Transparence salariale : l’heure de vérité approche pour les entreprises

Pierre Van Achter et Herman Craeninckx, de Littler Belgium, font le point sur la directive européenne portant sur l’équité salariale et la transparence des rémunérations. © PG

En mai 2023, l’Union européenne a adopté une directive concernant l’équité salariale et la transparence des rémunérations. Les États membres ont jusqu’au 7 juin 2026 pour transposer ces dispositions en droit national. Avec quelles conséquences pour les entreprises ? Faisons le point sur la question avec Pierre Van Achter et Herman Craeninckx, du cabinet d’avocats spécialisés en droit du travail Littler Belgium.

Le temps passe vite et de nouvelles obligations ne cessent de se multiplier. Parmi celles-ci figure la directive européenne 2023/970 qui établit un cadre pour la transparence salariale afin de remédier aux inégalités de rémunération entre les hommes et les femmes au sein de l’UE. Elle vise ainsi à garantir que les hommes et les femmes reçoivent une rémunération égale pour un même travail ou un travail de valeur égale, favorisant ainsi un environnement professionnel plus équitable et transparent.

Conséquences pour les entreprises

C’est en mai 2023 que le Parlement européen a adopté cette directive qui doit être transposée dans le droit national des États membres, au plus tard le 7 juin 2026. Autant dire demain. Mais quelles sont les conséquences de cette directive pour les entreprises ? Quelles sont les entreprises concernées ? Quelles sont les obligations et les éventuelles sanctions ? Des questions, parmi d’autres, qui vont rapidement se poser aux employeurs ainsi qu’à leurs travailleurs. Faisons le point avec Pierre Van Achter et Herman Craeninckx, respectivement associé et senior attorney chez Littler Belgium.

“Nombre de sociétés n’ont pas encore anticipé ou sous-estiment l’impact de cette directive, pointe Herman Craeninckx, notamment en termes d’obligations de reporting et d’information. C’est plus que jamais le bon moment pour les entreprises d’y penser avant le 7 juin.” Mais avant d’arriver à cette date butoir, revenons avec nos experts sur la directive afin de la comprendre et d’expliciter les concepts clés qui la composent. Tout en rappelant qu’en matière d’équité salariale, si tout est loin d’être parfait, on ne part pas d’une feuille blanche, et que dans ce domaine, la Belgique figure plutôt parmi les bons élèves en Europe. Cela étant, le sujet est primordial d’autant que l’écart salarial au cours de la vie active entre hommes et femmes aura, notamment, un effet sur la pension.

“Nombre de sociétés n’ont pas encore anticipé ou sous-estiment l’impact de cette directive, notamment en termes d’obligations de reporting et d’information.” – HERMAN CRAENINCKX

Pour tous les travailleurs

© Getty Images

“La directive s’applique à tous les travailleurs qui ont un contrat ou une relation de travail, détaille Pierre Van Achter. Le préambule de la directive précise que les travailleurs devraient inclure les travailleurs à durée déterminée et les travailleurs intérimaires, ainsi que les travailleurs occupant des postes de direction. En outre, d’autres travailleurs atypiques tels que les travailleurs domestiques, les travailleurs à la demande, les travailleurs intermittents, les travailleurs des plateformes, les stagiaires et les apprentis peuvent également entrer dans le champ d’application de la directive. Certaines dispositions relatives à la transparence lors du recrutement s’appliquent aux candidats à un emploi.”

La catégorie de travailleurs est un concept fondamental, car elle servira d’unité de base pour la comparaison dans le cadre de la directive : les écarts de rémunération entre les hommes et les femmes devront être publiés (en interne) par catégorie de travailleurs, et les employés auront le droit de demander des informations sur les niveaux de rémunération moyens, ventilés par sexe, pour la catégorie de travailleurs à laquelle ils appartiennent. Pour rappel, pour toute catégorie de travailleurs dont l’écart de rémunération dépasse 5% et ne peut être expliqué par des raisons objectives non sexistes, l’organisation disposera d’un délai de six mois pour combler l’écart, faute de quoi elle devra procéder à une évaluation conjointe des salaires en collaboration avec les représentants des travailleurs.

“La directive s’applique à tous les travailleurs qui ont un contrat ou une relation de travail.” – PIERRE VAN ACHTER

À travail égal, salaire égal

L’objectif de la directive est clair : réduire l’écart de rémunération entre les hommes et les femmes pour un travail de valeur égale. “La définition de la rémunération est large, analyse Pierre Van Achter. Elle comprend le salaire de base, le traitement et toute autre contrepartie directe ou indirecte versée par un employeur, qui peut également être une rémunération non monétaire, accessoire ou variable (par exemple, primes, rémunération des heures supplémentaires, indemnités, etc.). L’écart de rémunération entre les hommes et les femmes est un pilier fondamental de la directive et exige le calcul de la différence entre les niveaux de rémunération moyens des travailleurs féminins et masculins, exprimée en pourcentage du niveau de rémunération moyen des travailleurs masculins.”

