Sunrise et Bloomlife : quand la medtech belge conquiert le marché américain

Sunrise a développé un dispositif médical pour diagnostiquer l’apnée du sommeil. © Getty Images
Christophe Charlot
Christophe Charlot Journaliste

Imaginer et concevoir un dispositif médical connecté en Belgique. Et se développer commercialement aux États-Unis. C’est le choix stratégique qu’ont fait, chacune de leur côté, deux start-up belges prometteuses de la santé digitale.

C’est à l’occasion de l’engagement d’une spécialiste de la croissance, Laura Warnier, ancienne de la licorne tech autrichienne GoStudent, que la jeune entreprise namuroise Sunrise – déjà active en Californie – a dévoilé son intention de se déployer largement sur l’ensemble du marché américain.

Pourtant, la firme est bien d’origine belge et c’est dans notre pays que l’ensemble des développements technologiques ont été réalisés. Sunrise a développé un dispositif médical pour diagnostiquer l’apnée du sommeil. L’entreprise propose un capteur léger et facile à utiliser, qui se place sous le menton du patient pendant une nuit de sommeil. Le capteur enregistre les mouvements de la mâchoire, et les données recueillies permettent de détecter et d’analyser les épisodes d’apnée du sommeil.

Ce dispositif, en plus d’être léger et non invasif, est conçu pour simplifier le diagnostic en dehors des laboratoires de sommeil traditionnels. Après l’enregistrement, les données sont transmises à une plateforme en ligne où elles sont analysées par des algorithmes pour fournir un rapport médical. Cela permet aux professionnels de la santé de diagnostiquer rapidement et efficacement l’apnée du sommeil à distance. Grâce à une “clinique virtuelle”, Sunrise peut ensuite assurer le suivi des patients diagnostiqués.

Une belle innovation made in Belgium imaginée par Pierre et Laurent Martinot, qui a séduit une série d’investisseurs dont… Amazon via son fonds Alexa, entré dans Sunrise lors d’une levée de fonds à 22,5 millions en 2023 dans laquelle on retrouve aussi Vives IUF, Namur Invest et Sambrinvest (devenu WE).

Le focus américain

Pourtant, malgré une naissance à Namur et un terreau d’investisseurs en Belgique, c’est sur les États-Unis que la firme met un focus important pour l’accélération de sa solution. En Californie plus précisément. Après avoir obtenu l’agrément de la FDA (Food and Drug Administration), le gendarme américain de la santé, l’entreprise belge a démarré ses activités aux États-Unis, en collaboration avec les médecins et les assureurs, permettant aux patients d’être diagnostiqués depuis chez eux et en bénéficiant d’un taux de remboursement par l’assurance.

C’est avant tout sur ce marché américain (où elle a fait l’acquisition de la firme Dreem Health) que Sunrise entend montrer que sa solution et la clinique virtuelle qu’elle a développée sont efficaces, même si son capteur est disponible en Belgique (mais n’est qu’en partie remboursé), distribué au Royaume-Uni et qu’une étude d’envergure est actuellement menée en France, avec les autorités en vue d’obtenir un code de remboursement. Pourtant, c’est en Belgique que la firme possède sa plus grosse implantation. Une bonne partie de ses 50 employés travaillent, depuis Namur d’où sont pilotés le produit, la R&D et le software.

Tout comme Sunrise, la start-up belge Bloomlife s’est concentrée sur le marché américain, alors qu’elle a trouvé ses prémices en Belgique. Fondée par Julien Penders et Éric Dy, la start-up a développé un dispositif de suivi des grossesses à risque, grâce à ses capteurs permettant de surveiller des complications comme l’hypertension et le diabète gestationnel.

