Une Maison du Repreneuriat à l’Ichec
Parallèlement à la Chaire Familles en Entreprises, l’Ichec a ouvert l’an dernier, avec le soutien de la Région de Bruxelles-Capitale, la Maison du Repreneuriat. A l’aide d’ateliers et d’accompagnement spécialisé, elle vise à permettre aux cédants comme aux repreneurs de bien appréhender l’ensemble des étapes.
La Belgique, on le sait, est une terre de PME. Mais notre pays est aussi une terre d’entreprises familiales. Selon une étude de Belfius datant de 2021, ces dernières représentent 70 % de toutes les entreprises, 45 % de l’emploi total et un bon tiers du PIB ! Elles sont actives dans le commerce de gros et de détail (15,3 %), la construction (14,3 %), les activités de sièges sociaux/conseil de gestion (13,5 %), l’horeca (9,2 %), etc. Et elles sont principalement situées sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale (16,1 %) et de la province d’Anvers (14,3 %).
Vu leur importance économique, la pérennité de ces entreprises est un enjeu majeur pour l’économie belge. Pérennité signifie évidemment transmission de ces entreprises au sein de la même famille ou cession à un extérieur. Mais ceci est plus vite écrit que réalisé. Tous les acteurs impliqués le reconnaissent : transmettre une entreprise familiale prend beaucoup de temps (entre trois et cinq ans en moyenne) et s’avère un exercice périlleux pour de multiples raisons dont, par exemple, la structure familiale ou la personnalité du cédant.
Déconstruire les stéréotypes
Cela fait une bonne quinzaine d’années que l’Ichec (Institut catholique des hautes études commerciales) a ouvert une chaire dédiée à la problématique : la chaire Familles en entreprises. Il s’agit d’un réseau étendu d’entreprises familiales dont certaines très connues (Cinoco, Spadel, Daoust, etc.) qui échangent de bonnes pratiques ou des expériences. La chaire et ses quatre chevilles ouvrières (Marie Mahieu, Marine Falize, Roxane De Hoe et Eugénie Gillot) mènent des recherches et des études poussées pour dégager des pistes et des solutions concrètes aux problématiques rencontrées. Elles viennent de coucher une partie de ces recherches dans un livre épatant appelé Transmission familiale : comment ne pas perdre le fil ?
Avec l’aide de témoignages, pour la première fois à visage découvert, de 31 personnes issues de 18 entreprises familiales (Serneels, Cafés Looze, Spadel, Daoust, Ecosteryl, Imperbel, Bister, Bertinchamps, Clabots, Sipla, etc.), le livre entend explorer à fond les différents concepts et nuances d’une transmission familiale. Basé sur huit piliers (fondements, finances, intergénérationnel, arbre familial, etc.), il entend déconstruire les stéréotypes et démontrer que la transmission du savoir, du pouvoir et de l’avoir est, à chaque fois, un cas unique. Que la voie empruntée, avec bonheur, par l’une peut être un enfer pour l’autre.
Le livre, avec les multiples témoignages, donne des clefs pour permettre à chacun de tracer sa propre voie. Il s’avère exhaustif et très pointu dans certains domaines comme celui de la gouvernance. Mais, par moments, avouons-le, il enfonce des portes ouvertes. Par exemple quand il explique la différence entre salaire et dividende. “Vous n’imaginez pas à quel point cette différence n’est pas évidente quand on travaille avec des entreprises familiales”, sourit Raphaëlle Mattart, docteure en économie et gestion de l’ULiège spécialisée dans l’entrepreneuriat familial, et qui a collaboré à la rédaction du livre.
