Ces Belges qui monitorent les femmes enceintes aux Etats-Unis

ENSUITE L’Europe - Une fois bien installée sur le marché américain, la start-up compte se déployer d’ici deux ou trois ans sur le Vieux Continent.
Christophe Charlot
Christophe Charlot Journaliste

Forte d’un accord de la FDA, la start-up belge Bloomlife entame des partenariats avec des hôpitaux américains pour surveiller, à distance, les grossesses à risque. Un nouveau départ et un pivot ambitieux, qui la fait passer d’un business ‘‘consommateur’’ à une activité dans le médical.

Rares sont les entrepreneurs belges qui peuvent s’enorgueillir de compter au capital de leur boîte des investisseurs comme Richard Branson (le fondateur de Virgin) ou Marc Benioff (créateur de ­Salesforce et 47e homme le plus riche de la planète tech, selon Forbes). Rares aussi sont les Belges qui ont obtenu l’autorisation de la FDA, l’autorité de la santé américaine, de commercialiser un produit aux Etats-Unis. Julien ­Penders, le fondateur de Bloomlife, et son associé Eric Dy cochent ces deux cases, même si tout n’a pas été simple avant d’y arriver.

Julien Penders avait mis au point, dès 2015, une solution de monitoring à distance des femmes enceintes. Son objet connecté permettait de mesurer et de surveiller une série de paramètres de la grossesse. D’après l’entrepreneur, le marché, rien qu’aux Etats-Unis, est gigantesque : un quart des grossesses américaines sont considérées à risque en raison, entre autres, de l’hypertension et du ­diabète chronique. Voilà pourquoi l’homme s’est installé là-bas, tout en gardant résolument un pied en Belgique. Sur les 22 personnes que compte Bloomlife, 15 (dont le volet R&D) sont toujours ici, à Liège et à Genk. Un des premiers investisseurs de la start-up fut d’ailleurs Noshaq.

© Julien Penders
L’enveloppe de remboursement des frais d’une grossesse aux Etats-Unis ­varie entre 4.000 et 6.000 dollars, et nous demandons la moitié de cela.’’ – Julien Penders, CEO

Dans un premier temps, ce tracker de contractions, baptisé Belli, était commercialisé sur un modèle de location: les femmes pouvaient le louer, pour quelques dizaines de dollars par mois, pendant les dernières semaines de leur grossesse, en dehors de toute infrastructure médicale ou hospitalière, simplement pour leur peace of mind. Mais à l’époque, l’appareil ne prenait pas en compte des paramètres tels que le pouls, etc. Puis le système s’est développé, tout en continuant à se positionner comme un produit non médicalisé, s’adressant aux femmes plutôt aisées, capables de s’offrir ce type de dispositif. Tout fonctionnait bien pour Bloomlife, plusieurs fois primée pour sa solution, puisqu’un millier de nouvelles clientes se présentaient chaque semaine. L’an passé, la firme revendiquait un chiffre d’affaires de l’ordre d’un million de dollars annuel. Pas si mal.

Devenir une boîte médicale

Mais Julien Penders et ses équipes nourrissaient depuis le départ une ambition plus grande: ‘‘le but a toujours été d’établir un standard prénatal, souligne-t-il, et de proposer un produit médicalisé qui puisse permettre, dans l’univers médical, de suivre les grossesses à domicile. Mais cela ne pouvait pas se faire dans un premier temps. Pas que le dispositif ne le permettait pas, mais plutôt parce qu’il faut répondre à de nombreux critères, difficilement accessibles à une petite start-up. Sans compter les budgets nécessaires.’’ En s’attaquant au marché des consommatrices d’abord, Bloomlife a pu mettre son système à l’épreuve et valider pas mal de paramètres, même si les données ne pouvaient pas remonter vers les médecins.

En 2020, l’équipe de la jeune pousse, sans doute boostée par le regain d’intérêt pour la santé à distance en pleine période covid, décide de faire évoluer le projet et de devenir une entreprise médicale. Elle obtient la certification ISO et met en place de nouvelles fonctionnalités intéressantes pour les hôpitaux. Bloomlife peut par exemple ajouter d’autres appareils de mesure, comme un tensiomètre et un glucomètre, à son écosystème. Les objectifs : réduire les visites inutiles des futures mamans à l’hôpital, mieux surveiller les paramètres de grossesse mais, surtout, bénéficier des prescriptions par les médecins et… être une solution remboursée par la sécurité sociale. Ce qui présente de nombreux avantages. Un agrément de la FDA, récemment dévoilé, a permis à Bloomlife de prendre ce tournant, ce qui ne se fait toutefois pas sur un claquement de doigts.


Car si l’appareil reste identique, le business model change fortement. Bloomlife doit passer par les hôpitaux et s’intégrer dans le dossier médical de la patiente. Dès lors, lorsqu’un médecin décide qu’une grossesse doit être suivie, il peut prescrire le dispositif Bloomlife MFM-Pro. Celui-ci est livré au domicile de la future maman, qui en fait la configuration. Tout se passe ensuite entre elle et le médecin. C’est l’hôpital qui est facturé et qui se charge d’obtenir le remboursement. On le voit: le modèle est très différent de celui de la location pour une trentaine de dollars par mois. D’ailleurs, puisqu’on a désormais affaire à un dispositif médicalisé, les tarifs changent beaucoup… et la rentabilité pour Bloomlife est, théoriquement, nettement supérieure. Julien Penders le reconnaît: ‘‘l’enveloppe de remboursement des frais d’une grossesse aux Etats-Unis varie entre 4.000 et 6.000 dollars, et nous demandons la moitié de cela’’. Il ajoute néanmoins : ‘‘la valeur fournie est totalement différente. Il y a l’intégration dans les process du médecin et de l’hôpital, bien plus de fonctionnalités, etc.’’

Des défis totalement différents

Le fait de la jouer business to business et de ne plus s’adresser aux consommatrices permet à la start-up de passer outre une difficulté importante: l’absence de récurrence. Sur le marché des particuliers, le churn était forcément de 100% puisque après la grossesse, les femmes, qui n’en avaient plus l’utilité, mettaient fin à la location du dispositif… jusqu’à, éventuellement, une grossesse suivante. La bataille pour retrouver des patientes était donc importante. Avec les hôpitaux, les choses devraient se passer différemment: le flux de patientes est régulier et nécessairement récurrent. Le nom de la personne change mais le nombre de dispositifs utilisés est assez constant.

Reste que tout n’a pas été simple. Si sur le papier, le shift du modèle B to C vers le B to B présente énormément d’avantages, il implique aussi de grosses adaptations. Tout d’abord, Bloomlife a décidé d’abandonner l’approche directe vers les consommatrices et donc les revenus liés. Ensuite, le changement a eu un impact réel sur les équipes marketing: au lieu de faire de la pub sur ­Facebook, les réseaux sociaux et le B to C, il a fallu envisager d’autres ­créneaux, comme les congrès médicaux, les rencontres avec les professionnels, etc. Un ‘‘ADN’’ totalement différent. Mais à en croire Julien Penders, tout se passe bien: Bloomlife a déjà signé avec de premiers hôpitaux et ­malgré ­l’arrêt des activités ‘‘consommatrices’’, elle prévoit un chiffre d’affaires 2024 plus élevé que celui de 2023. Une fois bien installée sur le marché américain, la start-up compte se déployer en Europe. D’ici deux ou trois ans…

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