Si c’est bien en Belgique, après un passage de Julien Penders à l’IMEC, que la firme est née, qu’a été développé la technologie et qu’ont été menées les premières études cliniques, c’est sur le marché américain que la solution a tout d’abord été commercialisée. D’abord positionnée en B to C, proposant directement son appareil aux femmes enceintes, la start-up a réalisé récemment un pivot stratégique vers un modèle B to B to C après avoir obtenu l’agrément de la FDA. Bloomlife collabore désormais avec des hôpitaux américains qui proposent son dispositif aux patientes à risque, avec des frais couverts par les assurances. Cette approche permet à l’entreprise de près de 25 personnes de se développer aux États-Unis, notamment grâce à un partenariat avec le réseau de grossesses à risque en Arizona (120 médecins).

Avec une récente levée de fonds de 12,2 millions de dollars, Bloomlife ambitionne d’améliorer sa solution et d’étendre ses services à d’autres hôpitaux avant de viser l’Europe.

Bloomlife a développé un dispositif de suivi des grossesses à risque, grâce à ses capteurs permettant de surveiller certaines complications. © AFP via Getty Images

Spécificité hardware

Cette stratégie, spécifique et similaire à ces deux start-up belges de la tech, tend-elle à montrer qu’il faut absolument aller – ou démarrer – aux États-Unis si l’on veut percer avec un appareil dans la santé digitale ? D’emblée, Laurent Martinot tempère : “ce n’est pas qu’il faille absolument aller aux États-Unis dans la santé digitale en général, précise le CEO de Sunrise. Des tas de start-up européennes se développent plutôt bien sur ce créneau de l’e-health et de la medtech comme Doctolib ou Alan, par exemple”.

Des tas de start-up européennes se développent plutôt bien sur ce créneau de l’e-health et de la medtech.
Laurent Martinot

Laurent Martinot

CEO

Julien Penders, le cofondateur de Bloomlife, confirme qu’il ne faut rien généraliser évidemment. “Cela dépend du type de business : que l’on fasse du software ou du hardware n’est pas pareil, analyse-t-il. Ensuite, le business model a un impact.” Tout comme le modèle de financement. “Quand on lance un appareil, donc un hardware, continue Julien Penders, on doit généralement lever pas mal d’argent, plus que 15 ou 20 millions. Et il faut, pour convaincre les investisseurs, leur montrer que l’on va se développer sur un marché cible qui justifie cet investissement.” Inutile de préciser que les États-Unis, avec leur vaste marché de la santé et une culture d’investissement orientée vers la prise de risque, deviennent donc un point de départ naturel pour de nombreuses entreprises sur ce créneau.

Si ces entreprises se tournent rapidement vers l’Amérique du Nord, c’est en bonne partie en raison de la structure du marché et des opportunités qu’il offre. Le marché américain, plus homogène, facilite l’adoption rapide des nouvelles technologies médicales. D’autant que le budget santé dépensé, en moyenne, par habitant aux Etats-Unis est le plus élevé du monde, d’après les chiffres du panorama 2023 de l’OCDE. Les États-Unis sont le pays qui dépense le plus pour la santé avec 12.555 dollars par habitant… suivi de la Suisse avec 8.049 dollars. La Belgique, quant à elle, arrive bien derrière avec 6.600 dollars.

Le marché américain, plus homogène, facilite l’adoption rapide des nouvelles technologies médicales.
Julien Penders

Julien Penders

CEO

Mais si les deux start-up belges ont choisi le pays de l’Oncle Sam comme marché, c’est aussi pour une question de business model et de “comment on paie la solution”, souligne aussi le boss de Bloomlife. Or les deux entreprises comptent aujourd’hui sur le remboursement de leur produit. “Cela fait partie de la stratégie d’accès au marché, précise Laurent Martinot de Sunrise. Pour moi, la raison numéro un qui peut expliquer le succès n’est pas le produit lui-même mais bien la manière dont on se positionne sur le marché et la stratégie d’accès au marché. Nous avons fait le choix de nous plugger à un système existant et de développer notre clinique virtuelle du sommeil en réseau avec les payeurs. Ceci afin de rendre la solution remboursée pour les patients.”

