La success story du vinaigre artisanal bruxellois Sainte Odile : “Bientôt un incontournable des grands chefs de France”
La vinaigrerie Saint Odile, la seule en Belgique, reçoit les éloges des gastronomes français. Rencontre avec la fondatrice, Daphné de Crombrugghe, qui veut redorer le blason de cet aliment mis de côté.
“Voici un vinaigre exceptionnel. Il est fait par Daphné, il vient de Bruxelles, et elle produit des vinaigres d’anthologie qui vont bientôt être connus de tous les grands chefs de France, je vous l’annonce. Ses vinaigres, ils prennent leur temps. Alors que le vinaigre industriel se fait en 24 heures, elle prend des mois pour produire ses créations, en utilisant uniquement des alcools naturels – cidre belge, bière, lambic… J’ai eu un véritable coup de cœur pour l’équilibre absolu de ces vinaigres que j’utilise désormais à la maison.” Ce sont ces mots de François-Régis Gaudry, critique culinaire français de renom, qui ont fait la promotion du vinaigre artisanal bruxellois Sainte Odile, lors de l’émission Le Quotidien sur TF1 fin novembre.
“Je suis vraiment émue. Je sais qu’il est très patriotique… qu’il ait choisi un produit belge comme coup de cœur parmi tant d’autres, cela montre qu’il a eu un véritable coup de cœur. C’est quelqu’un de sincère, c’est un immense honneur pour moi,” nous confie Daphné de Crombrugghe, fondatrice de la vinaigrerie Sainte Odile. Pour la petite histoire, François-Régis Gaudry était à Bruxelles en mai, pour un épisode de son émission Très très bon!, consacré à la capitale belge. Il avait aussi interviewé Daphné pour On déguste, l’émission de France Inter écoutée par deux à trois millions d’auditeurs chaque dimanche. Cependant, pour la mention dans Le Quotidien, le critique culinaire ne l’avait pas prévenue.
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Le résultat ? Un véritable succès pour Sainte Odile. “Il n’a pas mentionné ma marque, mais les gens ont tout de suite fait le lien. J’ai vu les commandes arriver et en dix minutes, j’ai dû fermer mon site.” Résultat, certains de ses vinaigres, comme ceux à la kriek ou à la framboise, sont en rupture de stock jusqu’au printemps, tandis que d’autres, comme le vinaigre de lambic, sont entre temps de nouveau disponibles. Les stocks étaient déjà en baisse depuis la diffusion de l’émission sur France Inter, en août.
“Pourquoi tout ce que j’ai connu n’était-il pas bon ?”
De la barrique à l’embouteillage, en passant par l’étiquetage et la gestion de sa boutique en ligne, Daphné de Crombrugghe fait tout toute seule, dans son atelier à Anderlecht. Elle nous y reçoit pour raconter son histoire et celle du vinaigre belge. Sainte Odile est aujourd’hui la seule vinaigrerie active en Belgique, la première à ouvrir en 15 ans après la fermeture de l’usine de l’Étoile en 2007.
Daphné de Crombrugghe a d’abord étudié l’économie et travaillé dans la gestion d’entreprise à Berlin, jusqu’au jour où on lui diagnostique une maladie dégénérative de la rétine à 27 ans. La baisse de sa vision est inéluctable, ce qui la pousse à une remise en question totale. “Je me suis dit que c’était le moment de faire quelque chose que j’aime vraiment. Une chance de rediriger ma vie. Je n’avais plus de raison de ne pas me lancer dans ce qui me passionnait.”
Elle part alors à Modène, en Italie, faire du roofing (travail contre logement et nourriture), où elle découvre la production du vinaigre balsamique, un produit qui va la bouleverser. “Très peu de gens ont goûté le vrai vinaigre balsamique. On connaît tous celui des supermarchés, mais c’est un autre monde. Des amis arrivaient avec des fioles de vinaigre vieux de 50 ou 100 ans, et on en mettait quelques gouttes sur du parmesan. C’était une révélation. Je me suis demandé pourquoi tout ce que j’avais connu avant ne m’avait jamais paru aussi bon.”
