Thierry Navarre (chief transformation officer de Ontex): “Nous devons retrouver notre crédibilité”
Le producteur de couches Ontex doit faire face à une hausse des prix des matières premières, des fluctuations des cours de change et une concurrence intense. Et les investisseurs ne voient pas d’un bon oeil cette conjonction de vents contraires. Mais Thierry Navarre, le “chief transformation officer” du groupe alostois, en est persuadé : son entreprise va résister à la tempête.
Pour renouer avec la croissance, Ontex a hissé la grand-voile. L’an dernier, le chiffre d’affaires s’était contracté de 1,8% à 2,29 milliards d’euros. Et sur les six premiers de l’année, la multinationale cotée en Bourse qui vend des couches pour bébés, des produits pour l’incontinence et des produits d’hygiène féminine a enregistré une nouvelle baisse du chiffre d’affaires comparable de 1,3%. Pour le CEO Charles Bouaziz, la mission est claire : ” Enregistrer une croissance plus rapide que le marché, améliorer la rentabilité et générer davantage de cash. ” Transform2Grow (T2G), le plan de transformation annoncé en mai, doit inverser la tendance. Mais il n’a pas convaincu les analystes et les investisseurs.
Nous constatons déjà que nos actions commencent à porter leurs fruits mais ce n’est pas encore le big bang. Celui-ci est plutôt programmé pour 2020 et 2021.
Le plan a été accueilli plutôt froidement lors de sa présentation à la journée des investisseurs à Londres. Et l’action Ontex en a immédiatement fait les frais. Aujourd’hui, elle s’échange toujours plus de 40% sous son niveau d’il y a un an. ” Nous observons un peu de frustration sur les marchés parce que la transformation n’a pas de résultats immédiatement visibles “, reconnaît Thierry Navarre, chief transformation officer (CTO) d’Ontex et, à ce titre, responsable de la mise en oeuvre du plan triennal. ” Ce n’est pas un message aisé à faire passer. Nous ne sommes manifestement pas parvenus à convaincre le monde extérieur, et c’est également une grande source de frustration pour moi. Mais les résultats vont arriver, on le verra trimestre après trimestre “, affirme le Français.
Thierry Navarre a une grande expérience de l’univers des biens de grande consommation. Le quinquagénaire a passé plus de 13 chez Ontex. A ses débuts, il a même travaillé sous Bart Van Malderen, le fils de Paul Van Malderen, le fondateur d’Ontex ( lire l’encadré ” Bart Van Malderen toutes voiles dehors avec Drylock “).
TRENDS-TENDANCES. Quel regard portez-vous aujourd’hui sur cette période?
THIERRY NAVARRE. Beaucoup de choses ont changé, très vite. Depuis notre entrée en Bourse en juin 2014, le chiffre d’affaires est passé de 1,3 milliard à 2,3 milliards. Ce qui était une entreprise principalement européenne s’est transformé en un groupe d’envergure mondiale présent en Amérique et en Afrique. Quand j’ai commencé, nous produisions 98% de marques de distributeur. Il y a cinq ans, elles représentaient encore une partie importante de nos activités, entre 70 et 80%. Aujourd’hui, c’est 50/50. Nos marques propres sont aussi importantes. Ces dernières années se sont apparentées à des montagnes russes pour l’industrie en général et pour Ontex en particulier.
Cela a été difficile ?
Si la crise de ces dernières années s’était déclenchée en 2006, nous ne parlerions plus d’Ontex. Nous avons été confrontés aux pires difficultés que l’entreprise et l’industrie en général ont jamais connues. Entre 2016 et 2018, la hausse des prix des matières premières et les fluctuations des taux de change nous ont coûté plus de 110 millions d’euros. Il est difficile d’amortir un tel montant avec un chiffre d’affaires mondial de 2,29 milliards et un bénéfice de 97 millions d’euros. C’est notre job, mais cela prend du temps. Combien ? C’est la question.
Avez-vous une réponse ?
Nos résultats en souffrent, mais sont toujours solides. Les cash-flows sont toujours positifs, même s’ils sont en recul. Dès que nous aurons mené à bien notre plan de transformation, nous renouerons avec la croissance. Nous sommes beaucoup plus solides qu’à mes débuts. En 2007, notre endettement correspondait à plus de 7,5 fois l’Ebitda ( les cash-flows opérationnels, Ndlr), et les taux étaient beaucoup plus élevés. Aujourd’hui, nous en sommes à 3,5. C’est une position solide.
Quelles sont les grandes lignes de votre plan de transformation ?
