Thomas Wauters (Accent): “Il faut investir dans le capital humain, il y a un besoin urgent de recycler et d’améliorer les compétences des travailleurs belges”
Face à cette vague de faillites et de licenciements actuelles, Thomas Wauters, expert chez Accent, explique pour Trends-Tendances quels sont les changements à envisager pour le marché du travail et quelles sont les solutions pour y arriver.
Les mauvaises nouvelles se succèdent et se ressemblent, elles ont pour nom Audi Forest, Esprit, Barry Callebaut, Van Hool… pour ne citer que ceux-là. Faillites, licenciement collectifs, restructurations, la Belgique est actuellement à l’orée d’une « zone de forte turbulence » comme le soulignait, il y a peu, Pieter Timmermans, le président de la Fédération des entreprises belges (FEB). Précisant, pour appuyer ses propos, qu’il avait reçu de nombreux “signaux d’inquiétude” de la part des entreprises et concluant: “Je pense que 2024 et 2025 seront compliquées.
Des années à venir difficile et une inquiétude justifiée si l’on regarde de plus près les chiffres des faillites compilés par Trends Business Information. Sur les quatre premiers mois de 2024, toutes les régions dépassent le chiffre de l’année passée. La Région flamande est à 2.245 faillites (1.986 durant la même période en 2023), Bruxelles est à 660 (508) et la Région wallonne à 1.009 (895). Un peu plus de 3.900 faillites, c’est plus qu’en 2019 (3.815) et plus qu’en avril 2023 (3.401).
S’il semble évident, au vu des derniers événements, que l’économie belge n’échappera pas à cette zone de turbulences, peut-être est-il possible de les atténuer afin de la préparer à un redécollage ? Pour Thomas Wauters, expert chez Accent, cette idée ne semble pas si utopique que cela. Mieux, il nous livre quelques-unes des suggestions qu’il appliquerait pour redynamiser le marché de l’emploi : trajets de transition, activation des 55 ans et plus sans passage par la case retraite, investir (plus) dans la formation, changer la politique actuelle des licenciements… Voilà autant de pistes pour faire redécoller l’économie de notre pays.
Qu’entendez-vous par “trajets de transition” ?
Les trajets de transition, en particulier ceux décrits dans l’accord de 2022 sur l’emploi (Job Deal, ndlr), visent à faciliter les transitions entre le monde du travail et les salariés qui risquent d’être licenciés. Ils permettent aux salariés de commencer un nouvel emploi pendant leur période de préavis, et d’utiliser ce temps comme une période d’essai, avec la possibilité d’obtenir un emploi permanent à la fin. Le trajet de transition peut être proposé par l'(ancien) employeur, mais l’employé peut également en faire la demande. Toutefois, il se fait toujours sur base purement volontaire dans le chef du travailleur et ne peut lui être imposé. Cette approche permet d’éviter les interruptions dans la carrière de l’employé.
D’autre part, il existe des “trajets de transition” au sens large, où nous voulons guider un employé vers un nouvel emploi avant même qu’il ne soit licencié. L’apprentissage, soit la formation sur le lieu de travail, joue un rôle crucial dans ces parcours, car il est une « garantie » de leurs compétences.
De quelle manière pourraient-ils apporter une solution à la situation actuelle ?
Compte tenu des changements actuels sur le marché du travail, il est essentiel d’adopter une nouvelle perspective. Les employeurs se retrouvent de plus en plus dans un rôle de candidats, cherchant activement à attirer et à retenir les talents à l’aide de stratégies créatives. Ces stratégies comprennent des compléments de rémunération, une meilleure image de l’entreprise et bien évidemment l’accent est mis sur le bien-être en tant qu’élément-clé.
Ce resserrement structurel a modifié, et quelque peu rééquilibré, la dynamique du pouvoir entre les employeurs et les employés. En réponse, des nouvelles mesures sont essentielles pour soutenir cette nouvelle dynamique. Il est indispensable de mettre en place des cadres juridiques clairs et d’encourager le gouvernement à fournir une aide aux trajets de transition. Cette aide devrait aller au-delà de la simple compensation et se concentrer sur la requalification proactive et la réaffectation des employés, afin de les préparer aux changements qui surviennent actuellement sur le marché du travail.
Les trajets de transition offrent une solution globale lors de licenciements économiques ou de faillite des entreprises. En facilitant de manière proactive le mouvement des employés vers de nouveaux postes avant ou pendant leur période de préavis, ces trajets profitent à toutes les parties concernées:
– Pour l’employeur actuel : l’employeur, en proie à des difficultés financières, peut soutenir ainsi ses employés, en les aidant à trouver un nouvel emploi. Il peut également y avoir des avantages financiers, comme une réduction des coûts de licenciement.
