Longtemps perçu comme un gouffre à subventions, le Circuit de Spa-Francorchamps se réinvente, affiche des bénéfices et vise même l’autonomie financière à l’horizon 2032. Objectif : faire de l’anneau spadois une destination touristique globale, mêlant sports moteur et découvertes multiples.
La Formule 1 est redevenue glamour. Dans les salles obscures, le film F1 cartonne, porté par les virages serrés de l’indémodable Brad Pitt, tandis que les vrais pilotes, sur les circuits et sur Instagram, associent désormais leur image aux grandes marques de luxe. Lewis Hamilton chez Dior, Pierre Gasly chez Givenchy… Même le groupe LVMH s’est invité dans les paddocks l’automne dernier pour signer un partenariat de 10 ans avec Liberty Media, le propriétaire des droits commerciaux de la Formule 1. Montant de l’investissement consenti par le n°1 mondial du luxe : 100 millions d’euros annuels pour des activations de prestige sur les grands prix avec des marques renommées comme les montres Tag Heuer, le champagne Moët & Chandon et les malles Louis Vuitton.
Dans quelques jours, c’est le Circuit de Spa-Francorchamps qui vibrera au rythme de la F1 et de ce glamour retrouvé. Le site ardennais accueillera en effet le 13e Grand Prix de la saison 2025, qui se disputera le dimanche 27 juillet, mais ce sont surtout 350.000 visiteurs que “le plus beau circuit du monde” (selon une majorité de pilotes) s’apprête à recevoir durant trois jours de festivités automobiles.
Diversification des activités
Pour le directeur de l’anneau spadois, le Grand Prix de Belgique est évidemment la cerise sur le gâteau de la renommée mondiale, mais il ne faudrait pas oublier pour autant les multiples activités sportives et touristiques qui se déroulent sur le Circuit de Spa-Francorchamps tout au long de l’année.
“Nous sommes une société d’infrastructures qui opère 220 jours par an, rappelle son directeur général, Amaury Bertholomé. Bien sûr, les sports moteur représentent toujours l’activité principale, mais nous avons diversifié notre offre avec des événements d’entreprise, du roulage privé, des baptêmes de piste, des visites guidées et même des activités à vélo depuis l’année dernière. Notre but, c’est de devenir une destination touristique globale pour que l’on puisse associer Spa-Francorchamps aux plus grandes compétitions mondiales, bien sûr, mais aussi à des expériences plus personnelles comme le tourisme individuel ou les incentives.”
L’effet Bertholomé
À la tête du Circuit depuis trois ans, Amaury Bertholomé a redressé la barre de cette PME de 45 personnes qui a longtemps souffert d’une réputation de canard boiteux avec ses déficits chroniques et sa dépendance aux aides publiques. Cette époque semble aujourd’hui révolue et les derniers chiffres attestent d’ailleurs de cette rentabilité retrouvée. Si, en 2022, le Circuit de Spa-Francorchamps souffrait encore d’une perte comptable de 1,4 million d’euros, la société affichait en revanche un résultat positif de 200.000 euros en 2023 et, surtout, un bénéfice net de 2 millions l’année dernière sur un chiffre d’affaires de 19,3 millions (hors subvention de 3 millions).
Mais comment expliquer ce redressement spectaculaire ? “Nous avons entrepris un recentrage sur le core business de l’activité qui est rentable, c’est-à-dire mettre en place une infrastructure haut de gamme dans le rang des circuits mondiaux avec des services associés – sécurité, logistique, technique, etc. – pour viser justement l’excellence dans ce core business, détaille Amaury Bertholomé. Cela nous permet de soutenir un pricing premium et donc d’attirer les meilleures compétitions de sport moteur. Le deuxième élément, c’est la diversification de notre offre, avec un accent assez fort mis sur le tourisme et qui passe aussi par la valorisation de la marque. On travaille beaucoup, depuis deux ans, sur l’optimisation de nos revenus en matière de droits à l’image et de licences octroyées, par exemple, pour des jeux vidéo. Cela permet de dégager de nouvelles recettes qui viennent en complément des recettes de location et de mise à disposition de la piste.”
Vers l’autonomie financière
Résultat des courses : une belle croissance du chiffre d’affaires depuis ces trois dernières années et, surtout, de l’Ebitda du Circuit de Spa-Francorchamps qui a grimpé de plus de 50% entre 2022 et 2024.

Mais son directeur général ne se contente pas de cette résurrection budgétaire, il vise aussi l’autonomie financière à l’horizon 2032, conformément au souhait de la coalition azur. Dans sa déclaration de politique régionale du 11 juillet 2024, le gouvernement MR-Engagés indique en effet “envisager toutes les voies possibles afin d’accroître les revenus commerciaux du Circuit permettant une réduction progressive des soutiens directs en subvention dont il bénéficie” (sic).
“C’est un projet qui me tient à cœur en tant que gestionnaire de cette entreprise, réagit Amaury Bertholomé. Nous avons fait un gros travail sur la maîtrise des coûts, sur l’optimisation des recettes et nous pouvons envisager de mettre bientôt fin à la subvention dont nous bénéficions toujours de la Région wallonne. Cela représente environ 15% de notre chiffre d’affaires global, mais nous voulons être à l’avenir parfaitement autonomes. Nous avons donc établi nos plans financiers avec, en ligne de mire, l’enclenchement du phasing out de la subvention en 2029 – c’est-à-dire juste après la fin de notre plan actuel d’investissement 2024-2028 – et qui se terminerait en 2032.”
