Veillée d’armes dans l’affaire Nyrstar: la société est menacée de dissolution, les actionnaires minoritaires se révoltent
Veillée funèbre : la société Nyrstar, fleuron industriel belge en son temps, pourrait être dissoute le mois prochain. Veillée d’armes : la guerre n’est cependant pas finie entre le groupe suisse Trafigura, qui a repris les actifs, et les anciens actionnaires.
Les actionnaires de Nyrstar, autrefois un des géants mondiaux du zinc, tiendront bientôt une assemblée cruciale. Elle est prévue le 2 juin (ou le 30 juin, si le quorum n’est pas atteint le 2) et se prononcera sur la dissolution de la société.
Ce sera peut-être aussi l’occasion d’en savoir plus sur les intentions des actionnaires minoritaires de l’ancien fleuron minier belge. Ceux-ci croisent le fer depuis plus d’un an avec le groupe suisse Trafigura, qui a mis la main sur les actifs de Nyrstar en avril dernier. Parmi ceux qui s’opposent à la dissolution figurent Kris Vansanten et Evelyne van Wassenhove, du fonds Quanteus (7,5% du capital). Ils ont intenté une action pour demander la désignation d’un expert et réclament d’ici là le report de l’assemblée.
“Abandon ship”
Nyrstar, ce n’est pas une histoire simple. D’autant qu’il en existe plusieurs versions. Il y a celle du management : le groupe est la victime de la conjoncture difficile à laquelle il a dû faire face en 2018. Marges qui s’évanouissent, difficultés à répétition de sa fonderie australienne, à Port Pirie, échéance financière importante (340 millions d’euros d’obligations devaient être remboursés en septembre 2019), etc. Les obstacles sont importants.
C’est symptomatique, dans ce dossier, il n’y a eu aucune protection des actionnaires.” Kris Vansanten (Quanteus)
Le management reste toutefois positif jusqu’à l’automne 2018. Mais la réaction du marché à la publication de ces résultats fin octobre est extrêmement négative. ” Au cours des deux ou trois semaines suivantes, le groupe a connu une détérioration soudaine et inattendue de la liquidité (…), ce qui a entraîné une menace d’insolvabilité imminente “, note Nyrstar. En novembre, les analystes d’ABN Amro publient une note ravageuse titrée : ” Abandon ship “. Quittez le navire…
Le groupe demande alors à Morgan Stanley de l’aider à renforcer son bilan. Trafigura, qui est non seulement l’actionnaire le plus important de Nyrstar avec 24,4% du capital mais aussi un de ses principaux clients et un fournisseur, monte au créneau. Il augmente fin de l’année 2018 une ancienne ligne de crédit consentie au groupe belge en la faisant passer de 250 à 650 millions de dollars et prenant en gage les meilleurs actifs de Nyrstar.
Cela ne suffit pas et, finalement, un communiqué du 15 avril 2019 apprend aux actionnaires stupéfaits qu’en signant avec Trafigura un lock-up agreement, Nyrstar a transféré ses actifs dans une nouvelle société de droit britannique, contrôlée à 98% par Trafigura et 2% par l’ancienne Nyrstar. Les actionnaires autres que Trafigura n’ont pratiquement plus rien.
C’était cela ou la faillite, se défend le management. ” Le lock-up agreement et la restructuration qui s’en est suivie étaient la seule option viable pour éviter la faillite imminente du groupe, affirme Anthony Simms, responsable des affaires juridiques de Nyrstar. Dans l’intérêt de nos 4.100 employés, des actionnaires, créanciers, contractuels, fournisseurs et clients, le conseil d’administration s’est consacré sans relâche à éviter une insolvabilité qui aurait entraîné une destruction de valeur substantielle pour toutes les parties “, ajoute-t-il.
