Agricole du Nord Est, laissant aux Américains les parties hôtellerie et cristallerie.

La maison taittinger
invite chaque année de grands artistes (ici Roy Lichtenstein) à réaliser une œuvre originale sur des cuvées d’exception.

Après 14 années passées à la tête de la Maison Taittinger redevenue française, le “sauveur” Pierre-Emmanuel décide, en 2020, de confier les rênes de l’entreprise familiale à ses deux enfants, Vitalie et Clovis, devenus respectivement présidente et directeur des ventes à l’international, aux côtés d’un directeur général, Damien le Sueur. Ensemble, le triumvirat veille désormais sur l’une des maisons indépendantes les plus importantes de Champagne, avec un domaine de 288 hectares et près de sept millions de bouteilles vendues chaque année (avec le Royaume-Uni et les Etats-Unis en tête à l’export).

“L’entreprise se porte très bien avec un chiffre d’affaires annuel qui tourne autour des 180 millions d’euros, confie Vitalie Taittinger. Nous sommes des bons élèves. Nous avons une belle marge. C’est une maison qui est très bien gérée et qui a surtout un management très stable. Avec mon frère et notre directeur général, on forme un comité exécutif. Eux, ils ont les mains dans le cambouis ; moi, je suis dans la stratégie et la vision, un peu moins dans l’opérationnel. On travaille beaucoup, on essaie d’être efficace, mais on ne fait pas n’importe quoi.”

De haut de gamme à premium

Confrontée à la concurrence des grandes marques de champagne qui conquièrent le monde avec une certaine force de frappe marketing (Moët & Chandon, Veuve Clicquot, Mumm, Piper-Heidsieck, etc.), la Maison Taittinger cultive quant à elle sa singularité en jouant davantage sur son histoire familiale, sa culture singulière, son approche artistique et ses valeurs d’excellence. Récemment, la marque s’est d’ailleurs repositionnée : “On est passé de haut de gamme à premium, explique Vitalie Taittinger, parce que j’ai la conviction que telle est notre place. Je suis persuadée qu’il y a peu de maisons, aujourd’hui, qui sont capables non seulement de dire, mais de prouver que tout est fait pour que l’excellence soit présente à chacun des niveaux de production. En fait, ce qui nous intéresse, ce n’est pas tant le volume, c’est surtout l’excellence des vins et comment on peut réussir à trouver, dans chaque étape, un levier d’amélioration.”

Taittinger
© F.B.

Pour atteindre ce niveau d’excellence, Vitalie Taittinger mise sur les 250 collaborateurs de son entreprise, leur esprit d’équipe et une certaine envie commune de se surpasser. “Moi, je suis plus attachée à la valorisation, poursuit la présidente de la maison de champagne. Cette valorisation, elle ne se fait pas que par un prix que vous voyez en vitrine. C’est un système global, c’est la consistance d’un positionnement dans le monde entier. La valeur n’est que le résultat de ce qu’on fait en amont. Si on ne faisait rien, je m’en tiendrais à un positionnement qui est celui qu’on a toujours eu. Mais aujourd’hui, ce que je demande à tous les collaborateurs, c’est de se décarcasser pour aller chercher de l’évolution positive. Parce que j’y crois. Il est important ne pas s’asseoir sur ses acquis, d’avoir envie de faire progresser l’entreprise, de lui donner de la force et de la faire rayonner. En fait, je crois en l’excellence. Je pense que, dans quelques années, nous devrions être la Romanée-Conti de la Champagne.”

Visites solennelles

C’est dans cet état d’esprit que la Maison Taittinger a revu aussi son service de visites guidées, après la rénovation de son site de Saint-Nicaise, terminée cet été, et qui a exigé 18 mois de travaux. Avant ce vaste chantier, le pavillon accueillait près de 70.000 visiteurs par an, dans un vaste ballet de cars de touristes étrangers. Désormais, la marque de champagne vise plus la qualité que la quantité et inaugure une nouvelle page dans l’exploration de sa maison : place à l’expérience immersive en groupes restreints avec des séances de dégustations dans des salons raffinés.