“Je viens de créer Cran, un cabinet d’expertise pour entreprises familiales. Je ne fais pas de cession-acquisition mais de la pédagogie et de la recherche. Sur le thème de la gouvernance, j’explique ce qui existe et ce que l’on peut mettre en place. Les entreprises familiales, c’est compliqué. On doit travailler avec des gens qu’on n’a pas forcément choisis. Il faut donc s’entendre sur un projet commun avec des soupapes et des portes de sortie. Tous les consultants vendent des chartes. C’est un vrai problème car il faut objectiver ce qui marche ou pas. Et parfois, ces chartes n’ont aucun intérêt car le formel n’est pas utile. En cas de complexité ou de famille étendue, c’est une autre histoire. La gouvernance doit tenir compte de la réalité de la famille et c’est ce qu’on explique dans le livre.”
Les entreprises familiales, c’est compliqué. On doit travailler avec des gens qu’on n’a pas forcément choisis.” – Raphaëlle Mattart, ULiège
Formations
La Région de Bruxelles-Capitale se préoccupe de la transmission de ces entreprises familiales. Au vu des chiffres, on ne peut que lui donner raison. Elle a lancé, il y a deux ans, un appel d’offres pour un projet appelé soutien aux entrepreneurs et à la transition économique. L’Ichec, via la chaire, a répondu à l’un des six points, celui de la sensibilisation et de l’accompagnement à la transmission d’entreprises. Victorieuse, elle a lancé, en janvier 2022, avec la collaboration de l’Ephec (Ecole pratique des hautes études commerciales), la Maison du Repreneuriat. ” Cette maison répond à une série de questions que nous nous posions, explique Marie Mahieu, maître assistante. La chaire écrit des livres et fait des recherches mais ne mettait pas les mains dans le cambouis. Si ce n’est le rendez-vous annuel avec les entreprises familiales de notre réseau. Vu le côté puissant et riche de leurs échanges ce jour-là, elles étaient demanderesses de plus. D’où l’idée de la Maison du Repreneuriat. Nous avons une posture neutre qui a plu aux autorités. On ne vend rien. On forme et on accompagne.”
La Maison du Repreneuriat se désire un accompagnateur de cession/reprise d’entreprises. Familiales ou pas. Elle dispense une formation spécifique au cours d’une série de sept ateliers qui reprennent les thèmes majeurs d’une telle procédure : mission, diagnostic & valorisation, financement, légalité, fiscalité, gouvernance et négociation. Elle a déjà accompli deux cycles complets de formation. Lors de la proclamation de la dernière promotion, on a été surpris par la diversité des profils et la relative jeunesse de certains participants.
” La Maison du Repreneuriat nous permet d’ouvrir le jeu, poursuit Marie Mahieu. Car, globalement, il y a de moins en moins de reprises intrafamiliales. Le profil de nos participants évolue. Il y a de moins en moins de familles et de plus en plus de repreneurs parfois très jeunes, c’est vrai. En 2023, il y avait sept cédants pour 15 repreneurs. Certains cédants viennent avec leur repreneur pour évoluer ensemble. On a aussi des parents qui viennent avec leurs enfants qui vont reprendre le magasin ou l’entreprise. Par exemple, Charlotte Dilens, qui intervient dans le livre, a suivi la formation avec sa maman Brigitte Serneels.” En 2024, la formation, subsidiée par la Région de Bruxelles-Capitale (d’une valeur de 3.990 euros par personne, elle ne coûte que 150 euros aux Bruxellois et 300 aux autres), va changer de rythme l’an prochain.
“Les deux premières années, conclut Marie Mahieu, nous avions imaginé un cycle très resserré pour créer un lien fort et intense entre les participants. Mais nous passions à côté de nombreuses demandes. Un cédant qui vient nous voir en février ne pouvait se permettre d’attendre septembre pour commencer. Le rythme convenait aux transmissions familiales, traditionnellement lentes, beaucoup moins aux entreprises classiques. On va étaler les ateliers sur toute l’année et permettre de prendre en route ou de ne suivre que certains aspects spécifiques.”
Les inscriptions à la session 2024 sont déjà ouvertes. La soirée de lancement aura lieu en février et le premier atelier en mars. Avis aux amateurs…
“Transmission familiale : comment ne pas perdre le fil ?”, Ichec Editions, 152 pages, 25 euros. A commander sur www.chairefamilles.ichec.be.
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