Si le principe “à travail égal, salaire égal” est clair et ne se discute pas, encore faut-il indiquer avec précision ce qu’est un travail égal ou de valeur égale. “C’est, en effet, un défi pour les employeurs de déterminer si deux travailleurs occupant des emplois apparemment différents effectuent un ‘travail de valeur égale’, confirment les avocats de Littler Belgium. L’évaluation de la valeur égale est une question clé, et la directive prévoit que les employeurs évaluent la valeur égale sur la base de critères objectifs, non sexistes, convenus avec les représentants des travailleurs (lorsqu’ils existent), tels que les compétences, les efforts, les responsabilités et les conditions de travail. Pour aider les employeurs, les pays de l’UE sont tenus de mettre à leur disposition des outils analytiques ou des méthodologies. Toutefois, cette évaluation risque encore d’être une tâche très complexe et de longue haleine.”

Obligations pour les employeurs

Le décor de la directive planté, quelles seront, dès l’application de celle-ci, les principales obligations pour les employeurs ? “Cela se fera par étapes, explique Herman Craeninckx. Il y a d’abord une obligation de communication. Les employeurs devront communiquer des informations sur l’écart salarial entre les hommes et les femmes par catégorie de travailleurs effectuant le même travail ou un travail de même valeur. Ils devront fournir ces rapports aux autorités publiques compétentes, aux travailleurs et aux représentants des travailleurs.

Selon la taille de l’entreprise, le moment et la fréquence de ces rapports varient. Ainsi, les entreprises de 250 travailleurs ou plus devront remettre un rapport d’ici le 7 juin 2027, et chaque année par la suite ; de 150 à 249 travailleurs d’ici le 7 juin 2027, et tous les 3 ans par la suite ; de 100 à 149 travailleurs d’ici le 7 juin 2031, et tous les 3 ans par la suite. Enfin, les sociétés employant moins de 100 travailleurs ne seront pas tenues de faire une déclaration, mais elles ne seront pas empêchées de le faire. Les pays de l’UE peuvent, en effet, choisir de mettre en place des seuils de déclaration des rémunérations plus bas.”

Enquête et réparation

Les employeurs auront également une obligation d’enquête et réparation des écarts salariaux entre hommes et femmes. Ainsi, les employeurs devront procéder à une évaluation conjointe des rémunérations (essentiellement un audit) avec les représentants des travailleurs afin d’identifier, remédier et prévenir les différences de rémunération. Les évaluations de salaires devront être menées avec les représentants des travailleurs et mises à la disposition de ces derniers, de leurs représentants et de l’organisme local de contrôle.

L’inspection du travail et l’organisme de promotion de l’égalité de traitement du pays concerné auront également le droit de recevoir l’évaluation conjointe des rémunérations sur demande. Cette directive octroie également de nouveaux droits aux travailleurs. Sans entrer dans le détail, mentionnons, par exemple, le droit des travailleurs de demander et de recevoir des informations sur leur rémunération et sur les niveaux de rémunération moyens, ventilés par sexe et catégorie.

Éventuelles sanctions

Quid des risques et des éventuelles sanctions encourues pour les employeurs en cas d’erreur ou de manquement ? Chaque pays de l’Union européenne fixera ses critères dans le cadre de la directive. Cependant, comme le rappellent les experts de Littler Belgium, “la directive exige de chaque pays qu’il mette en place des mécanismes d’application minimaux, y compris le droit pour les travailleurs de déposer des plaintes individuelles, avec des recours compensatoires non plafonnés, comme le recouvrement des arriérés de salaire et des primes, des dispositions relatives à la non-victimisation, le pouvoir pour les tribunaux ou d’autres autorités compétentes d’émettre des ordres de mise en conformité ou de faire cesser les infractions, ainsi que des sanctions nationales”.

Et de citer dans la foulée, le cas de l’Espagne, où la législation est déjà relativement alignée sur la directive : “En 2023, l’inspection du travail a engagé 12.206 actions liées aux questions d’égalité, y compris celles concernant l’égalité salariale. Ces actions ont donné lieu à des sanctions d’un montant total de 3,5 millions d’euros. Les tribunaux ont également prononcé des sanctions. Par exemple, un employeur a été condamné à une amende de 91.000 euros pour un écart de rémunération allant jusqu’à 77,8%, l’absence d’un registre des salaires et l’absence d’un plan d’égalité.

Dans un autre cas, un tribunal a décidé qu’un employeur devait verser une indemnité de 13.000 euros à une employée sous-payée par rapport à son homologue masculin occupant le même poste.” Au-delà de la sanction financière et du fait que cette directive, rappelons-le, ne concerne pas grosso modo les PME de moins de 100 personnes, c’est l’image de l’entreprise qui sera directement affectée. Raison de plus pour veiller, plus que jamais, à l’égalité salariale en toute transparence.

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