De retour en Belgique, elle commence à produire ses propres vinaigres, tout en conservant un emploi. Mais c’est le confinement lié au covid qui la pousse à se lancer pleinement dans cette aventure. Elle part alors se former dans le sud de la France, à la vinaigrerie La Guinnelle, spécialisée dans le vinaigre à base de grands vins nature. À son retour, elle ouvre sa propre entreprise, début 2023.
Le retour du vinaigre belge
À la fin du 19e siècle, la Belgique comptait encore une soixantaine de vinaigreries. À l’époque, on produisait beaucoup de vinaigre naturellement, les bières tournant souvent au vinaigre dans des barriques en bois. Le vinaigre était utilisé pour conserver les aliments, mais aussi comme désinfectant. Puis, avec l’invention d’une machine permettant de produire du vinaigre industriel en 24 heures, tout a changé. On a alors commencé à utiliser de mauvais alcools, comme de l’alcool de betterave à sucre en Belgique. “Il y a une période de plus de cent ans durant laquelle personne n’a goûté de bon vinaigre. Mon objectif est de redonner ses lettres de noblesse à cet aliment de base.”
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Pour valoriser cet artisanat et réhabiliter le vinaigre, Daphné mise sur des alcools belges de qualité, issus de fermentation spontanée, reflétant le terroir local. Son lambic provient de la brasserie Drie Fonteinen, à Lot, près de Bruxelles. La kriek (lambic à la cerise), la Rosée de Gambrinus (framboise) et la Fou’Foune (abricot) viennent de Cantillon, juste en face de son atelier. Le cidre provient de la Cidrerie du Condroz, et l’hydromel de De Mederie à Gand. “L’idée est de ne pas utiliser de restes, mais de bons produits. Les brasseurs aiment travailler avec moi, car mes vinaigres figurent sur de belles tables, dans les mêmes magasins que leurs produits. Je travaille avec une démarche similaire à la leur.”
Ces alcools sont ensuite mis en barriques en bois où une bactérie, l’acétobacter, transforme l’alcool en acide. Après plusieurs mois (le cidre qui s’y trouve lors de notre visite, par exemple, y est depuis trois mois), ils sont transférés dans une dame-jeanne, de grandes bonbonnes en verre où ils continuent à mûrir. “Je laisse le temps faire son œuvre. Cela apporte plus de rondeur au vinaigre, les arômes s’équilibrent, un peu comme le vin.” Ce processus n’est pas systématique chez tous les producteurs.
“Ne pas entrer dans la roue du hamster”
La production des vinaigres Sainte Odile demande donc du temps. Les matières premières, souvent produites en quantités limitées, ainsi que la température de l’atelier (l’acétobacter préfère des températures entre 18 et 25°C) peuvent rallonger ce processus. La disponibilité des vinaigres s’en trouve limitée. Mais pour Daphné de Crombrugghe, même face à une forte demande, il est hors de question de précipiter les choses. “Je grandis, mais l’idée est de le faire de manière organique, étape par étape. J’ai créé cette entreprise pour moi, pour pouvoir être autonome, sans dépendre des allocations ni d’un autre emploi. Je veux trouver un équilibre, peut-être avec une limite maximale de production, comme les vignerons ou les brasseurs. Je ne veux pas me lancer dans une production de masse, je préfère rester fidèle à la qualité et à une taille humaine.”
Cette philosophie se reflète dans son modèle économique. “Mon objectif est de travailler avec ceux qui comprennent vraiment le produit, que ce soient des chefs ou des épiciers. Ce lien avec les revendeurs est ce qu’il y a de plus stable dans une économie. En expédiant à l’autre bout du monde, on perd cette compréhension du produit. Cela n’a pas de sens de produire localement et d’envoyer des palettes à l’international,” explique-t-elle, précisant avoir refusé des commandes du Japon et des États-Unis.
L’entrepreneuse précise encore que ses vinaigres connaissent un grand succès en France, où les chefs trouvent ces produits plus « exotiques ». « En Belgique, certains chefs peuvent considérer le lambic comme un produit démodé. Cela montre que l’image de la Belgique, notamment en matière de l’art de la table, est en train de changer chez nos voisins », conclut-elle.
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