Tourisme: des croisières plus vertes?
Pas encore verte, en réalité, mais beaucoup moins grise que naguère… Les navires sont aujourd’hui dotés d’équipements limitant la pollution dans des proportions parfois remarquables.
Le secteur des croisières n’a pas seulement compté parmi les principales victimes de la pandémie de Covid-19. Il fut aussi le plus négativement médiatisé, avec ces navires mis en quarantaine pour cause de contamination massive. Pas étonnant que les compagnies insistent à ce point sur les mesures sanitaires. Il est toutefois un autre sujet faisant l’objet d’une importante communication: les initiatives lancées pour alléger la facture environnementale, parfois fort lourde, de ces paquebots géants. Leurs escales dans un nombre croissant de cités balnéaires ont soudain mis en lumière la pollution qu’ils engendraient. Alors que celle des cargos n’avait, jusque-là, guère ému les foules.
Les navires utilisent traditionnellement du fuel très lourd.Avantage: il est fort bon marché. Inconvénient: il est très polluant et, en particulier, fort chargé en soufre.
Une montagne de soufre
Une étude publiée en juin 2019 par Transport & Environment (T&E), un groupement européen d’ONG, concluait que 47 paquebots géants avaient émis 10 fois plus d’oxyde de soufre que les 260 millions de voitures circulant alors en Europe. Explication: les navires utilisent traditionnellement du fuel très lourd. Avantage: il est fort bon marché car il s’agit quasiment d’un résidu de la distillation du pétrole. Inconvénient: il est très polluant et, en particulier, fort chargé en soufre. Au point que l’Organisation maritime internationale (OMI) impose depuis le 1er janvier 2020 une teneur maximale en soufre de 0,5% au lieu des 3,5% tolérés auparavant. L’OMI est une institution de l’Onu chargée d’assurer la sécurité des transports maritimes et de prévenir la pollution des mers par les navires. Le progrès est très sensible, mais la pollution demeure élevée. Il est clair que les autres pollutions des croisiéristes ne sont pas aussi disproportionnées que celle du soufre!
Tous nos navires sont équipés d’un branchement électrique pour l’alimentation à quai, mais très peu de ports du sud de l’Europe le permettent actuellement.
Patrick Pourbaix (MSC)
Deux améliorations s’observent toutefois. L’utilisation de fuel léger d’abord, évidemment plus cher. C’est la voie choisie par la compagnie française Ponant en 2019, avec un fuel dont la charge en soufre est de 0,05% à peine. En fait, de nombreux navires disposent de fuel léger à bord, en plus du fuel lourd. Ils passent du lourd au léger quand ils approchent de leurs escales, mais aussi quand ils croisent dans des zones qui imposent une teneur en soufre très limitée, telle la mer Baltique.
Vive le gaz naturel!
L’autre amélioration, plus sensible encore, est l’adoption du gaz naturel liquéfié, ou GNL. La compagnie allemande Aida a lancé un navire de ce type en 2018: le Nova, qui aura un jumeau en fin d’année. Sa cousine italienne Costa a suivi l’année suivante avec le Smeralda. Toutes deux font partie du groupe américain Carnival, qui représente à lui seul la moitié des navires de croisière au niveau mondial. De son côté, le croisiériste suisse MSC Cruises, qui appartient à la famille italienne Aponte, passera au GNL à partir de l’an prochain. “C’est une technologie assez récente dont très peu de bateaux sont équipés actuellement, souligne Patrick Pourbaix, directeur général de la compagnie pour la Belgique, le Luxembourg et la France. Nous en avons commandé cinq aux Chantiers de l’Atlantique, dont le premier, le World Europa, sera livré en 2022. Tous nos navires seront dorénavant propulsés au GNL.”
Premier avantage: une consommation et des émissions de CO2 réduites d’un quart environ par rapport au fuel. Les progrès sont beaucoup plus spectaculaires sur les autres plans: tandis que les émissions d’oxyde d’azote sont réduites de quelque 85%, celles de soufre et de particules fines le sont à 95, voire 99%! “Le World Europa sera par ailleurs le premier navire du monde équipé d’une pile à combustible qui réduit encore les émissions de 25%”, souligne Patrick Pourbaix. Le GNL est-il déjà largement disponible aux escales? Loin de là. C’est pourquoi MSC vient de signer un accord avec le pétrolier Total qui assurera son approvisionnement par barges en attendant la mise sur pied d’un réseau plus dense.
Les ferries aussi…
La pollution en mer est une chose, la pollution à quai en est une autre, beaucoup plus sensible encore et ayant déclenché de vrais scandales dans les médias. Ainsi qu’une condamnation, en novembre 2018 à Marseille: celle du capitaine de l’Azura, paquebot géant de la flotte P&O, pour avoir “souhaité économiser de l’argent au mépris des poumons de tout un chacun”, suivant les termes saisissants utilisés par le procureur. Facture: 100.000 euros. C’est que les moteurs continuent à tourner pour l’alimentation électrique à bord. L’étude T&E évoquée plus haut affirmait ainsi que les navires de croisière ayant fait escale à Barcelone en 2017 y avaient rejeté presque cinq fois plus d’oxyde de soufre que l’ensemble du parc automobile de la ville.
Au-delà des progrès en cours, le CO2 demeure évidemment le grand défi de l’avenir, pour les navires de croisière comme pour les autres modes de transport.
