Télés locales: l’heure des fusions a sonné…
La nouvelle majorité MR-Engagés veut remettre de l’ordre dans le paysage des médias de proximité. Rationalisation et fusions sont au programme forcé des 12 télévisions locales de la Fédération Wallonie-Bruxelles qui pourraient bien voir leur nombre raboté. Décryptage.
RTC Télé Liège est morte, vive le nouveau Qu4tre ! N’y voyez aucune faute d’orthographe, le média de proximité liégeois se prononce désormais comme le chiffre 4, en s’écrivant toutefois de manière disruptive, avec l’intrusion audacieuse de ce symbole numérique à la place du a. Comme disent les ados d’aujourd’hui : “T’as pas la réf’ ?”. Eh bien, sachez que les jeunes Liégeois balancent justement “Je viens du 4” quand on les interroge sur leur ville d’origine. Véritable point de repère géographique, ce chiffre fait doublement référence au code postal et au préfixe téléphonique de la Cité ardente et de ses environs, CQFD.
A priori cosmétique, cette transformation de RTC Télé Liège en un flambant neuf Qu4tre est loin d’être anecdotique. Conçue par l’agence Minale Design Strategy, cette révolution graphique et identitaire souligne en effet le virage stratégique qu’ont pris récemment les 12 télévisions locales de la Fédération Wallonie-Bruxelles, rebaptisées médias de proximité en 2020. Car l’information locale ou régionale ne se consomme plus seulement sur “la télé de papa”. Elle se doit d’être également présente sur les “nouveaux” canaux médiatiques (réseaux sociaux, plateformes de streaming, applications mobiles, etc.) pour capter précisément l’attention des jeunes qui boudent de plus en plus la télévision linéaire.
Télés locales 2.0
Pour le directeur général de Qu4tre, ce rebranding habile était indispensable : “Le nom RTC accolé à Télé n’est plus d’actualité, explique Julien Modave. On ne parle plus de télé ni de téléspectateurs, mais bien de viewers qui consomment l’information, au sens large, quand ils le souhaitent. D’ailleurs, notre audience est aujourd’hui deux fois plus élevée sur les plateformes numériques qu’en télévision linéaire. Dans cette logique, nous avons par exemple lancé une nouvelle émission web first et nous sommes aussi devenus le premier média de proximité à créer une application mobile dédiée. Cette digitalisation devient fondamentale pour toucher de nouvelles cibles et élargir l’audience.”
La transition numérique des anciennes télés locales est en marche depuis quelques années déjà. Dans son Mémorandum publié au printemps dernier, l’ex-Fédération des télévisions locales devenue Réseau des Médias de Proximité rappelle que ses 12 entités (BX1, Télésambre, Vedia, Notélé, Boukè, etc.) génèrent non seulement une audience groupée de 600.000 téléspectateurs par jour, mais flirtent aujourd’hui avec les trois millions de visiteurs uniques chaque mois sur leurs sites web et affichent plus de 800.000 fans cumulés sur les différentes pages Facebook de ces médias locaux (contre 300.000 en 2019). Sans compter les followers sur les pages Instagram, LinkedIn, TikTok, X, Spotify, YouTube et autre Twitch de ces 12 chaînes…
Un luxe audiovisuel
Malgré leurs bons chiffres qui attestent de l’intérêt réel du public pour une information de proximité, ces médias locaux sont toutefois mis sur la sellette et l’avenir de certains d’entre eux se voit même compromis. Depuis quelque temps déjà, de nombreux observateurs pointent en effet le “luxe”, pour la Fédération Wallonie-Bruxelles, de “posséder” 12 télévisions régionales sur un territoire plus petit que deux départements français réunis, soit 17.000 km². Un luxe audiovisuel qui a un coût puisque ces médias de proximité emploient aujourd’hui 386 équivalents temps plein (dont 136 journalistes), majoritairement financés par les pouvoirs publics. En 2023, la Fédération Wallonie-Bruxelles a ainsi libéré 13 millions de subsides pour ses 12 chaînes locales (contre 7,5 millions en 2019), auxquels s’ajoutent de nombreux autres millions sous la forme de subventions et aides diverses de la part de l’Etat fédéral, des Régions, des provinces, des villes et des communes (soit quelque 30 millions au total).
Il y a deux ans, le MR Pierre-Yves Jeholet, alors ministre-président francophone, appelait déjà à une “réforme sismique” de ce pôle public, en pointant le surnombre des télés wallonnes dans une interview au Soir (“11 structures, c’est bien trop !”), mais la ministre des Médias de l’époque, l’Ecolo Bénédicte Linard, s’en accommodait parfaitement. Difficile, dès lors, d’entamer cette réforme…
Or, depuis, le vent a tourné. La coalition Azur a remporté les élections au sud du pays et pour le nouveau gouvernement MR-Engagés, l’heure est à la rationalisation et aux économies (on l’a vu avec le tram de Liège). Dans sa déclaration de politique communautaire du 11 juillet dernier, une petite phrase ne laisse d’ailleurs planer aucun doute au sujet des médias de proximité : “Un cadre permettant des fusions volontaires sera établi”.
“Faire rentrer le privé, ce n’est pas nécessairement faire rentrer le diable, pour autant que ces acteurs restent minoritaires.”- Alain Mager (président du Réseau des Médias de Proximité)
Le changement, c’est Galant
C’est désormais la MR Jacqueline Galant qui est aux commandes du ministère des Médias en Fédération Wallonie-Bruxelles et la Jurbisienne a la réputation de bousculer volontiers les dossiers. Son président Georges-Louis Bouchez la qualifie d’ailleurs de “bulldozer”, lui-même qui annonçait la couleur sur Télé MB après sa victoire électorale du 10 juin : “Les télévisions locales vont évoluer pour plus d’efficacité et pour un meilleur usage des deniers publics, expliquait alors GLB. Il faut revoir le nombre et la manière de travailler en commun”.