Ceux qui ne sont pas capables de se remettre en cause et de tout repenser ne survivent pas longtemps. Nous devons étendre nos activités. Le secteur a changé. Nous avons établi un plan de transformation global et durable avec une petite équipe, au siège d’Alost. Nous avons également bénéficié de l’apport de personnalités clés dans l’organisation mondiale. Plus de 250 personnes ont été impliquées. Le plan transformation final est très détaillé, avec plus de 1.900 initiatives. Il comprend des réductions des coûts, mais porte surtout sur notre manière de travailler, tant sur le plan opérationnel que commercial. C’est à ce niveau que nous voulons évoluer pour accélérer et maximiser la création de valeur. Une partie de l’effort porte sur la formation de notre personnel. Nous n’y avions encore jamais autant investi.
Vous investissez plus de 130 millions sur trois ans. Comment se déroule la mise en oeuvre du plan ?
Nous sommes entrés dans la phase de réalisation depuis mai. Nous avons développé une approche spécifique pour gérer les avancées. Nous analysons les principales initiatives chaque semaine. L’avantage de cette approche est que rien n’est mis sous le tapis. Nous constatons déjà que nos actions commencent à porter leurs fruits mais ce n’est pas encore le big bang. Celui-ci est plutôt programmé pour 2020 et 2021.
L’action Ontex a perdu beaucoup de terrain en Bourse. Les investisseurs semblent avoir perdu confiance. Comment inverser la tendance ?
Ces derniers trimestres, nous n’avons pas totalement répondu aux attentes et cela a affecté la confiance. Les analystes disent : ” C’est peut-être un bon plan, mais pourquoi devrions-nous y croire ?” Désormais, nous devons apporter des résultats trimestre après trimestre. The proof of the pudding is in the eating… C’est la seule manière de rétablir la confiance.
Vous devez reconstruire l’entreprise tout en enregistrant des résultats à court terme. Est-ce possible ?
Cela peut sembler contradictoire. Quand tout va bien, les investisseurs s’intéressent au long terme. Cela a été le cas au cours des quatre premières années qui ont suivi l’entrée en Bourse. Quand l’environnement se dégrade, le court terme gagne en importance. Il faut être prudent et ne pas uniquement tenir compte du court terme. Nous nous engageons pour le long terme. Pas pour le prochain trimestre, pas pour un an, pas pour vendre l’entreprise. Notre plan consiste à investir durablement pour changer l’entreprise et continuer à grandir sur ce marché. Un marché qui demeure très attrayant et qui reste en croissance au niveau mondial.
Vous aviez montré beaucoup d’ambition à votre entrée en Bourse il y a cinq ans. Ontex devait devenir l’AB InBev des couches pour bébé. Ne regrettez-vous pas cette attitude ?
Personne ne peut prédire l’avenir. Personne n’attendait les conditions de marché difficiles de 2017 et 2018, avec des cours des matières premières historiquement élevés et des taux de change très volatiles. Cela a interrompu notre rêve à court terme. Mais nous ne l’avons jamais assorti d’aucun calendrier. Nous le poursuivons toujours. Il y a un sens à vouloir qu’Ontex joue un rôle de leader dans cette industrie. L’hygiène personnelle est un des rares secteurs toujours en croissance dans les biens de grande consommation. Il n’est pas concentré. Les acteurs du top 5 – nous sommes cinquième – détiennent environ la moitié du marché mondial. L’autre moitié est entre les mains de centaines d’acteurs locaux. Cette industrie est mûre pour une consolidation.
L’hygiène personnelle est un des rares secteurs toujours en croissance dans les biens de grande consommation.
Voyez-vous Ontex jouer un rôle dans ce mouvement de consolidation ?
Nous sommes bien placés pour le faire parce que notre modèle d’affaires est compatible avec les attentes des acteurs du secteur. Quand nous procédons à une acquisition, nous laissons la marque subsister. Cette attitude s’inscrit dans la tendance selon laquelle les marques globales perdent des parts de marché, alors que les marques locales en gagnent. Notre seul problème est le cash nécessaire pour procéder à des acquisitions. Cela met un frein à notre stratégie. Nous devons d’abord améliorer nos résultats à court terme. C’est une question de priorité. Nous devons retrouver notre crédibilité, générer du cash, puis poursuivre la consolidation. Il ne s’agit pas de consolider pour consolider. Il s’agit de consolider parce que notre activité manque de taille et de capacité de réaction. Nous pourrons ainsi créer davantage de valeur pour toutes les parties prenantes.
Voyez-vous encore des opportunités pour des acquisitions ?