Ces moments gustatifs seront d’ailleurs prolongés à l’été 2025 avec l’inauguration d’un tout nouveau restaurant baptisé Polychrome et qui jouera sur la singularité d’accueillir un nouveau chef chaque année pour diversifier les menus. Aujourd’hui, l’espace existe déjà, mais il doit être aménagé et il sera évidemment dédié à de subtils accords mets-champagne, avec vue sur jardin.

L’art est au cœur de la Maison Taittinger qui en a fait non seulement une force motrice, mais surtout un véhicule d’épanouissement en périphérie de ses activités champenoises. “On est passé de haut de gamme à premium, parce que j’ai la conviction que telle est notre place.”

Vitalie Taittinger

présidente de la Maison Taittinger

En attendant son inauguration, les visiteurs peuvent déjà s’imprégner de l’esprit des lieux dans la toute nouvelle boutique Chromatique qui clôture le parcours découverte, mais aussi dans l’espace galerie où sont mises à l’honneur les créations originales de la Taittinger Collection. Depuis 1983, la maison de champagne invite en effet de grands artistes (Roy Lichtenstein, Vasarely, etc.) à réaliser une œuvre originale sur des bouteilles d’exception, pièces qui sont aujourd’hui exposées dans la nouvelle nef récemment inaugurée.

L’art et la manière

L’art est au cœur de la Maison Taittinger qui en a fait non seulement une force motrice, mais surtout un véhicule d’épanouissement en périphérie de ses activités champenoises. Diplômée en art de l’École Émile Cohl à Lyon, Vitalie Taittinger est d’ailleurs présidente du Fonds régional d’art contemporain Champagne-Ardenne depuis 2017 et a également été, de 2018 à 2022, présidente de l’association Platform (le regroupement des Fonds régionaux français d’art contemporain). Elle a aussi débuté comme directrice artistique au sein de la maison familiale et veillé, personnellement, à la décoration du site de Saint-Nicaise entièrement rénové.

Mais aujourd’hui, c’est surtout le projet Philanthropic ArsNova qui anime la fibre artistique de la présidente des champagnes Taittinger. Lancé il y a quelques mois à peine, ce fonds de dotation entend préserver le patrimoine culturel, la transmission des savoirs et la créativité artistique, en favorisant l’accès au patrimoine, à l’art, à la musique et à la gastronomie au plus grand nombre et, en particulier, à celles et ceux qui en sont le plus éloignés.

“On a déjà lancé de nombreuses actions et le résultat est vraiment positif, s’enthousiasme Vitalie Taittinger. Par exemple, cet été, on a fait tourner un camion cuisine dans les quartiers de Reims, mais notre idée, c’est aussi d’exposer des collections privées dans des lieux ‘comme chez soi’ pour faire comprendre aux gens que l’art, ce n’est pas que dans un musée et que c’est d’abord une émotion quotidienne. C’est le parcours d’une vie. C’est ça que j’ai envie de raconter : ‘Mettez du beau dans vos vies parce que le beau vous mènera vers la lumière’. Moi, je n’ai pas comme ambition de faire du chiffre, de faire un développement de dingue, d’aller vite, etc. Non. Je veux qu’on prenne le temps de construire une société qui soit juste par rapport à ce que la Terre peut porter, par rapport à ce que les uns et les autres, c’est-à-dire nous, sommes capables aussi de porter. Quand ça va vite, les gens pètent les plombs. En fait, il faut avoir le sens du temps. Voilà, c’est ça le projet.”
Comme disait déjà son père Pierre-Emmanuel : “Le raisin, le savoir-faire et le temps”, ingrédients essentiels à la création d’un bon champagne. Et Vitalie d’ajouter une petite pincée d’art pour rendre le monde meilleur, tout simplement.


Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content