Or, si une entreprise de la santé veut se développer en s’appuyant sur le remboursement de son produit, les États-Unis semblent faciliter une adoption plus généralisée. “En Europe, c’est assez compliqué car l’environnement du remboursement est très fragmenté, constate Julien Penders. Dans chaque pays, les règles sont différentes et même au sein des pays il y a des payeurs privés, des mutualités, etc. Il faut donc envisager une approche spécifique par pays, y rencontrer les acteurs et les convaincre. Ce n’est pas du tout impossible, mais en termes de rapidité d’accès au marché, mieux vaut aller aux États-Unis.”

Là, même si des règles différentes existent entre les États, les codes y sont les mêmes partout. Certains acceptent ou non les remboursements, ce qui détermine si la start-up s’y lance ou pas. Mais les choses y seraient donc plus claires et uniformisées. D’autant qu’il existe aussi, en Europe, la barrière de la langue: croître dans le Vieux Continent implique de proposer son service, de communiquer et de faire le marketing dans les différentes langues nationales. Tandis qu’avec l’anglais, tout le marché américain est directement couvert. Un avantage qui semble important même si, dans le cas de Bloomlife, le nombre de naissances est plus important dans l’ensemble de l’Europe (5,5 millions de naissances par an) qu’aux États-Unis (4 millions par an).

Clarté de la FDA et avantages belges

Cela ne signifie pas que tout est facile sur le marché américain. Quand on propose un dispositif médical, il faut, comme en Europe, y obtenir l’agrément de la FDA. Ce qui ne se fait naturellement pas d’un claquement de doigt. “Nous avons pris entre six et neuf mois pour la première itération devant la FDA, se souvient Laurent Martinot. Plus les délais légaux. Puis une deuxième de six mois supplémentaires.” “Mais rien d’insurmontable, enchaîne Julien Penders. Le processus de la FDA est exigeant, mais il est structuré et bien décrit, ce qui permet de savoir à quoi s’attendre et de préparer les étapes à l’avance.” Une procédure essentielle qui, en plus des arguments de santé évidents, offre aux détenteurs de l’agrément un certain avantage dans le sens où l’agrément constitue une certaine barrière à l’entrée.

Le processus de la Food and Drug Administration est exigeant, mais il est structuré et bien décrit.

Et si les deux sociétés ont choisi de se développer avec un pied commercial aux États-Unis, tout en gardant un pied R&D en Belgique, c’est qu’elles en tirent différents avantages également. Si Sunrise et Bloomlife conçoivent et fabriquent leurs technologies en Belgique, ce n’est pas pour rien. “On est bons en medtech en Belgique, s’exclame Julien Penders qui pointe comme atouts l’accès à de bons ingénieurs et à des coûts maîtrisés pour la fabrication. Selon lui, ce modèle permet de maximiser la qualité du développement technique tout en réduisant les coûts par rapport aux États-Unis, où les salaires et le coût de la vie dans la Silicon Valley, par exemple, seraient beaucoup plus élevés. Impossible, en effet, pour une start-up belge de s’offrir des ingénieurs dans la baie de San Francisco.

Reste qu’aucune des deux jeunes pousses de la tech ne voient les États-Unis comme une destination. Si elles se lancent là-bas en premier, c’est aussi pour revenir en Europe par la suite: “les Etats-Unis doivent être vus comme une étape de croissance, précise le cofondateur de Bloomlife. Il ne s’agit pas d’une finalité en soi.” Laurent Martinot ne le voit pas autrement. “Pour nous, le but est de créer une boîte mondiale”, insiste, ambitieux, le fondateur de Sunrise. Car si l’objectif, après son expérience réussie en Californie, est désormais de partir à l’assaut de tous les États-Unis, la jeune pousse cible aussi le marché européen.

Avec un focus tout particulier sur la France où une étude a lieu en ce moment, avec les autorités, en vue de démontrer le côté accélérateur de Sunrise quant au diagnostic des apnées du sommeil. Cela lui permettrait d’obtenir un code de remboursement, un élément déterminant pour lancer correctement son business sur ce marché, le plus gros en Europe. En espérant, ensuite, convaincre tous les autres marchés. Tout comme Bloomlife qui prévoit un lancement européen en 2026…

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