Stemme: le bonheur en planeur vaut bien un investissement

© Stemme S12: un moteur de 115 CV est intégré au ­fuselage de ce planeur, ­l’hélice repliable se dissimulant dans son nez.
Robert Van Apeldoorn
Robert Van Apeldoorn Journaliste Trends-Tendances

Deux Belges, Olivier de Spoelberch et Luc Thijs, ont investi dans un fabricant allemand de planeurs motorisés, Stemme, pour l’aider à mener une nouvelle vie et à se diversifier dans les drones militaires pour le groupe Safran.

C’est la passion du vol à voile qui a amené le Namurois Olivier de Spoelberch à investir dans Stemme, une entreprise allemande. Celle-ci a conçu un planeur doté d’un moteur qui intervient par intermittence pour faciliter le décollage ou maintenir l’appareil en vol, et donc bénéficier à la fois du plaisir du planeur et du vol silencieux, et du rayon d’action d’un avion. “Je m’adonne au planeur depuis les années 1970”, dit Olivier de Spoelberch. La motorisation lui permet de parcourir de longues distances. “Je vais de Belgique en Suisse avec mon S12 en environ deux heures. Une fois sur place, je me pose puis repars quelques heures au-dessus des cimes.” Sur l’écran de son téléphone, ce passionné nous montre de spectaculaires vidéos de vols en montagnes, au-dessus des crêtes enneigées et des glaciers.

Olivier de Spoelberch a tant aimé ce planeur astucieux, dont il avait acquis un premier exemplaire, un S10, en 1990, que ce membre des familles actionnaires d’AB InBev a fini par investir dans l’entreprise à partir de 1998. Il en détient aujourd’hui 95% des parts.

Un autre passionné d’avion, pilote et entrepreneur, Luc Thijs, de Genk, l’a accompagné dans l’aventure, soutenant l’entreprise dans ses souhaits de transformation. Outre ses planeurs motorisés de loisirs, Stemme travaille en effet depuis plus de 10 ans à fournir la base (l’aérostructure) de drones de surveillance militaires et civils au français Safran et à l’américain DZYNE. Les deux entreprises ont développé une version adaptée de planeurs motorisés Stemme. Chez Safran, celle-ci devient par exemple un drone Patroller, construit sur la base d’un modèle S15 de Stemme, fonctionnant comme un avion, avec un moteur permanent. Il est entré en service dans l’armée de terre française et a été acheté par la Grèce.

Olivier de Spoelberch

Pour assurer cette transformation, la production de ces aéronefs s’est déplacée du siège de l’entreprise, à Strausberg, près de Berlin, à Pasewalk, à une dizaine de kilomètres de la frontière polonaise, près de la Baltique. Elle a récemment été certifiée par l’autorité aéronautique allemande, la LBA.

Stemme, qui fête ses 40 ans, a été fondée en 1984 par un ingénieur allemand, Reinar Stemme, qui a conçu le S10, un planeur doté d’un moteur pour faciliter la vie des amateurs de vol à voile. “Il permet d’être tout à fait autonome pour le décollage”, répète Benjamin de Broqueville, CEO de l’entreprise depuis 2021, qui gère aussi l’aérodrome de Namur/Temploux dont Olivier de Spoelberch et lui sont actionnaires. “Aux Etats-Unis, certains Stemme décollent au départ d’aéroports de passagers, au milieu des Boeing et des ­Airbus.”

Une passion pour les avions, la musique et la vidéo

Olivier de Spoelberch, actionnaire majoritaire de Stemme, ­cultive plusieurs passions. Celle des planeurs est ancienne, il pratique le vol à voile depuis plus de 30 ans; son investissement dans Stemme illustre cet intérêt.

Il aime aussi la musique classique et a appris le piano au conservatoire. Il pratique le ­mécénat dans ce domaine. Il a par exemple participé au financement de la reconstruction des orgues de la magnifique église baroque Saint-Loup, à Namur, muettes depuis 50 ans.

Il voue également une passion pour la vidéo. Il en tourne beaucoup lors de ses vols en planeur. Il a aussi réalisé un film sur la reconstruction des orgues de Saint-Loup, allant jusqu’à ­utiliser un drone pour amener l’œil du spectateur où il ne pourrait jamais aller.
Ce film sera d’ailleurs diffusé au cinéma Cameo à Namur ce vendredi 12 avril, à 18h30. 


Réservation: nanamur.be

Jusqu’à 1.500 km

Le planeur ainsi motorisé peut franchir des distances jusqu’à 1.500 km. Le dispositif est particulièrement malin: alors que les motoplaneurs ressemblent souvent à de petits avions, ou comportent un tout petit moteur à deux temps sur un pylône fixé au fuselage, les Stemme offrent un design de planeur, sans aucun moteur visible, avec une aile immense (25 mètres pour le S12). Un moteur de 115 CV est intégré au fuselage derrière le cockpit à deux places. L’hélice est dissimulée dans le nez du planeur. Elle apparaît quand le pilote actionne un levier entrouvrant ce nez de quelques centimètres. Quand le moteur n’est plus nécessaire, les deux pales de l’hélice se replient, et le pilote referme le nez. Le modèle de loisirs vendu actuellement, le S12, pèse 900 kg, la moitié d’un SUV. Le conducteur n’a pas besoin d’une licence de pilote d’avion, celle pour les planeurs suffit, avec une qualification sur le modèle (type rating). C’est aussi une manière de voler en émettant peu de CO2.