Le beurre et l’argent du beurre
Plus de 200 actionnaires historiques, conseillés par Laurent Arnauts et Robert Wtterwulghe (du cabinet Watt Legal), ainsi qu’un autre groupe d’actionnaires activistes, emmenés par Kris Vansanten et Evelyne Van Wassenhove, et parmi lesquels on trouve aussi l’ancien patron de la SNCB Etienne Schouppe, ont une histoire très différente. Ils estiment que Trafigura a exercé un contrôle de fait sur Nyrstar à partir de 2015 (le groupe suisse l’a d’ailleurs notifié alors à la Commission européenne), en nommant à des postes clés d’anciens cadres de Trafigura. Et à partir de cette date, diverses opérations ont été effectuées au détriment de Nyrstar, mais au profit de son actionnaire genevois qui est soupçonné d’avoir organisé l’illiquidité de Nyrstar, afin de mettre facilement la main sur le groupe.
” Les accords commerciaux entre Trafigura et Nyrstar ont toujours été conclus dans des conditions de pleine concurrence “, rétorque Anthony Simms. L’affirmation fait bondir les petits actionnaires : Robert Wtterwulghe explique que par sa position de fournisseur de minerai à Nyrstar d’un côté et de client pour le zinc affiné par Nyrstar de l’autre, Trafigura pouvait pratiquer une politique de ” prix ciseaux ” : vendre cher son minerai, acheter bon marché les lingots de zinc affiné. Si l’on jette un coup d’oeil aux rapports de Trafigura, on voit en tout cas que l’année 2018 a été excellente pour sa division Metals and minerals, qui enregistre une hausse de plus de 32% de son résultat brut, alors que dans le même temps, la marge et les résultats de Nyrstar plongent… C’est alors que Trafigura sort en avril 2019 son plan de reprise ” juste au moment où les conditions de marché s’améliorent “, souligne Kris Vansanten.
Est-ce que le management de Nyrstar a bien défendu l’intérêt social du groupe ? Les actionnaires récalcitrants n’en sont pas sûrs. ” Les contrats passés entre Nyrstar et Trafigura faisaient en sorte que les pertes étaient concentrées sur Nyrstar, et les bénéfices étaient privatisés au bénéfice de Trafigura “, estime Laurent Arnauts qui observe que d’une manière générale, ” depuis 2015, il y avait un relâchement généralisé de la défense des intérêts de Nyrstar. Des éléments importants ont notamment été apportés par un lanceur d’alerte, le chef de l’audit interne de Nyrstar, qui montre que dans certains dossiers, c’était open bar pour certains “.
Cet auditeur interne, Gilbert Guinikoukou, a attiré l’attention du management, puis de la FSMA (le gendarme belge des marchés) en octobre 2018, sur certaines malversations qui auraient eu lieu dans le groupe (surestimation de stocks, doubles paiements, etc.) à hauteur de plusieurs dizaines de millions. Mais suite à la déconfiture de Nyrstar, cet auditeur a été licencié et réduit au silence : Nyrstar a en effet obtenu un jugement de la justice suisse qui lui a défendu de communiquer des documents internes à des tiers…
Pour Nyrstar, c’est une tempête dans un verre d’eau. ” La direction et le conseil d’administration ont examiné toutes les allégations d’irrégularité soulevées par l’ancien auditeur interne de la société, affirme Anthony Simms. Les enquêtes relatives à ces allégations n’ont révélé aucune irrégularité importante. ”
La FSMA poursuit toutefois encore son enquête aujourd’hui.
Actionnaires ignorés
A côté de ces interrogations économiques, il y a aussi des questions juridiques. Les actionnaires minoritaires estiment aussi avoir été systématiquement mis de côté dans le processus de décision. ” C’est symptomatique, dans ce dossier, il n’y a eu aucune protection des actionnaires “, observe Kris Vansanten.
La grande opération d’examen de bilan qui va déboucher sur la restructuration n’a en effet jamais fait l’objet du moindre rapport interne ni de la convocation des actionnaires. ” Or, l’article 633 du Code des sociétés veut que lorsqu’une société perd une part significative de son capital social, elle soit tenue de convoquer une assemblée générale qui doit déterminer si l’on poursuit l’activité. Si vous faites cela dans une PME belge, vous vous faites écharper “, note Laurent Arnauts. Certes, cet article est invoqué aujourd’hui, puisque ce sera un des points sur lequel la prochaine assemblée devra se pencher, ” mais trop tard, poursuit l’avocat. Il ne reste plus que 2% des actifs “.