“Les navires de croisière ne représentent en réalité qu’une petite partie du trafic, et donc de la pollution, dans la plupart des ports, relativise Patrick Pourbaix (MSC). Dans plusieurs d’entre eux, les ferries sont à eux seuls plus importants sur ce plan. Outre qu’ils utilisent du fuel plus léger en approche de la côte, nos navires sont, comme d’autres, équipés de filtres et catalyseurs qui retiennent 97% des émissions d’oxydes de soufre, ou encore 95% des oxydes d’azote”, poursuit-il. Les navires de croisière ont-ils été pris pour boucs émissaires? En partie peut-être, mais il reste que leur consommation à quai est sans commune mesure avec celle des cargos.
Branchement électrique à quai
De toute manière, une solution radicale se profile: il s’agit pour les navires à quai de se brancher sur un raccordement électrique, appelé shore power, ou encore cold ironing. De telles infrastructures restent malheureusement rares. “Tous nos bateaux sont dotés d’un branchement électrique, souligne le patron de MSC. Le problème, c’est que très peu de ports en sont équipés dès à présent. Le projet est toutefois sur les rails pour en équiper Toulon, Marseille et Nice à l’horizon 2023.” En fait, ces équipements sont déjà relativement répandus dans le nord de l’Europe, mais pas du tout dans le sud, pour ne retenir que notre continent. La réglementation européenne devrait imposer le raccordement à quai à l’horizon 2030.
L’Europa 2, paquebot du croisiériste allemand Hapag-Lloyd, va plus loin: son branchement électrique de Hambourg, son port d’attache, est alimenté en électricité verte. D’autres vont “plus loin” sur d’autres plans. Le dernier-né de la flotte MSC, le Virtuosa, est ainsi équipé d’un système de gestion des ondes acoustiques sous-marines, que l’on sait très néfastes pour les mammifères marins. En décembre 2020, le Jacques Cartier de la compagnie Ponant avait obtenu une certification dans le même domaine. Chez Ponant encore, le Commandant Charcot, le brise-glace qui naviguera jusqu’au pôle Nord, est propulsé au GNL au moyen d’un moteur hybride. Il pourra passer en mode de propulsion électrique pendant plusieurs heures, sans émissions de CO2.
Au-delà des progrès en cours, ce CO2 demeure évidemment le grand défi de l’avenir, pour les navires de croisière comme pour les autres modes de transport. Dans le secteur maritime, on songe à l’hydrogène vert et à l’ammoniac. Ou encore au vent, ajoute-t-on chez Ponant. Mais cela ne concerne que l’après-demain…
Classement NABU: il reste du travail!
La compagnie française Ponant se targue à juste titre d’être la mieux classée au palmarès NABU, l’association allemande de protection de la nature dont les notes attribuées aux croisiéristes font assez largement autorité. Seul le critère “filtres à particules” lui vaut un mauvais point… comme toutes ses consoeurs. Explication de Daniel Rieger, responsable du secteur des transports chez NABU: “Aucun navire de croisière n’est équipé d’un véritable filtre à particules comme les voitures, qui en éliminent jusqu’à 99,99%. Ce que les croisiéristes appellent ainsi n’est qu’un scrubber qui leur permet d’observer les normes légales tout en continuant à utiliser du fuel lourd”. Seule exception: Aida, qui se classe du reste 2e, devant MSC Cruises. L’allemand Hapag-Lloyd et le norvégien Hurtigruten (les ferries souvent appelés Express côtiers en français) occupent les 4e et 5e places. TUI est 6e. Les 12 croisiéristes qui suivent n’ont aucune bonne note parmi les critères concrets. La seule, dont tout le monde est gratifié, concerne leur engagement en faveur des objectifs de l’accord de Paris sur le climat. C’est-à-dire de bonnes intentions… Leur adoption de mesures d’efficacité énergétique accrue leur vaut parfois une note neutre. Mais pour le reste, c’est le rouge vif, que ce soit Royal Caribbean, Carnival, Princess Cruises, P&O, Holland America Line, Cunard. Et même Costa Cruises, un peu curieusement, vu ses navires propulsés au GNL.
Comment ont-ils tenu le coup?
Quelques croisiéristes de petite dimension ont fait faillite mais les grands noms du secteur sont toujours là. Comment ont-ils résisté à leur mise à l’arrêt prolongée? En réalité, plusieurs ont frisé la culbute, mais ils ont été secourus au prix fort. Le groupe Norwegian Cruise Line, qui avait prévenu ses actionnaires d’une possible faillite dès le printemps 2020, a trouvé son salut notamment auprès de Bernard Arnault, le patron de LVMH. Indirectement du moins, au travers de la société de private equity L Catterton dont il détient 40%. Cette société devrait à terme détenir 20% de Norwegian.
Le géant Carnival a obtenu une bouée de sauvetage géante, soit 24,6 milliards de dollars, mais à des conditions très lourdes. Dès avril 2020, il augmentait son capital en émettant des actions à 8 dollars… contre un cours de plus de 60 dollars deux mois plus tôt. Le groupe a surtout négocié des prêts à taux vertigineux. Le premier, mené avec Elliot Management et Apollo Global, serait gratifié d’un taux proche de 15%, a révélé le Financial Times. Au même moment, un emprunt de 4 milliards est lancé, garanti par la mise en gage de 87 navires. Carnival affiche une perte de 10,2 milliards de dollars pour l’exercice 2020.
Sort très différent pour MSC Cruises, qui ne représente que 15% environ du groupe MSC, numéro 2 mondial du fret maritime. Or, si ce dernier a également souffert en 2020, il s’est vivement redressé dès l’automne et affiche aujourd’hui une santé de fer. On n’oserait qualifier le croisiériste italo-suisse de vainqueur de la crise mais il est le seul ténor à ne pas en être sorti en vaincu.
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