Un fonds combinant IT et sciences du vivant: “Notre business, c’est du bouche à oreille”

Rob Kniaz constate des choses très intéressantes à l’intersection de la biologie et de l’informatique. © pg
Christophe De Caevel
Christophe De Caevel Journaliste Trends-Tendances

L’investisseur Rob Kniaz prépare le lancement d’un fonds ciblant les projets combinant IT et sciences du vivant. Il est venu récemment sonder le terrain belge, notamment au Biopark de Charleroi.

Elle a étudié la physique et l’immunologie, il a préféré l’informatique, et tous deux ont passé l’essentiel de leur carrière professionnelle dans le monde de l’investissement. Aujourd’hui, Vanela Bushi et Rob Kniaz créent un nouveau fonds d’investissement, H Tree Capital, qui ciblera les ponts entre leurs deux domaines de prédilection. “On connaît les biotechs, maintenant on devrait peut-être parler de tech-bios”, résume Rob Kniaz, un Américain basé à Londres et que l’on a notamment connu chez Google au début des années 2000.

Rob Kniaz est cofondateur d’Hoxton Ventures, un fonds centré sur les boîtes techno et qui a notamment investi dans Deliveroo et Darktrace (cybersécurité). “Nous avons constaté ces dernières années que des choses très intéressantes se passaient à l’intersection de la biologie et de l’informatique et rendaient tout à coup possibles des projets qui, jusque-là, semblaient très difficiles à concrétiser”, nous explique-t-il à l’occasion d’une visite en Belgique destinée à rencontrer des investisseurs potentiels pour H Tree.

Opérationnel en 2024

Combiner ces deux mondes peut s’avérer particulièrement intéressant pour un investisseur. “Nous sommes toujours dans le domaine de la santé mais avec des besoins en cash bien moindres, explique Rob Kniaz. D’une part parce qu’il ne faudra pas nécessairement construire des usines de production. Et d’autre part, parce qu’on ne développe pas un médicament unique – qui va peut-être vous rapporter des centaines de millions de dollars – mais une plateforme technologique qui permettra de développer de multiples médicaments.”

Et puis, bien entendu, le processus est au moins divisé par deux par rapport aux dix ans que prend en moyenne le développement d’un médicament. Plusieurs family offices belges avaient investi dans Hoxton Ventures. Rob Kniaz espère que certains le suivront dans l’aventure d’H Tree. “Je rencontre beaucoup de monde ici en Belgique mais, à ce stade, je ne peux pas vous donner de noms”, précise-t-il. Le nouveau fonds devrait être opérationnel en 2024.

Investissement en vue sur le Biopark?

Rob Kniaz a également rencontré des acteurs de l’IT (dont Laurent Hublet, cofondateur et directeur de BeCentral) et de l’industrie pharmaceutique. Il s’est rendu au Biopark de Charleroi-Gosselies, où il a notamment discuté avec les responsables d’OncoDNA, une biotech qui utilise l’intelligence artificielle pour élaborer des thérapies personnalisées contre les cancers les plus résistants.

OncoDNA est toutefois sans doute à un stade de développement avancé (l’entreprise vise les 20 millions de chiffre d’affaires cette année et devrait attendre la profitabilité en 2024) qui ne correspond pas à la cible d’H Tree. Tout comme Hoxton Ventures, ce nouveau fonds privilégiera en effet les sociétés débutantes en recherche de financements d’amorçage. Mais peut-être que les nouveaux champs d’investigation de l’entreprise dans l’ARN pourraient l’intéresser.

“Je vois quelques projets en Wallonie qui pourraient entrer dans le scope d’H Tree, confie Dominique Demonté, le directeur du Biopark. Dans notre incubateur, par exemple, deux jeunes développent des logiciels pour optimiser la bioproduction. Le contact a été pris, nous pourrons faire le lien si de nouveaux projets entrant dans ce créneau émergent sur le Biopark ou ailleurs en Wallonie. Quand on a un contact avec un investisseur de ce calibre, on se doit de le partager à l’échelle régionale.”