Elles sont encore nombreuses dans les régions où nous avons déjà des connexions : en Amérique du Nord et en Amérique du Sud, en Afrique. A long terme, on ne pourra pas éviter l’Asie. Nous n’y sommes guère présents aujourd’hui. C’est le plus grand marché au monde et celui qui enregistre la croissance la plus rapide. Mais ce n’est pas un marché facile. La culture est totalement différente et l’aspect culturel est très important dans notre activité.
Entre-temps, la concurrence ne reste pas les bras croisés. Ontex est-elle suffisamment innovante pour surfer sur les nouvelles tendances ?
L’innovation est cruciale dans les biens de grande consommation. Dans les marques propres, le consommateur attend sans cesse de nouveaux produits et nous y travaillons. Pour les marques de distributeurs, il faut pouvoir réagir rapidement aux demandes des distributeurs, en restant attentifs aux coûts. Nous avons adapté notre organisation de recherche et développement pour mieux servir ces deux segments. Nous observons aujourd’hui une accélération des processus d’innovation, surtout dans les marques de distributeur où nous n’étions pas toujours suffisamment rapides. Mais nous arrivons au niveau requis. Les innovations sont créatrices de valeur, surtout sur des marchés matures comme l’Europe ou l’Amérique du Nord.
Ontex participe-t-elle à une guerre des prix meurtrière ?
C’est en cela que nous nous différencions de certains concurrents. Certains veulent préserver leurs parts de marché à tout prix. Cela leur permettra peut-être de croître à court terme mais, à long terme, ce n’est pas une bonne chose. On perd de l’argent et on limite sa capacité à continuer à investir. Nous étions un des premiers dans le secteur à relever nos prix, même si nos volumes en ont souffert. Cela fait mal à court terme, mais c’est un mal nécessaire. On voit à présent que les grands noms aussi relèvent leurs tarifs. C’est la seule manière de pouvoir investir à nouveau.
La pression qui pèse sur Ontex est énorme. Comment la gérez-vous ?
Nous avons fait un choix, nous devons l’assumer. Le monde extérieur n’a pas un regard très positif sur l’entreprise et se pose beaucoup de questions. Cela a également un effet sur notre personnel. Je prends le temps d’aller expliquer le plan en interne et d’écouter les réactions. Je me rends sur les sites de production des différents pays. On ne peut pas mettre en oeuvre une telle transformation en restant assis sur sa chaise, à Alost. Ontex est un diamant brut que nous continuons à polir. Certaines faces brillent déjà, mais il reste beaucoup à faire.
– 52 ans
– Diplôme d’administration des affaires à l’Ecole supérieure de commerce de Nantes et master en logistique industrielle à l’Institut supérieur de logistique industrielle de Bordeaux
– 1991-1997 : fonctions dans la logistique et la distribution chez Jamont (désormais Georgia Pacific)
– 1997-2001 : fonctions dans la logistique et la distribution chez Fort James (désormais Georgia Pacific)
– 2001-2005 : positions de management dans les départements Achats et Distribution d’InBev (désormais AB InBev)
– 2005-2006 : ” director of strategy & development ” de InBev France
– 2006-2009 : ” group supply chain director ” et ” general manager ” pour la division Europe de l’Est de Ontex
– 2009-2018 : ” chief operating officer ” de Ontex
– Depuis 2019 : ” chief transformation officer ” de Ontex
Bon sang ne saurait mentir. Avec Drylock, l’entrepreneur Bart Van Malderen possède à nouveau une entreprise d’envergure internationale – qui enregistre une belle croissance de surcroît. Bart Van Malderen est le fils du fondateur d’Ontex, Paul Van Malderen. C’est lui qui a amené l’entreprise familiale en Bourse en 1998. Cinq ans plus tard, Ontex était rachetée par le fonds britannique de private equity Candover et retirée de la Bourse. Van Malderen a quitté le groupe en 2007 pour réapparaître dans le même secteur cinq ans plus tard avec Drylock. Au début du mois, Bart Van Malderen a annoncé que Sofina, le holding coté en Bourse de la famille Boël, allait investir 150 millions d’euros dans son entreprise en échange d’un quart des actions. Drylock, qui vaut déjà 600 millions d’euros après sept ans d’existence, table pour cette année sur un chiffre d’affaires de 500 millions d’euros. Basé à Zele (Flandre-Orientale), le groupe emploie 2.500 personnes. Drylock possède également neuf sites de production en Russie, en Italie, en Tchéquie, en Espagne, aux Etats-Unis et au Brésil.
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