– Pour le nouvel employeur : Les trajets de transition permettent aux nouveaux employeurs d’intégrer immédiatement les employés, sans le délai d’une période de préavis. Cette intégration rapide réduit ainsi les perturbations souvent associées à l’embauche de nouveaux employés.
– Pour l’employé : L’assurance d’avoir un contrat à durée indéterminée de la part du nouvel employeur à la fin du processus de transition et donc une sécurité de l’emploi. En outre, les protections légales garantissent aux employés de conserver les avantages acquis, tels que ceux liés aux interruptions de carrière ou aux congés thématiques.
Quelle différence voyez-vous entre ces trajets de transition et l’outplacement ?
Les trajets de transition et l’outplacement sont tous deux des stratégies conçues pour aider les travailleurs à passer d’un travail à l’autre, mais ils fonctionnent différemment et offrent des avantages différents.
L’outplacement est traditionnellement un service fourni par les employeurs pour aider les salariés à se réorienter, souvent dans le cadre d’un licenciement. Ce service comprend généralement une aide à la rédaction de CV, un accompagnement professionnel, des conseils en matière de recherche d’emploi et, parfois, un soutien émotionnel. Toutefois, l’outplacement a tendance à être réactif, intervenant après qu’un salarié ait été licencié. En outre, il est souvent assorti de restrictions telles que des limites d’âge ou des durées minimales d’emploi. L’objectif de l’outplacement est plutôt dans l’immédiat : retrouver un nouvel emploi, plutôt que sur un développement plus large de la carrière.
Les trajets de transition, en revanche, représentent une approche plus souple et plus proactive. Ils ne se limitent pas aux situations de licenciement, mais peuvent être mis en place à tout moment lorsque l’employeur et l’employé décident d’un commun accord de s’engager dans le processus. Les trajets de transition sont également plus inclusifs, car ils s’adressent à un groupe cible plus large sans les conditions restrictives souvent associées aux services d’outplacement. De plus, le trajet de transition offre un éventail plus large de soutiens qui vont au-delà du simple replacement.
Selon vous, comment les personnes âgées de 55 ans et plus doivent-elles aborder la recherche d’un nouvel emploi après un licenciement économique ?
Pour les personnes âgées de 55 ans et plus, la recherche d’un emploi après un licenciement économique présente des défis et mais aussi des opportunités. Ces travailleurs devraient adopter une approche à multiples facettes pour améliorer leur employabilité et faire en sorte que la transition vers de nouvelles opportunités d’emploi se passe en douceur.
Ces travailleurs possèdent une multitude de compétences et d’expériences qui peuvent s’avérer très précieuses. Il est donc essentiel pour eux de mettre en valeur non seulement leurs compétences techniques, mais aussi d’autres compétences, telles que le leadership, la communication et la capacité à résoudre des problèmes.
Pour rester compétitifs sur le marché du travail, les travailleurs de 55 ans et plus doivent s’engager à suivre des cours et des formations appropriés. Les trajets de transition peuvent aussi aider les travailleurs plus âgés à explorer d’autres options de carrière et des secteurs où leurs compétences pourraient être recherchées.
Vous préconisez l’introduction d’un droit de licenciement plus actif. Pouvez-vous développer cette notion ?
Plaider en faveur d’une loi sur le licenciement plus active implique de passer d’une approche traditionnelle axée sur une compensation (statique) à un modèle qui met l’accent sur un soutien dynamique et proactif aux employés en transition. Cette approche vise à mieux s’aligner sur les réalités du marché du travail moderne et sur les besoins des employés et des employeurs.
Souvent la loi actuelle sur le licenciement, qui repose principalement sur une compensation, ne parvient pas à soutenir les employés dans leur transition professionnelle. Cela reflète un décalage important avec l’évolution du marché du travail. Pour y remédier, nous proposons de passer à une “loi sur le réemploi” (“reemployment law”) qui ne considère pas le licenciement comme une fin, mais comme le début d’une nouvelle phase de carrière. Cette “reemployment law” offrirait un soutien substantiel à la recherche d’un nouvel emploi, des conseils, des programmes de reconversion,… afin d’aider les travailleurs à adapter leurs compétences aux besoins actuels du marché du travail.
Il est également essentiel d’encourager employeurs et employés à participer activement à ce redéploiement. L’introduction d’incitants tels que des allégements fiscaux ou des subventions pourrait permettre aux deux parties de s’engager dans le développement professionnel continu.
En transformant la loi sur le licenciement en une loi plus active sur le réemploi, nous pouvons créer un environnement plus dynamique et plus favorable qui non seulement indemnise les employés, mais les aide aussi activement à naviguer lors des transitions de leur carrière.
En cas de licenciements collectifs, la loi Renault est-elle suffisante pour protéger les travailleurs ? Ou doit-elle être modifiée ?