La stratégie mise en place par l’équipe du Biopark avec le soutien de KPMG vise justement à inciter les entreprises technologiques belges à collaborer avec les sociétés pharmaceutiques pour utiliser l’intelligence artificielle dans les processus de fabrication, gérer les données médicales, etc. Ce mouvement pourrait faire émerger à terme des projets d’entreprise faisant le lien entre les mondes de la technologie et des sciences du vivant et qui entreraient dès lors dans le scope d’H Tree.

Atout n°1: l’excellence scientifique

Quand il a choisi de lancer son fonds à Londres, Robert Kniaz avait surpris ses amis américains. “Ils nous disaient ‘Vous ne ferez jamais d’argent dans les technos en Europe’, se souvient-il. A l’époque, on ne voyait peut-être pas les choses émerger en regardant depuis les Etats-Unis. Mais sur le terrain, vous pouviez voir que cela bougeait, que des grandes boîtes techno comme Deliveroo ou Spotify allaient exploser en Europe. Je pense que cela se reproduit aujourd’hui avec ces projets entre la biologie et l’informatique. Les talents me font penser aux gens de la tech il y a 10 ans. Ils ont de l’enthousiasme, de grandes idées mais peut-être pas encore suffisamment d’accès au capital.” D’où, peut-être, l’idée d’un nouveau fonds spécialement tourné vers cette cible.

“En Belgique, vous avez un centre de recherche qui est certainement dans le top 10 mondial.”

Robert Kniaz pointe comme premier atout l’excellence scientifique en Europe, ce qui est la base pour faire sortir des innovations de rupture. “Regardez simplement autour de Londres, jusqu’à Oxford, Cambridge et Imperial College, dit-il. Vous avez là plus de post-docs par habitant qu’à Boston qui est considérée comme le centre du monde pour les biotechs. Et ici en Belgique, à Louvain, vous avez un centre de recherche qui est certainement dans le top 10 mondial. Je ne connais pas beaucoup de VC (venture capitalists, Ndlr) qui y ont passé du temps. Or, si vous voulez faire des investissements intéressants, vous devez être dans de tels endroits, en Belgique, en France ou ailleurs.”

Il cite l’exemple de la jeune entreprise française Phagos, dans laquelle Hoxton a investi l’an dernier. Elle est active dans les phages ou bactériophages, soit des prédateurs naturels d’une série de bactéries, combattues actuellement avec des antibiotiques. Ces phages pourraient constituer une alternative aux antibiotiques en médecine vétérinaire (les élevages industriels utilisent massivement des antibiotiques) et humaine. “Nous avons là une niche très prometteuse, ignorée par les big pharmas qui gagnent beaucoup d’argent avec les antibiotiques, dit Robert Kniaz. La France a développé une connaissance impressionnante dans ce domaine vraiment très prometteur.”

Atout n°2: l’accès aux échantillons médicaux

Le deuxième atout surprendra peut-être: l’accès aux échantillons médicaux. On pense généralement qu’avec les réglementations de type RGPD, le transfert de données médicales est ardu en Europe. Le cofondateur d’H Tree balaie cet a priori. “La biotech européenne qui mène une recherche peut facilement obtenir les échantillons dont elle a besoin auprès des universités et des hôpitaux, dit-il. Vous travaillez sur le cancer du foie, vous pourrez obtenir 10 échantillons de foie chaque mois, parfois même gratuitement. Aux Etats-Unis, c’est différent. Peut-être parce qu’il y a plus d’argent et que chaque intervenant essaye de voir s’il ne peut pas gagner quelques dollars au passage. On monétise les échantillons et la question de la confidentialité entre alors en ligne. Il me semble, dès lors, que l’Europe a un avantage en ce domaine, avec de bons protocoles qui balisent clairement comment on maintient la confidentialité des échantillons.”