“Nous pouvons envisager de mettre bientôt fin à la subvention dont nous bénéficions toujours de la Région wallonne.” – Amaury Bertholomé
Nouveaux chantiers
Évalué entre 30 et 40 millions d’euros (en fonction du montant des chantiers qui sont attribués), ce plan d’investissement vise à préserver et à moderniser le patrimoine du Circuit de Spa-Francorchamps à travers différents travaux : réasphaltage des 7 km de piste, installation de nouvelles tribunes, construction d’un deuxième centre médical inauguré il y a trois semaines à peine, remplacement de l’infrastructure IT avec le flambant neuf Race Control, le centre nerveux pour la sécurité du circuit avec son mur d’écrans connectés aux multiples caméras de l’anneau spadois…
Les chantiers ne manquent pas et se poursuivront en 2026 avec deux gros projets à l’agenda. Le premier concerne l’entrée principale nommée Ster qui, pour l’instant, “n’est pas à la hauteur de la réputation du circuit”, dixit son directeur général. L’idée est d’en faire “un premier coup d’œil architectural” sur le site, mais aussi un véritable centre d’accueil pour les visiteurs, avec la collaboration des opérateurs touristiques locaux et régionaux pour les faire rayonner tout autour du site.
Le deuxième chantier vise le remplacement de l’actuelle tour Uniroyal – vieille de 40 ans et plutôt inconfortable – par une toute nouvelle construction conçue par deux bureaux d’architectes liégeois (réunis pour l’occasion) et qui devrait être inaugurée, si tout se passe bien, pour le Grand Prix de Belgique de la saison 2026. Coût de l’investissement : entre 5 et 7 millions d’euros, que le Circuit de Spa-Francorchamps espère rentabiliser par la technique marketing du naming, en associant le nom d’une entreprise partenaire à cette toute nouvelle tour.

Précieuses retombées
La volonté d’Amaury Bertholomé de séduire le secteur privé s’inscrit dans l’évolution à long terme du Circuit de Spa-Francorchamps. Aujourd’hui, cette société anonyme de droit public est toujours détenue à quasi 82% par la Région wallonne via son outil financier Wallonie Entreprendre, le solde étant réparti entre la Province de Liège (17,7%) et d’autres acteurs locaux comme les communes voisines et quelques ASBL (moins de 0,5%). Mais le directeur général de cette PME n’exclut pas d’accueillir un jour des investisseurs privés dans le capital de la SA.
“Il faut le dire sans aucune forme de tabou : l’autonomisation vers laquelle nous allons, c’est aussi une façon de positionner le Circuit sur le terrain éventuel d’un partenaire privé au moment où il faudra enclencher le prochain plan d’investissement, annonce Amaury Bertholomé. Mais pour financer de nouveaux projets stratégiques, il faut placer la société dans une situation d’attractivité, que ce soit pour ses actionnaires actuels ou pour d’autres investisseurs qui pourraient être des actionnaires privés et pourquoi pas belges. C’est ce qui m’anime aujourd’hui.”
“L’autonomisation vers laquelle nous allons, c’est aussi une façon de positionner le Circuit sur le terrain éventuel d’un partenaire privé.” – Amaury Bertholomé
Cette opération de séduction est d’autant plus enthousiasmante que le Circuit de Spa-Francorchamps bénéficie d’une belle image en termes de retombées économiques pour la région. Selon une étude menée l’année dernière par le cabinet de conseil Eklo en collaboration avec l’ULiège, l’activité déployée sur le site aurait eu un impact financier de 147 millions en 2023 (retombées directes, indirectes et induites), sans compter les 84 millions de recettes fiscales générées par cette activité économique. Le Circuit de Spa-Francorchamps assurerait ainsi la création ou le maintien de 2.501 équivalents temps plein (essentiellement des emplois indirects et induits), en faisant principalement tourner le secteur horeca des villes voisines de Spa, Stavelot et Malmedy, mais aussi d’entreprises actives dans le secteur automobile.
Une affaire qui roule
Depuis trois ans, le Circuit de Spa-Francorchamps incarne à nouveau un business qui tient la route, propulsé entre autres par le retour en grâce des sports moteur en général et de la Formule 1 en particulier. L’effet de la série Drive to Survive sur Netflix n’y est pas étranger – un documentaire façon téléréalité qui emmène le spectateur dans les coulisses de la F1 depuis sept saisons déjà – avec un intérêt croissant pour cette discipline sportive de la part d’un nouveau public, plus jeune, plus féminin, plus connecté.
“C’est assez frappant de constater que, l’année passée, la moitié des spectateurs du Grand Prix de Belgique était dans la tranche des 16-34 ans, renchérit Amaury Bertholomé, et que près du tiers du public était composé de spectatrices. Ce sont des données qui sont très encourageantes pour l’avenir puisque cette féminisation, on l’observe également lors de nos différents événements, mais aussi auprès des communautés locales qui redécouvrent nos infrastructures, notamment lors de la Journée des Riverains.”
Encore une fois, la “glamourisation” de la F1 portée par l’acteur Brad Pitt, par les marques du groupe LVMH et par les pilotes professionnels devenus de vrais influenceurs n’y est sans doute pas étrangère. Tout bénéfice pour le Circuit de Spa-Francorchamps à la veille de son Grand Prix mondialement réputé.
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