La loi Renault traite principalement des aspects procéduraux de ces licenciements, en donnant aux employés et aux syndicats le temps d’en évaluer l’impact et d’explorer des alternatives. Parallèlement à la phase de consultation, syndicats et employeurs engagent généralement des négociations sur le plan social. Ce plan aborde les conséquences de la réorganisation pour les salariés qui partent et pour ceux qui restent : fixer le montant des indemnités de départ, les services de reclassement, les possibilités de formation, etc. Toutefois, l’accent mis sur la transparence des procédures ne s’étend pas suffisamment à la préservation proactive de l’emploi ou à la transition. Or celles-ci sont de plus en plus vitales dans un marché du travail qui évolue si rapidement.
Pour remédier à ces lacunes, la loi Renault gagnerait beaucoup à intégrer des trajets de transition. En actualisant la loi Renault pour y inclure ces mesures proactives en faveur de l’emploi, la Belgique peut mieux protéger les salariés, non seulement par des indemnités après un licenciement, mais aussi en renforçant leur résilience et leur capacité d’adaptation.
Selon vous, quelles sont les causes de la vague de faillites et de licenciements que connaît actuellement la Belgique ?
La vague de faillites (et les licenciements qui s’en suivent) que connaît actuellement la Belgique est due à une combinaison de plusieurs facteurs : la volatilité de l’économie au niveau mondial, les rapides changements technologiques et les effets persistants de la pandémie de COVID-19. Ces facteurs ont non seulement mis à rude épreuve la stabilité financière des entreprises, mais ont également accéléré les changements dans divers secteurs.
Quelles seraient les solutions pour y remédier ?
Pour relever ces défis, la Belgique a besoin d’une stratégie globale qui s’attaque à la fois à la détresse financière actuelle des entreprises et aux changements plus larges et à long terme du marché du travail. Une aide financière ciblée sur les secteurs les plus vulnérables peut aider et empêcher de nouvelles pertes d’emploi. Il pourrait s’agir de subventions directes ou de prêts à faible taux d’intérêt spécialement conçus pour les petites et moyennes entreprises qui constituent l’épine dorsale de l’économie belge.
Il faut également investir dans le capital humain. Il y a un besoin urgent de recycler et d’améliorer les compétences des travailleurs belges. La Belgique pourrait étendre les initiatives existantes axées sur la formation et les intégrer à des trajets de transition proactifs qui aident les travailleurs à retrouver de nouveaux emplois.
Encourager l’esprit d’entreprise est une autre étape essentielle. Réduire les obstacles bureaucratiques et les charges, qui pèsent sur les entrepreneurs, pourraient faire de la Belgique un endroit plus attrayant pour les start up et les entreprises.
Enfin, le passage d’une approche traditionnelle du licenciement basée sur les indemnités à une approche qui privilégie le réemploi et le développement professionnel continu peut transformer le marché du travail.
Nous parlons des changements à apporter au marché du travail, qui devient de plus en plus instable ? Quels sont ces changements ?
Le marché du travail belge est confronté à des défis importants, qui se traduisent par des taux d’emploi plus faibles, des carrières plus courtes et une participation limitée à la formation, si on compare aux pays scandinaves. Ce mauvais « bulletin » entraîne un retard de la croissance et de la productivité.
En outre, les exigences des employés et des employeurs ont évolué de manière significative, mettant en évidence l’incompatibilité d’une législation rigide et obsolète.
Pour faire face à l’instabilité et à l’évolution des défis du marché du travail belge, une série de changements substantiels doivent être mis en œuvre. Ces changements visent à revitaliser le marché en promouvant la flexibilité, en renforçant la sécurité de l’emploi et en s’adaptant aux nouvelles réalités économiques.
En Belgique, on pourrait simplifier les procédures de licenciement actuelles afin de les rendre moins lourdes et moins coûteuses pour les employeurs, cela pourrait renforcer, à son tour, la confiance dans l’embauche.
Le rythme rapide des changements technologiques et la concurrence mondiale pour les talents nécessitent une main-d’œuvre flexible, qualifiée et qui met continuellement ses capacités à jour. La Belgique devrait donner la priorité aux formations, axées sur la demande.
Pour lutter contre la baisse de la participation aux formations et assurer l’apprentissage des travailleurs, la Belgique pourrait envisager d’encourager un apprentissage continu. Pour ce faire, des avantages fiscaux pourraient être accordés aux employeurs qui proposent des formations et aux employés qui s’y engagent. En outre, la création de formations plus accessibles et plus flexibles, telles que des plateformes en ligne proposant des cours certifiés pouvant être suivis à des rythmes différents, permettrait de répondre aux divers besoins d’apprentissage.
En adoptant ces stratégies, la Belgique peut créer un marché du travail qui est non seulement compétitif, mais aussi suffisamment solide pour prospérer.
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