Tupperware fait face à la faillite : retour sur une success story en partie belge
Le fabricant de produits de cuisine Tupperware Brands se prépare à la faillite. C’est ce que rapporte l’agence de presse financière Bloomberg, sur la base de sources bien informées. Le fabricant de pots en plastique se placerait cette semaine sous la protection de ses créanciers auprès d’un tribunal. L’entreprise n’est plus en mesure de rembourser ses dettes. Les emplois des 260 travailleurs de l’usine d’Alost sont menacés.
L’incertitude règne parmi les 260 travailleurs du site d’Alost, qui est à la fois l’usine et le centre de développement pour Tupperware Brands, en Europe. « La direction d’Alost attend toujours plus de clarté de la part des États-Unis », explique Jan Holtyzer, secrétaire sectoriel du syndicat ABVV. « Pour l’heure, le travail continue, mais de nombreuses personnes sont déjà au chômage temporaire. Tupperware s’efforce chaque semaine de déployer son personnel le plus efficacement possible, mais il est clair depuis longtemps que les choses vont mal. »
Pendant la pandémie de COVID-19, Tupperware a sans aucun doute été l’un des grands gagnants. Tout le monde s’est remis à cuisiner et le fabricant de récipients en plastique a vu ses actions presque tripler en 2020. Aujourd’hui plus rien ne va puisque les ventes de ses articles de cuisine ont fortement chuté (moins 18 % par rapport à l’année dernière) et Tupperware est endettée à hauteur de 700 millions de dollars. L’engagement de conseiller financier pour dissiper les doutes des investisseurs ont eu l’effet inverse. Suite à l’article de Bloomberg, les actions ont chuté de plus de 57 %, à 0,51 $. Sa valeur actuelle s’élève à 23,7 millions de dollars.
Selon Holtyzer, on ne sait pas encore s’il y a une chance que Tupperware soit racheté et quelles seraient alors les conséquences pour le site d’Alost. «Un acquéreur devrait s’accommoder d’une énorme montagne de dettes, ce qui complique la situation. D’un autre côté, je pense que la marque Tupperware reste forte. En ce qui concerne les conséquences pour Alost, malheureusement, c’est l’inconnu. Je crains que les chiffres de production n’augmentent plus jamais, en raison des charges salariales élevées en Belgique. Cependant, le site représente un centre de recherche important au sein du groupe ce qui offre des possibilités. »
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Société de consommation
L’entreprise elle-même identifie principalement un manque d’accessibilité à ses produits à travers le monde. Elle cherche de nouveaux canaux de vente et se tourne pour cela vers le commerce de détail. « Aux États-Unis, notre première grande expansion dans la vente au détail a dépassé nos attentes », a déclaré Miguel Fernandez, PDG de Tupperware, lors de l’annonce des résultats trimestriels de l’entreprise l’année dernière.
Pourtant, les événements – les célèbres soirées Tupperware – ne sont pas seulement caractéristiques du fabricant. Bien qu’il existe 19 magasins physiques dans le pays, ces soirées constituent encore aujourd’hui le principal canal de vente de l’entreprise. Selon Holtyzer, le modèle de revenus obsolète des « soirées Tupperware » est en partie à l’origine des problèmes que connaît la marque.
Les débuts de Tupperware
L’idée est née juste après la Seconde Guerre mondiale, en 1946, aux États-Unis. Grâce à l’effet de vide des pots en plastique Tupperware, les aliments restaient frais plus longtemps qu’avec les bocaux en métal, en verre et en porcelaine qui étaient courants à l’époque. Un certain Earl Tupper, ingénieur chez Dupont de Nemours, a présenté les bocaux en polyéthylène à sa femme, qui s’est montrée très enthousiaste.
Les soirées Tupperware
Les pots sont commercialisés, mais les ventes connaissent un succès mitigé. Tupperware est présente dans les quincailleries, qui vendent déjà des articles ménagers à l’époque. Tupper remarque alors que les pots ne se vendaient bien que dans les petits magasins, où l’on expliquait d’abord aux clients les avantages du produit. Ces ventes en face-à-face, sous forme de soirées, permettaient aux clients de mieux comprendre l’utilité des produits et les incitaient à acheter.
