Vanessa Vaxelaire, présidente des vignerons wallons: “Il est grand temps de professionnaliser toute la filière”
Après neuf ans à la tête des vignerons wallons, Pierre Rion a cédé la présidence à Vanessa Vaxelaire, propriétaire du Château de Bioul. La quinquagénaire, entourée d’un bureau très costaud, entend structurer la filière à la manière d’une interprofession française et personnaliser davantage les appellations wallonnes.
Le nom Vaxelaire est indissociable de l’histoire de l’économie belge. C’est en 1866 que François Vaxelaire, venu de Lorraine, a repris un grand magasin bruxellois appelé Au Bon Marché. C’était le début d’une grande aventure transgénérationnelle et les bases de ce qui deviendra le groupe GB-Inno-BM, aujourd’hui disparu. En 1904, le couple Vaxelaire-Claes a racheté un magnifique château situé à Anhée dans le Namurois : le Château de Bioul.
Depuis 2009, Vanessa Vaxelaire, une des représentantes de la cinquième génération, y cultive de la vigne avec son mari Andy Wyckmans. Le couple a même fini par racheter le château à la famille en 2018. A Bioul, ils ont fait le choix de la biodynamie et de la permaculture mais aussi des cépages interspécifiques : Johanniter, Muscaris, Pinotin, Solaris, etc. Des cépages, obtenus par croisement d’espèces différentes, plus résistants aux maladies de la vigne et donc plus respectueux de l’environnement.
Au bout de 15 ans, Andy et Vanessa produisent des vins de très grande qualité (Batte de la Reine, Terre Charlot, etc.) qui, régulièrement, remportent des prix dans les concours nationaux et internationaux. C’est forte de ces 15 premières années de vigneronne que Vanessa Vaxelaire vient de prendre la présidence des vignerons wallons. Un processus qui s’est fait en toute transparence et en écoutant les 120 membres de l’Association des Vignerons de Wallonie.
“En janvier, Pierre Rion, notre président depuis neuf ans, a annoncé son départ, se souvient-elle. Un choix logique puisqu’avec la vente de son Domaine de Mellemont, il n’était plus vigneron. Au départ, je trouvais que Christophe Waterkeyn, le président de Villers-la-Vigne, l’un de nos plus anciens vignobles wallons créé en 1994, ferait un bon président. C’est un vrai sage qui connaît la viticulture comme sa poche. Lui pensait la même chose de moi et se voyait comme mon secrétaire général. Parallèlement, Hubert Ewbank du Chant d’Eole était aussi pressenti pour la présidence. Grand défenseur des vins belges et homme de réseaux, il allait incarner une présidence différente de la mienne que je voyais plus viticole.
Nous avons alors demandé à chaque candidat administrateur d’écrire une lettre de motivation et nous avons laissé nos 120 membres choisir. Douze personnes ont été élues et, le 25 juin, elles ont choisi le bureau. Hubert s’est effacé devant moi tout en promettant d’apporter toute sa capacité de réseautage. En fin de compte, à côté de Christophe et de moi, Bertrand Conchin, un trentenaire à la fois inspecteur de police et vigneron depuis 2019 au Clos de Tennes, a pris la vice-présidence.”
Vers une interprofession
A 52 ans, Vanessa Vaxelaire arrive à la présidence à un moment crucial pour le vin wallon. La filière explose avec des projets en cours un peu partout et une production qui s’envole. Selon les chiffres du SPF Economie, la Belgique a produit 3.434.604 litres de vin en 2023 dont 1.838.180 en Wallonie. C’est un nouveau record et la première fois que le sud du pays dépasse le nord.
A la grosse louche, cette production se ventile comme suit : 1.809.300 litres de bulles, 1.245.000 de blanc, 248.000 de rouge et 131.000 de rosé. La production wallonne va continuer à exploser puisque Ruffus et Chant d’Eole, les deux plus grands producteurs, ont planté des hectares supplémentaires. Parallèlement, des énormes projets se mettent en place. Comme le Domaine de Montjumont dans la botte du Hainaut porté par Sophie Le Clercq, la présidente de la CIT Blaton, et Eric Boschman. Comme In Vino Verit’Ath (Domaine Vert-Monts), 8 hectares dans la région d’Ath, ou le domaine bio de Colruyt qui s’étendra bientôt sur 10 hectares sur le site La Croisette à Frasnes-lez-Anvaing. Dans ces trois cas, le choix des interspécifiques s’est aussi imposé.
“Le but ultime est de devenir une véritable interprofession à la française avec une puissance d’action et d’influence.”
“Cela part dans tous les sens, confirme Vanessa Vaxelaire. Il est donc grand temps de professionnaliser toute la filière. C’est d’ailleurs la première revendication de nos membres. Le but ultime est évidemment de devenir une véritable interprofession à la française avec une puissance d’action et d’influence. Engager une ou deux personnes me paraît indispensable à court terme pour offrir des services en continu aux membres dont le nombre ne cesse d’augmenter. Il paraît tout aussi essentiel de se faire entendre auprès des décideurs pour tout ce qui nous concerne.
Un seul exemple à régler sans traîner : l’utilisation du cuivre, indispensable dans la lutte contre le mildiou. L’Europe autorise 28 kg sur sept ans. Mais, comme d’habitude, la Wallonie s’est montrée plus catholique que le pape et n’autorise que 4 kg par an. C’est une décision stupide qui ne tient pas compte des aléas annuels. Une année, j’ai besoin d’un seul kilo mais de sept la suivante. Avec cette législation, je ne peux rien reporter d’une année sur l’autre et donc quoi, je laisse ma vigne mourir ou je sors du bio ? Une dérogation est indispensable pour garantir la pérennité de nos vignobles.