Atout n°3: les réseaux ne sont pas que californiens

Si les géants technologiques viennent quasiment tous de Californie, dans les sciences du vivant, une partie des géants sont européens, comme Roche, Sanofi, GSK, Bayer ou, un peu plus loin dans le classement, le belge UCB. Ils ont tous une longue histoire d’innovations derrière eux et leurs chercheurs et dirigeants ont tous leurs propres réseaux à l’échelle mondiale. Ces réseaux, c’est le troisième atout et peut-être même l’élément décisif, à en croire Rob Kniaz. Parce que les gens se croisent, que les projets s’hybrident et que les investisseurs en entendent parler.

“Notre business, c’est du bouche à oreille, sourit-il. Comme la plupart des VC, je sais qui va m’aiguiller vers des sociétés intéressantes. Les nouveaux projets nous arrivent notamment par les entrepreneurs que nous soutenons. Il y a un an, j’ai conclu une levée de fonds de 2,9 millions avec Ayoub (Assabban, CEO d’OrderCast, une société qui propose des solutions digitales pour les commandes B to B des grossistes, Ndlr) et il m’a sans doute présenté à 20 autres entrepreneurs depuis.”

OrderCast est à ce jour l’unique société belge dans laquelle Hoxton Ventures a investi. Son fondateur a notamment travaillé auparavant pour le plan Catch à Charleroi, ce qui explique la venue de Rob Kniaz au Biopark et illustre ainsi l’importance des réseaux personnels. Et la chaîne pourrait se poursuivre car Dominique Demonté sait désormais comment faire remonter des projets vers Rob Kniaz.

“Nous avons désormais une taille critique.”

“Les entreprises qui s’installent sur le Biopark recherchent des infrastructures, des talents et surtout l’accès à des réseaux académiques, industriels et de financement, dit le patron du Biopark. Avoir des liens additionnels vers des fonds internationaux et leurs propres réseaux pourra être très utile. Cela montre également que nous avons désormais une taille critique, avec la présence de gros joueurs internationaux, pour être crédible aux yeux des gestionnaires de ces fonds. On peut imaginer tous les dispositifs que l’on veut, à la fin, ce sont les réseaux humains qui font la différence.”

Atout n°4: l’ambition est enfin là

Tous les ingrédients semblent donc présents. Encore faut-il avoir l’envie ou l’ambition de les utiliser pleinement. C’était une faiblesse récurrente des entrepreneurs européens mais, selon Robert Kniaz, c’est en train de changer. “Par rapport à ce que j’ai connu il y a 13 ans, aux débuts d’Hoxton Ventures, la différence est impressionnante, confie-t-il. A l’époque, celle ou celui qui créait sa start-up rêvait de gagner quelques millions d’euros et de s’acheter une maison dans le sud de la France. La génération actuelle a étudié un an ou deux aux Etats-Unis, elle a vu ses amis lancer leur boîte et lever plusieurs dizaines de millions de dollars et elle a bien compris qu’il n’y avait aucune raison qu’on ne puisse pas créer une entreprise à un milliard de dollars à Bruxelles. Aujourd’hui, chaque pays a ses success stories, à travers lesquelles des créateurs ont réussi à transformer une idée en un business qui rapporte de l’argent.”

“Si vos recherches sont prometteuses, les gens vous trouveront.”

Rob Kniaz est donc convaincu que dans la tech-bio, on peut bâtir un groupe mondial au départ de l’Europe. “Ces dernières années, j’ai dû consacrer la moitié de mon temps à des biotechs et conclure 13 ou 14 deals pour Hoxton dans ce secteur, conclut-il. La science parle généralement pour elle-même. Si vos recherches sont prometteuses, si vos résultats sont publiés, les gens vous trouveront. Il y a toujours un chemin, même si vous aurez sans doute un peu plus de vent de face. Vous pouvez sortir d’une université dont personne n’a entendu parler à l’étranger et amener une innovation de rupture. Où que vous soyez, aujourd’hui, vous pouvez de plus en plus facilement entrer en contact avec les bons investisseurs.”

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