Ajinomatrix, une start-up qui a bon goût

LE LOGICIEL d’Ajinomatrix offre une compréhension nuancée des saveurs et des parfums qu‘il était impossible de saisir auparavant. © Getty Images

La start-up belge Ajinomatrix numérise le goût et l’odorat grâce à l’intelligence artificielle. Sa solution permet d’économiser du temps et de l’argent et pourrait bien bouleverser l’industrie agroalimentaire.

Ajinomatrix, en voilà un drôle de nom pour une start-up belge. “En japonais, cela signifie la matrice du goût”, précise Stéphane Courtois, responsable financier de cette entreprise située à Rebecq. Pionnière de l’innovation sensorielle, celle-ci a développé un logiciel qui, grâce à l’intelligence artificielle, est capable de numériser le goût et l’odorat.

Ajinomatrix a été créée en 2020 mais son origine remonte aux expériences de François Wayenberg, le CEO et fondateur de la start-up, lorsqu’il travaillait dans le département alimentaire de Mitsui & Co, entreprise japonaise active dans le trading de matière première. Pour mettre au point sa solution, le CEO s’est notamment entouré de Joël Bellenson, directeur de la recherche d’Ajinomatrix, qui n’est autre que le fondateur de l’entreprise Digiscents qui a inventé l’iSmell, une “imprimante d’odeur” qui date de… 2001. L’idée de numériser le goût et l’odorat n’est pas nouvelle mais elle a été bouleversée par l’introduction de l’intelligence artificielle. “Cela a transformé la manière dont les données sensorielles sont collectées, analysées et comprises”, précise François Wayenberg. Le logiciel d’Ajinomatrix offre en effet une compréhension nuancée des saveurs et des parfums qu’il était impossible de saisir auparavant. “Cette innovation a marqué un tournant par rapport aux méthodes traditionnelles, un peu comme l’évolution des cartes dessinées à la main vers la technologie GPS, ou la standardisation du Pantone dans le domaine de l’impression”, ajoute-t-il.

Ajinomatrix est une boîte de logiciels qui a développé plusieurs applications regroupées sur une plateforme Saas (Software as a service) et s’adres­sant principalement à l’industrie agroalimentaire. La start-up ne commercialise donc pas de nouveaux produits créés par l’intelligence artificielle mais vend des données numériques aux départements de recherche et développement des agroindustriels afin de les aider à créer de nouveaux produits.

Un complément aux panels

Le logiciel sensoriel a d’abord été alimenté par des recettes disponibles en ligne avant d’être complété grâce aux partenaires clients qui fournissent alors soit des recettes soit des ingrédients que le logiciel analyse. Les produits sont ensuite étudiés en laboratoire via la chromatographie gazière – une technique qui permet de séparer les molécules d’un mélange gazeux – avant d’être digitalisés. “Les résultats sont ensuite encodés dans une base de données où interviennent les algorithmes d’intelligence artificielle qui tirent alors des conclusions et prédictions”, détaille Stéphane Courtois. Et l’IA utilisée dans ses algorithmes apprend et progresse chaque jour. D’après le responsable, Ajinomatrix arrivera sans doute à un module autogénératif qui proposera lui-même aux utilisateurs des recettes s’appuyant sur les goûts et odeurs numérisés.

Notre logiciel est capable de prédire les arômes produits par un croissant classique afin que sa version végane puisse bénéficier des mêmes qualités.” – François Wayenberg, CEO d’Ajinomatrix

“Nous ne sommes pas là pour remplacer les panels de consommateurs mais pour les compléter”, précise encore Stéphane Courtois. La start-up utilise d’ailleurs les statistiques issus de ces panels afin de réaliser du cross-referencing selon les goûts répertoriés dans certaines régions géographiques. A titre d’exemple, Ajinomatrix a contribué à résoudre un problème rencontré par une grande chaîne de fast-food en Amérique du Sud pour l’une de ses sauces. La conclusion ? Le goût synthétique du miel déplaît aux populations locales latino-­américaines. Une réalité que le groupe peut dès lors prendre en compte lors de la commercialisation de nouveaux produits dans la région. “Le goût ne se mesure pas mais la perception du goût varie d’un continent à l’autre”, ajoute le responsable financier.

D’après la start-up, le secteur de l’alimentation et des boissons possède et collecte de nombreuses données issues de la recherche et développement de nouveaux produits mais celles-ci sont très peu structurées. “Notre base de données permet d’offrir cette structure grâce à un fichier MP6, le fichier standard sensoriel”, poursuit Stéphane Courtois. Grâce à la plateforme, les acteurs de l’agroalimentaire obtiennent alors des données faci­les à interpréter et peuvent visualiser dans quelle mesure la dose de sel ou de sucre – ou n’importe quel autre ingrédient – peut influencer le résultat de la recette. “Nous som­mes parvenus à coder notre premier prototype logiciel capable de prédire les arômes produits par un croissant classique dans le but qu’un croissant végane puisse bénéficier des mêmes qualités aromatiques”, assure le CEO.

Optimisation des procédés

En plus d’être capable de définir les ingrédients, la plateforme permet d’identifier n’importe quel procédé de fabrication : par exemple un mélange ou une cuisson spécifique. “De la même manière que pour les produits, l’agroindustriel peut changer et réévaluer ses procédés grâce au logiciel”, souligne le responsable financier. Autre élément, le logiciel est capable d’évaluer l’impact environnemental de la recette. Une estimation qui varie selon la consommation d’eau des ingrédients ou leurs émissions de CO2. “Cela permet d’optimiser les procédés et de diminuer l’impact environnemental de nos clients”, précise le responsable.

L’avantage du logiciel est de faciliter la prise de décision en cas de modification ou développement d’une recette. Là où il faut aujour­d’hui encore plusieurs milliers de chercheurs et d’analyses successives pour recréer des odeurs naturelles et déterminer quel ingrédient peut en remplacer un autre, il suffit aujourd’hui de quelques minu­tes grâce au logiciel d’Ajinomatrix. “C’est un gain de temps considérable pour l’industrie”, confirment les responsables. Des économies sont également réalisées puisque le logiciel assure un meilleur taux de réussite de développement ainsi qu’une diminution des retours de produits, sans compter une optimisation de la main-d’œuvre. En résumé, c’est un gain de temps et d’argent qui pourrait bouleverser l’industrie agroalimentaire. “Le marché est évalué à 25 milliards d’euros pour 2026 dont environ 4% sont consacrés aux frais de recher­che et développement, ce qui nous laisse de belles perspectives”, se réjouit Stéphane Courtois.

Si pour le moment Ajinomatrix se concentre sur l’industrie agroalimentaire, elle pourrait s’étendre à de nombreux domaines et même s’adresser directement aux consommateurs. “On peut envisager le restaurant du futur où le client, par l’intermédiaire d’une application, encoderait ses goûts afin d’obtenir un plat sur mesure en fonction de ses désirs ou de ses intolérances”, poursuit Stéphane Courtois. La start-up est même déjà en discussion avec un consortium d’une marque automobile qui travaille à la voiture du futur. Cette dernière serait capable de déterminer l’humeur du conducteur et diffuserait alors des parfums et essences afin de le mettre dans des conditions optimales pour conduire.

Afin de concrétiser ses ambitions, la start-up prévoit de lever dans les prochaines années 10 millions d’euros. Un premier tour se prépare déjà. De nombreux investisseurs à l’international ont déjà manifesté leur intérêt. Objectif ? Engager du personnel afin de continuer le développement du logiciel et déployer la commercialisation dans le monde entier. z

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