La stratégie des soirées Tupperware est née de cette observation. Les femmes au foyer américaines participaient volontiers à des réunions conviviales entre amies, où elles recevaient des explications sur des ustensiles de cuisine pratiques. En 1961, le concept a traversé l’Atlantique vers l’Europe, entraînant la construction de l’usine d’Alost : la Belgique a été la première expérience hors Etats-Unis de Tupperware.
La convivialité favorise les achats
L’hôte ou l’hôtesse est l’élément clé de tout le concept, car il ou « elle invite la présentatrice pour une démonstration et assure également un public composé de membres de la famille et d’amis », expliquait Marina De Vuyst, l’assistante de formation chez Tupperware Belgium, il y a près de 28 ans dans une interview avec Trends. « Le but est que la présentatrice donne des conseils d’utilisation, la vente suit en principe naturellement. Il n’y a aucune obligation d’achat, car il s’agit avant tout d’un service. Les gens peuvent passer une commande, qui est livrée sept jours plus tard. »
De plus, l’hôte ou l’hôtesse partage également des recettes avec les invités, ce qui est encore une fois une référence au service que propose Tupperware. Ce n’est pas du bénévolat puisque l’hôte ou l’hôtesse reçoit un pourcentage sur les ventes, en plus d’autres cadeaux. Tupperware est à la fête aussi, car l’ambiance conviviale fait vendre, l’entreprise le sait. “Ils se stimulent mutuellement et il arrive que l’on achète quelque chose pour faire plaisir à l’hôtesse”, explique Mme De Vuyst..
Les présentateurs d’une soirée Tupperware sont directement en contact avec les distributeurs locaux en Belgique. « Les présentatrices n’ont pas de stock propre. Elles achètent ce qui a été commandé la semaine précédente. Nous ne voulons pas qu’il y ait une obligation d’achat. Les personnes qui commencent en tant que présentatrice reçoivent du matériel gratuit pour leur première soirée. De cette manière, nous évitons qu’elles se retrouvent avec un gros stock d’articles ou un seul article en grande quantité. Les commandes sont livrées une semaine après la soirée et ne sont payées que sept jours plus tard », expliquait Bernard Lucas.
Tupperware a été pionnier avec sa stratégie. « L’intérêt pour ces évènements à domicile ne cesse de croître et les ventes continuent d’augmenter. Il est également facile d’organiser une démonstration à domicile. Par rapport à il y a cinq ans, nous avons presque doublé le nombre de représentants, passant de 1 800 à 3 200 », déclarait en 1995 Bernard Lucas, alors directeur général de Tupperware Belgique.
Un monde en mutation
En 1995, les soirées Tupperware étaient encore en pleine expansion, comme nous l’apprend cet ancien article de Trends. Et pourtant, à l’époque, le concept existait déjà depuis plus de quarante ans. Depuis, le monde tout comme la demande des consommateurs a considérablement changé.
Tupperware est depuis longtemps synonyme de longévité. Les articles ne sont souvent que remplacés 30 ans après l’achat, et il existait même autrefois une garantie à vie. « Aujourd’hui, dans notre société de consommation, les gens préfèrent peut-être un pot qui ne dure que cinq ans plutôt qu’un qui sert toute la vie », explique encore Holtyzer.
Il existe aujourd’hui de nombreux fournisseurs de boîtes en plastique pratiques, souvent moins chères. Contrairement à Tupperware, bon nombre de ces concurrents proposent aussi des achats en ligne. Tupperware n’a pas sa propre boutique en ligne, mais vous pouvez tout de même trouver leurs articles sur des sites plus connus.
Si vous commandez des produits Tupperware en ligne, une semaine d’attente est encore la norme pour de nombreux produits, exactement comme dans les années 90. Aucun produit ne peut être livré dès le lendemain. En 2024, avons-nous encore la patience d’attendre une semaine pour recevoir cette bouteille colorée ? Quant aux recettes on les trouve aujourd’hui partout.
En 2021, Tupperware avait déjà jeté l’éponge aux Pays-Bas. Aujourd’hui, c’est à un niveau plus global que Tupperware connaît des turbulences. Le problème est comme celui d’un récipient en plastique qui a fidèlement servi pendant des années, jusqu’au jour où le couvercle ne s’adapte plus aussi bien. La question est de savoir si la direction trouvera encore le bon couvercle à temps.
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