Rationalisation, mutualisation, restructuration et fusion semblent donc être le quadruple mot d’ordre de la nouvelle majorité dans ce dossier. Contactée, la nouvelle ministre francophone des Médias n’a toutefois pas souhaité, pour l’instant, répondre à nos questions pour confirmer (ou pas) cette stratégie et ses objectifs pour les médias de proximité. “Madame Galant veut d’abord rencontrer les principaux concernés avant de se prononcer publiquement, explique son porte-parole. La priorité est donnée aux acteurs de terrain. La presse, ce sera pour plus tard.”
Le silence de la ministre en dit long. A un mois des élections communales, il vaut mieux ne pas trop secouer le cocotier, histoire de ne pas fâcher les bourgmestres, friands de visibilité bienvenue sur “leur” télé locale. Il n’en reste pas moins que les prochaines semaines seront chaudes pour ces médias de proximité avec ce spectre des fusions qui plane désormais au-dessus de leur institution.
“Je veux bien qu’on parle de fusions, mais qu’on ne vienne pas nous donner de leçon quand c’est le politique qui nous met justement des bâtons dans les roues, réagit Alain Mager, président du Réseau des Médias de Proximité. Pour Télé MB et Antenne Centre, nous avions par exemple le projet d’un bâtiment commun et ce sont précisément les bourgmestres qui ont refusé ! Mais ce qui importe, au final, ce n’est pas le nombre de structures, mais bien leur gestion et les résultats. Nous ne sommes ni connus ni reconnus par le monde politique pour ce que nous faisons. La majorité de ces télés sont bénéficiaires et nous n’avons pas attendu le gouvernement pour amorcer notre transition numérique. Aujourd’hui, notre crédibilité est réelle et l’identification des citoyens aux médias de proximité est forte. Alors, bien sûr, on peut encore évoluer, mais faisons-le de manière cohérente et concertée.”
L’évidence des fusions
Lorsque l’on examine la carte des médias de proximité en Fédération Wallonie-Bruxelles, certaines incohérences sautent toutefois aux yeux. Là où, en province de Liège, deux télés régionales (Qu4tre et Vedia) couvrent le territoire, on en retrouve quatre en Hainaut pour une superficie équivalente. Alors, bien sûr, Tournai (NoTélé) n’est pas Charleroi (Télésambre), mais la montoise Télé MB et la louviéroise Antenne Centre pourraient aisément fusionner, d’autant plus que cette nouvelle chaîne couvrirait 24 communes géographiquement et culturellement très proches, soit un nombre quasi équivalent aux deux autres médias de proximité hainuyers (23 communes pour Notélé et 30 pour Télésambre).
Mais c’est surtout l’enclave Canal Zoom qui pose aujourd’hui question. Coincée entres les provinces de Namur et du Brabant wallon, la télé gembloutoise Canal Zoom ne couvre en effet que quatre communes (!) – une Namuroise (Gembloux) et trois brabançonnes (Chastre, Perwez et Walhain) – qui pourraient facilement être intégrées à leurs grandes sœurs TV Com (basée à Ottignies) et Boukè (installée à Namur), dont la couverture est plus large avec une vingtaine de communes reprises chacune dans leur rayon d’action. La carte des médias de proximité wallons en serait allégée, même si certains estiment qu’on pourrait aller encore plus loin dans la rationalisation namuroise en fusionnant Boukè et la Rochefortoise Matélé qui ne couvre que 16 communes dans la même province. “La qualité de l’info n’en serait pas altérée et l’identité namuroise en ressortirait même renforcée”, lance cet observateur.
Ouvrir au privé
Dans ce scénario de triple fusion, il ne resterait plus “que” neuf médias de proximité en Fédération Wallonie-Bruxelles (contre 12 actuellement), ce qui permettrait déjà quelques économies d’échelle. Mais certains veulent aller plus loin dans la restructuration des télévisions locales et évoquent l’idée, comme Georges-Louis Bouchez, d’un modèle “à la France 3”, porté par une ossature commune avec des décrochages régionaux. Ce qui serait une vraie révolution que certains qualifient déjà de “RTBF bis”…
Mais il y a plus concret. Pour gagner en efficacité et revoir surtout le système des subventions publiques, d’autres reviennent avec cette ancienne proposition du MR d’ouvrir le capital des télés locales à des acteurs du secteur privé, exactement comme cela se fait en Flandre. En 2016, le rapport “Sauver les télévisions locales en Wallonie” produit par le Centre Jean Gol lançait déjà ce pavé dans la mare, relayé à l’époque par le député Olivier Maroy au sein du Parlement wallon. Une piste qui mérite à nouveau d’être explorée ? “Je n’ai pas de souci avec ça, rétorque Alain Mager, président du Réseau des Médias de Proximité. Faire rentrer le privé, ce n’est pas nécessairement faire rentrer le diable, pour autant que ces acteurs privés restent minoritaires.”
Ce genre d’opération pourrait en effet donner un coup de fraîcheur aux télés locales et, pourquoi pas, rebattre les cartes de l’écosystème audiovisuel wallon. Car des structures publiques qui ouvrent leur capital à des investisseurs privés peuvent aussi se transformer en belles histoires dopées à l’efficacité. L’opérateur Belgacom devenu Proximus en est un bel exemple, avec l’Etat belge qui a cédé un nombre important de ses participations, tout en restant majoritaire à plus de 53%. Mais pour franchir ce cap, il faut du courage politique et, surtout, une vision.
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