La FSMA, publie d’ailleurs en juin 2019 un avis selon lequel ” les actionnaires ne disposent pas d’informations suffisantes pour approuver, lors de l’assemblée générale du 25 juin 2019, les comptes annuels de l’exercice clôturé le 31 décembre 2018 ” et l’autorité de marché souligne que le réviseur, Deloitte, a émis un ” avis de carence ” : les informations dont il dispose pour attester des comptes 2018 ne sont pas complètes, ce dont Nyrstar conteste le bien-fondé.
Le réviseur, qui pointe un contrôle financier ” déficient “, réitère ses réserves dans le rapport qu’il a soumis aux actionnaires en vue de l’assemblée qui doit approuver les comptes 2018, estimant ne pas avoir suffisamment d’informations à la fois sur les transactions elles-mêmes, mais aussi sur les relations entre Nyrstar et Trafigura ainsi que sur ” la séquence des événements qui ont débuté en octobre 2018 et qui ont abouti à la révision de la structure du capital “.
Les assemblées qui valideront les comptes et la restructuration se tiendront à la fin de l’année 2019. Mais entre-temps, au grand dam des actionnaires minoritaires, Nyrstar poursuivra la restructuration. Elle conclura notamment des accords avec les banques et les détenteurs d’obligations, accords validés par la justice anglaise et américaine.
Les petits actionnaires essayeront de faire suspendre ces décisions des assemblées belges en référé, notamment celles concernant les comptes de 2018, mais le tribunal de commerce d’Anvers ne les suivra pas et les déboutera en janvier de cette année.
“Cas d’école”
Voilà où l’on en est aujourd’hui, à la veille très certainement, d’une grande bagarre et alors que l’assemblée de juin devra décider de la dissolution de Nyrstar, coquille désormais presque vide.
” Le grand test, intéressant sur le plan juridique, est de savoir dans quelle mesure une société cotée peut se permettre de circonvenir les règles de protection du capital, ainsi que les règles qui entourent la liquidation des sociétés, poursuit Laurent Arnauts qui souligne que l’on a organisé ici une quasi-liquidation dans les faits “. Nyrstar n’est plus une société opérationnelle. Mieux : elle est soumise à une nouvelle ligne de crédits, consentie par Trafigura qui a assorti ce prêt de conditions très strictes (Trafigura a un droit de regard sur la stratégie de Nyrstar ou sur les avocats que pourrait consulter la société belge). ” Le zombie qui subsiste a pour seule fonction de faire payer par les actionnaires eux-mêmes la défense de Trafigura “, s’insurge l’avocat.
” C’est, poursuit-il, un cas d’école où un actionnaire de contrôle a circonvenu toutes les garanties (publication de comptes annuels, rapport du réviseur, procédure relative à l’article 633, tenue d’assemblée) qui sont à disposition des actionnaires. Pour nous, ajoute-t-il, ces opérations réalisées au mépris du Code des sociétés sont nulles. Soit il faudra tout détricoter, mais cela risque de causer des maux de tête. Soit il faudra payer à Nyrstar ou aux actionnaires l’équivalent de ce qu’ils ont perdu. Et cela porte sur 1,5 milliard d’euros. ”
” Si Trafigura avait agi et s’était comportée comme l’actionnaire de référence responsable qu’elle prétendait être, la restructuration de Nyrstar aurait pu être évitée. Les actionnaires minoritaires ont donc été injustement expropriés “, déclare Kris Vansanten, qui souligne l’importance de ce dossier pour conserver à l’avenir en Belgique de grands centres de décision. Il estime le dommage subi par les actionnaires à un milliard d’euros et veut lui aussi porter l’affaire au fond. ” Des mises en demeure ont été envoyées aux anciens administrateurs de Nyrstar et à Trafigura “, précise-t-il.
Dernier détail. Certains ont perdu moins que d’autres dans ce dossier : le président du conseil de Nyrstar, Martyn Konig, et le CEO Hilmar Rode ont touché une prime de restructuration exceptionnelle ex gratia de, respectivement, 900.000 francs suisses et 1,35 million d’euros. Une prime payée par ” Nyrstar sales and marketing AG “, une ancienne société du groupe belge, désormais filiale de Trafigura. Une prime perçue au moment même où Nyrstar mordait la poussière.
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