Inutile de préciser qu’à titre personnel, je suis ravie du changement de majorité politique. Les nouveaux arrivés, sans pour autant faire n’importe quoi avec l’environnement, devraient être plus sensibles à la logique entrepreneuriale et aux arguments du monde agricole. La Wallonie a tout ce qu’il faut pour briller mais il faut actionner les bons leviers et voir à long terme. Nous ne sommes pas la région pauvrette dont on nous parle depuis 30 ans…”
Les appellations
Dans le domaine des règlements européens, la Belgique, et la Wallonie en particulier, a tendance à se tirer des balles dans le pied. Au contraire de la France qui n’hésite pas à demander (et à obtenir) des dérogations au nom des traditions. Ainsi, son pigeon d’Anjou ou de Racan peut continuer à être vendu plein. Ainsi, c’est elle aussi qui impose fréquemment ses vues dans le domaine des appellations. Les wallonnes sont amenées à évoluer. Il faut bien avouer qu’IGP Vin des Pays de Wallonie ou AOP Côtes de Sambre et Meuse. Ce n’est ni sexy ni particulièrement défini.
“Le chantier va être lancé fin août, confirme Vanessa Vaxelaire. C’est un dossier de longue haleine qui va sans doute prendre 10 ans et nécessiter une étroite collaboration avec le SPW Agriculture, Ressources Naturelles et Environnement et sa direction Qualité et Bien-être animal. Mais il est souhaité par la filière. Les vignerons sont désireux de voir leur savoir-faire, leur terroir et les cépages utilisés reconnus. Nous avons tout intérêt à nous spécialiser et à être plus précis. Côtes de Sambre et Meuse, c’est trop vaste. Autre souci à régler, l’AOP Crémant de Wallonie oblige la vendange manuelle. Ruffus et Chant d’Eole, nos deux fleurons, n’y ont donc pas droit et doivent exporter sous l’appellation mousseux. Ce n’est ni vendeur, ni représentatif de la qualité de leurs produits et je les comprends. J’entends dire que les gens vont s’y perdre si on multiple les IGP et les AOP. Je m’inscris en faux. Les Belges connaissent les AOP et les IGP françaises mieux que personne et ils seraient perdus avec les nôtres ?”
Vanessa Vaxelaire entend aussi poursuivre le combat de Pierre Rion pour la promotion des vins wallons. Il y a peu, il n’était pas rare de se voir offrir du vin chilien ou sud-africain dans un événement officiel wallon. Mais les choses ont évolué dans le bon sens.
“Il y avait évidemment l’aspect prix qui pouvait nous handicaper, confirme Vanessa Vaxelaire. Mais, désormais, nous remportons des appels d’offres. Un appel va d’ailleurs s’ouvrir bientôt pour une réserve de 1.000 bouteilles de toutes les couleurs. Les prix sont corrects et permettent à de nombreux vignerons wallons d’y répondre. Le critère prix n’est d’ailleurs plus le seul déterminant. On gagne des points si on est belge ou en bio. On devient donc compétitif et cela permet de voir nos vins plus fréquemment dans les réceptions et événements. C’est une belle vitrine.”
Visibilité
La nouvelle présidente entend aussi tisser des liens plus forts avec le nord du pays. La régionalisation de l’agriculture n’aide pas mais les uns et les autres auraient intérêt à parler d’une seule voix sur un certain nombre de domaines. Il y a bien Vinum Et Spiritus, la fédération belge du secteur des vins et spiritueux, mais elle est très généraliste.
“Nous avons les mêmes problématiques et nous gagnerions à nous parler plus souvent. En termes de commerce et d’export, être uni permettrait sans doute au vin belge d’avoir une meilleure visibilité. A terme, le vignoble belge ressemblera à celui de l’Autriche et de la Suisse. En Suisse, ils ont un organisme qui fait la promotion des vins dans le monde entier. Pourquoi pas chez nous ? En matière d’accises et de taxes, nous avons aussi des intérêts communs. Faut-il bombarder de taxes et de paperasse, des vignerons qui produisent 250 bouteilles ? Ne pourrait-on leur simplifier la tâche ? La nouvelle majorité veut simplifier? Eh bien simplifions ! Pourrait-on imaginer un seul document qui serve à Fost+, au SPF Finances ou à la Région wallonne ? Ils demandent tous la même chose mais sous une autre forme. Quelle perte de temps !”
En termes d’accises et de taxes, Vanessa Vaxelaire a calculé, qu’en 2023, le vin belge a rapporté 17.926.968 millions d’euros à l’Etat belge dont 12.500.000 rien que sur les bulles.
“Ne pourrait-on pas recevoir un peu de cette manne en retour pour améliorer notre visibilité ?, conclut-elle. Organiser un grand concours mondial de vin chez nous, par exemple ? Quelle vitrine ce serait pour le vin belge ! Ce qui est décidé, c’est que l’Association des Vignerons de Wallonie va organiser chaque année une grand-messe du vin wallon à destination des professionnels comme les sommeliers, les chefs ou les journalistes mais aussi, pourquoi pas, des entreprises qui organisent aussi des réceptions et des événements. Nous avons besoin du B to B pour nous faire connaître. Nous devons devenir maître de notre communication extérieure et ne pas laisser d’autres, comme des guides, le faire à notre place.”
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