Une privatisation du rail est-elle inéluctable ?
La mise en concurrence de la SNCB n’est guère populaire mais elle est inévitable car l’Union européenne a mis en place la libéralisation des transports nationaux de passagers. Des trains commerciaux pourraient rouler sur nos rails à partir de 2020. Le gouvernement tente de jouer la montre jusqu’en 2033. Mais après… ?
L’idée d’une privatisation de la SNCB, lancée par le ministre des Finances, Johan Van Overtveldt, a rapidement été balayée. A la fois par le Premier ministre, Charles Michel, et par le ministre de la Mobilité, François Bellot. Pourtant, la question mérite d’être posée. Mais pas vraiment pour le montant que l’Etat pourrait tirer de la SNCB : cette dernière est en effet lourdement endettée (2,88 milliards d’euros) et affiche des fonds propres négatifs à hauteur de 357 millions d’euros (données consolidées pour 2016).
Le rail belge représente 2,8 milliards d’euros de fonds publics (2017, Infrabel compris). Presque 300 euros par habitant. Un argument soulevé par Johan Van Overtveldt dans les colonnes de L’Echo : ” La SNCB nous bouffe pas mal d’argent, donc regarder comment on peut améliorer les choses me paraît un exercice obligatoire. ”
Le chemin de fer n’a pas connu chez nous les mêmes adaptations que les télécommunications et la poste. Il est resté, globalement, une entreprise d’Etat et un des plus grands employeurs du pays (31.745 équivalents temps plein). Les idées de privatisation de ce service public n’ont jamais été très populaires chez nous. L’exemple de la Grande-Bretagne, où la privatisation a débouché sur une période désastreuse, a servi d’épouvantail. Mais en fait, la situation du rail en Europe est peu connue du public belge. Beaucoup de pays ont mis en concession des lignes locales, comme les Pays-Bas, l’Allemagne et même l’Italie, avec comme objectif de mieux utiliser les fonds publics et d’obtenir un meilleur service.
Faible productivité, subsides élevés
Bien qu’il soit peu performant, le rail belge a évité cette approche de concessions. ” Il souffre d’une trop faible productivité “, commente Axel Gautier, professeur à l’ULg et coauteur avec Iman Salem d’une étude sur l’état de la SNCB face à la libéralisation du rail (1). Il s’agit d’une des rares études comparatives réalisées sur la SNCB. Des réseaux comparables comme l’Autriche (OBB) ou celui du Danemark (DSB) sont deux à trois fois plus productifs (voir le tableau ” Une productivité à la traîne “). ” En confrontant le rail belge à des réseaux de pays comparables, on s’aperçoit que l’Etat belge paie un niveau de subside élevé “, continue Axel Gautier. Dans une interview à Trends-Tendances en janvier dernier, le ministre de la Mobilité, François Bellot, avait souligné : ” Si on calcule la part des subsides par km/voyageur, on compte jusqu’au double de ce qui se fait sur d’autres réseaux. ” En revanche, le passager, lui, paie peu : environ 7 centimes par kilomètre (en moyenne) contre 11 pour les Danois et les Autrichiens, et 16 pour les Suisses.
” En Belgique, la privatisation du rail est considérée comme un gros mot, confie Alex Gautier. En Allemagne, la plupart des régions (les Länder) ont concédé les réseaux pour avoir des tarifs plus intéressants et ils ont obtenu de meilleures dessertes. ”
Le compte à rebours européen
Si la Belgique n’a jamais envisagé une remise à plat, à la manière des Pays-Bas, avec une mise en concurrence partielle, elle devra forcément y venir. L’Union européenne développe depuis plus de 10 ans une mise en concurrence progressive du rail. Après le fret (2003) et le trafic passager à l’international (2010), cette ouverture va s’étendre aux lignes nationales de passagers. Une mise en concession obligatoire est prévue à partir de 2023. Les lignes opérées en service public (donc subsidiées) seront soumises à un appel d’offres. Ceux qui proposent le meilleur service pour le moins de subsides l’emporteront. La SNCB ne bénéficiera pas d’une situation privilégiée sur les concurrents : les lignes seront opérées selon les résultats des appels d’offres, tantôt par la SNCB, tantôt, sur certaines lignes, par d’autres opérateurs actifs sur d’autres réseaux ferroviaires étrangers qui sont actuellement en concessions, comme des filiales de la SNCF, de la Deutsche Bahn, du français Transdev, etc. Dans l’hypothèse de l’attribution de lignes à des concurrents, du personnel de la SNCB pourrait être transféré aux gagnants des concessions.