A plus de 725.000 euros pièce, le Stemme touche un public limité, celui des passionnés de vol à voile prêts à débourser la somme. Ce prix s’explique par une production artisanale high-tech incluant beaucoup d’éléments maison en fibre de carbone, par le nombre réduit d’exemplaires construits et un coût de certification amorti sur de petites quantités. “Mais c’est la Rolls des planeurs, avance Benjamin de Broqueville. Il y a une bonne clientèle aux Etats-Unis. Un Stemme sur deux y est basé, soit 200 planeurs sur les 400 produits par l’entreprise.”

Drones militaires et civils

Le développement du marché de drones devrait améliorer l’équation économique de Stemme, augmentant son volume à travers le marché des drones en fournissant le constructeur français Safran et l’américain DZYNE. Cette évolution n’a pas été sans peine. Olivier de Spoelberch a régulièrement injecté des fonds dans Stemme pour soutenir cette transformation. Le fondateur, qui a plus de 80 ans, s’est retiré. Pour fournir des drones à Safran, l’entreprise était ainsi passée de 40 à 180 personnes, rachetant en outre un fabricant d’ULM, Remos, pour son expertise dans la fabrication d’éléments en fibre de carbone.

“Si nous nous limitions aux ­loisirs, l’entreprise ne compterait pas plus de 25 personnes.” – Benjamin de Broqueville, CEO

Vers 2021, lassés des pertes qui s’accumulaient, Olivier de ­Spoelberch et son associé Luc Thijs ont souhaité que des mesures soient prises pour redresser l’entreprise. Ils y ont dépêché Benjamin de Broqueville, comme CEO, et ­Koenraad Geurts, de Genk, comme general manager. Le duo se rend toutes les semaines en Allemagne, au siège à Strauberg, et sur le site de production de Pasewalk. Il a tout réorganisé. L’entreprise est passée de 180 à 120 salariés. Koenraad Geurts s’est concentré sur la production, son domaine, fort de son expérience dans les processus de peinture industrielle. “La certification nous a pris plus de temps que nous le pensions, elle est très lourde dans l’aérien, pour des raisons très compréhensibles”, dit Benjamin de Broqueville. Le duo a été rejoint, pour le volet commercial, par Pierre Van Wetter, ancien de Sonaca Aircraft.

La production a été relancée. De quatre en 2019-2020, Stemme produit actuellement 15 aéronefs par an. “Nous voulons arriver à 20 l’an prochain, assure Benjamin de Broqueville, dont 80% pour des drones militaires et civils.” L’activité de drones pour Safran et DZYNE est primordiale. “Si nous nous limitions à l’activité de loisirs, l’entreprise ne compterait pas plus de 25 personnes.”

La priorité est de réussir la montée de la production de ces bases de drones et leur maintenance. “Nous dégageons actuellement un chiffre d’affaires de 11 millions d’euros pour 2023, mais nous espérons atteindre les 15 millions.” L’activité devrait devenir ainsi profitable.

Observation de pipelines

En Belgique, à l’aérodrome de Temploux, Stemme a détenu une filiale, Stratos Solutions, qui cherchait à développer un drone stratosphérique pour assurer des missions d’observation à un coût moindre que celui réclamé par les satellites. Dans le fil des difficultés de Stemme en Allemagne, ­Olivier de Spoelberch et Luc Thijs ont préféré reprendre directement l’activité, en devenant actionnaires (95% et 5%). Le projet a été modifié. Des partenaires, Sonaca et Sabena Engineering, se sont retirés après les turbulences du covid. “Nous continuons à développer un drone stratosphérique, mais nous travaillons aussi à un module doté de capteurs à installer sur un avion, pour la surveillance de pipelines”, poursuit Benjamin de Broqueville, qui préside la société.

Stratos Solutions propose soit le module, soit le service d’observation avec l’analyse des images en temps réel, à l’aide d’algorithmes qui permettent de détecter tout risque, comme un tracteur ou un engin de chantier trop proches d’un pipeline. “Il y a moyen de prévenir immédiatement le gestionnaire du pipeline”, explique Olivier de Spoelberch. Qui avance, parmi les atouts du ­système, son coût moindre pour l’environnement. “Actuellement, ce travail est assuré par des hélicoptères, qui consomment facilement 60 litres par heure.” Le module pourrait aussi servir à d’autres usages. Il pourrait même détecter des nids-de-poule sur les routes et estimer leur dangerosité.

Du planeur au drone

Stemme utilise les bases de ses planeurs pour construire des drones développés par Safran, sous le nom de Patroller, ou par l’américain DZYNE, avec le DZYNE Ultra. Ce drone de surveillance peut voler jusqu’à 80 heures, 7.620 mètres d’altitude et jusqu’à 180 km de sa station de contrôle, mobile ou non. Il comporte capteurs, radars et caméras, et peut par exemple “lire” une plaque d’immatriculation à 1 km, ou vérifier à une distance de 10 km si quelqu’un est armé ou pas. Ce modèle s’intercale entre les petits appareils de moins de 150 kg et les grands drones militaires.

Pour Safran, Stemme fournit l’aérostructure avec un moteur permanent, qu’il teste avant d’enlever le siège du pilote et les instruments de vol. Safran l’équipe ensuite des appareils destinés à le contrôler à distance, en capteurs et caméras de surveillance. Il n’est pas armé, mais Safran n’exclut pas de le doter de roquettes guidées par laser ou de “munitions rôdeuses” (des micro-drones kamikazes), par exemple.

Arguments en faveur de ce modèle: sa simplicité, le fait qu’il soit aisément démontable, très peu bruyant et puisse survoler des zones densément peuplées. Le tout à un prix compétitif.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content