Le défi, pour la SNCB, est d’améliorer fortement sa productivité et sa qualité de service pour espérer gagner un maximum d’appels d’offres. Le gouvernement compte utiliser tout ce que le quatrième paquet ferroviaire lui permet pour repousser l’échéance de la mise en concurrence. Il envisage ainsi d’utiliser une option du paquet européen autorisant un Etat à attribuer directement pour 10 ans des lignes de services publics, sans concurrence, à l’opérateur historique. ” Ce qui signifie que l’ouverture à la concurrence pourrait être repoussée jusqu’à 2033, indique-t-on au cabinet Bellot. Cela laisserait du temps pour préparer la SNCB et la rendre plus performante. ” Cette attribution obligerait toutefois la SNCB à démontrer à la Commission européenne qu’elle améliore ses performances pour les passagers ainsi que sa productivité.
Pour le moment, la SNCB parvient à augmenter cette dernière. Elle va rehausser son offre de 5 % dans le nouveau plan de transport lancé à la fin de l’année, alors que les subsides pour le rail diminuent. De 2015 à 2019, la dotation totale passe de 14,8 à 13,6 milliards d’euros, soit 1,2 milliard de moins (Infrabel + SNCB). C’est l’un des héritages laissés par le CEO sortant, Jo Cornu.
Des lignes commerciales possibles en 2020
Il sera possible que des opérateurs ouvrent des lignes commerciales, non subsidiées, à partir de 2020, comme ce sera le cas pour les lignes à grande vitesse en France, en open access. Ce pourrait être le cas des deux plus grandes lignes, Anvers-Charleroi et Eupen-Ostende. Y aura-t-il un concurrent sur ces lignes à fort trafic ? Cela va dépendre d’une analyse pour vérifier si l’accès libre peut avoir un effet néfaste sur les services subsidiés, ce qui permettrait de bloquer cette libéralisation. ” La situation n’est pas la même qu’en France, où le réseau TGV est clairement distinct des autres lignes “, explique-t-on au cabinet Bellot. Un argument qui devra convaincre la Commission.
Le préoccupation principale, c’est que la SNCB affiche, d’ici 2033, des performances qui lui permettent de réussir l’examen des appels d’offres. Pour y arriver, le contrat de gestion en négociation contiendra – c’est une nouveauté – des objectifs en termes de performance, des KPI (key performance indicators). Une série d’indices seront mis en place, avec des objectifs à atteindre, pour mesurer les critères qui sont prévus dans le quatrième paquet ferroviaire. Dont, notamment, la qualité du service, une offre suffisante, le confort et la productivité.
Cette perspective met la pression sur la SNCB, dirigée depuis mars par Sophie Dutordoir, et un peu sur le gouvernement, bien que la perspective 2023 ou celle de 2033 concernera d’autres gouvernements. Concernant la SNCB, c’est devenu une habitude pour les ministres de la Mobilité de laisser les gros dossiers aux bons soins de leurs successeurs. Le ministre en charge actuellement, François Bellot, s’en désole : il doit finaliser, pour Infrabel et la SNCB, un contrat de gestion qui aurait dû être signé… en 2012 !
Eviter le précédent catastrophique du fret
Il ne sera pas possible de refiler indéfiniment le dossier au suivant. Si la SNCB ne fait pas de progrès suffisants, la privatisation tant honnie finira par s’imposer en 2033 (au plus tard) à travers une mise en concurrence. Cela paraît lointain, mais l’échec de l’activité de marchandises, B Logistics, devrait servir de leçon.
La SNCB a été contrainte en 2015 de revendre l’activité – donc de la privatiser – à un fonds français, Argos Soditic (la SNCB a conservé 31%) car depuis 2003, le fret est libéralisé dans l’Union européenne. La SNCB a échoué à redresser l’activité malgré plusieurs plans de restructuration et une filialisation intervenue en 2011, sous le nom de B Logistics. Les pertes ont continué. Il restait deux possibilités : vendre ou fermer. Ce fut la vente. B Logistics s’appelle aujourd’hui Lineas. L’opérateur, devenu privé, devrait enfin devenir profitable et viable.
(1) Axel Gautier et Iman Salem, “La SNCB : prête pour la libéralisation totale du rail ?”, Regards Economiques, décembre 2016 (téléchargeable).
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