Souriez, vous êtes coursés
Colruyt et Delhaize ont lancé des tests permettant aux clients de scanner leurs courses à l’aide de leur smartphone. Une tendance de fond dans le secteur de la distribution qui, sous pression, tente par tous les moyens de réduire les coûts. Les consommateurs, eux, voient leurs données de plus en plus exploitées.
On connaissait le self scanning (le client scanne ses articles au fur et à mesure à l’aide d’un lecteur de code-barres fourni à l’entrée du magasin) et le quick scanning (l’opération est effectuée, toujours par le client, aux bornes situées à la sortie). Voici à présent le scan and go. Comme dans le premier cas, le client scanne ses courses au fur et à mesure, sauf que cette fois, il le fait à l’aide de son smartphone, vous savez, ce précieux joujou qu’il tient déjà en main en entrant dans son supermarché… Ce qui lui permet également de régler la note sans passer par la caisse. Simple, rapide, efficace.
Coup sur coup, deux de nos distributeurs viennent de lancer des initiatives en ce sens. Colruyt, puis Delhaize, ont en effet créé des applications leur permettant de tester dans certains de leurs points de vente ce nouveau système de scanning et paiement ( lire l’encadré ” Mode d’emploi “).
1. Qu’est-ce qui pousse nos supermarchés dans cette voie ?
Tant chez Delhaize que chez Colruyt, on parle d'” expérience client “. ” Les consommateurs qui font leurs courses dans nos Fresh Atelier ( le dernier format lancé par Delhaize, Ndlr) sont des consommateurs urbains, jeunes et digitaux, explique Roel Dekelver, le porte-parole de l’enseigne. La rapidité, pour eux, est très importante, surtout lors des pics du matin, du midi et de la fin de journée. Ce système leur permet de ne pas devoir faire la file. ”
Chez Colruyt, on évoque ” un service supplémentaire devant apporter plus de flexibilité au client “. Si ces considérations ont évidemment toute leur importance et doivent notamment permettre aux enseignes d’attirer de nouveaux chalands rebutés par l’attente, les véritables raisons de cette offensive sont à chercher ailleurs. ” En transférant au consommateur final une partie du job initialement sous le contrôle du distributeur, celui-ci réduit ses coûts de personnel “, rappelle Pietro Zidda, professeur de retail management à l’UNamur. Celui-ci pointe également la montagne de données que nos grandes surfaces vont pouvoir collecter grâce à ce système.
” Cela va les enrichir bien au-delà de ce que vous pouvez imaginer, dit-il. Il leur sera, par exemple, possible de savoir à quelle heure vous êtes arrivé et combien de temps vous êtes resté, dans quel ordre vous avez effectué vos courses et donc, par quels rayons vous êtes passé. ” Si les enseignes installent des beacons (ces petites balises Bluetooth qui émettent des ondes radio à faible portée pouvant être captées par les smartphones), il leur sera possible de savoir si un consommateur est passé par tel ou tel rayon même s’il n’y a rien acheté. Des messages personnalisés (promos, etc.) pourraient en outre lui être envoyés lorsqu’il passe à une certaine hauteur. Enfin, le fait qu’un consommateur scanne un article pour avoir plus d’informations mais décide de ne pas le mettre dans son panier est également une source d’information importante pour les distributeurs. Armés de données très pointues sur leurs clients, ils auraient tort de ne pas les monétiser ensuite auprès de leurs fournisseurs, à l’affût de pouvoir toucher le consommateur au bon moment avec une offre personnalisée.
2. Ce service est-il réservé aux formats de proximité ?
En phase de test, le scan and go ne concerne que quelques enseignes de proximité : deux Fresh Atelier pour Delhaize (l’enseigne annonce que tous les points de vente de ce même format qui ouvriront dorénavant seront équipés du système), huit Spar et Okay (Compact) pour Colruyt. ” Ce service correspond parfaitement au positionnement de la marque Okay, explique Michon Van Doorn, marketing manager de l’enseigne. Rapide, facile et bon marché. ” ” La philosophie de Fresh Atelier repose sur tout un pan digital “, embraye Roel Dekelver.
Pour notre expert, le fait que ces tests soient menés dans des formats de proximité est tout sauf anodin. Ces petits points de vente sont propices au contrôle et au feed-back de la clientèle. ” Avec quelques caméras bien placées, on peut étudier le comportement du consommateur, estime Pietro Zidda. La clientèle étant en outre plus réduite, il est plus simple pour les employés de discuter avec des consommateurs qu’ils connaissent et avec lesquels ils ont une relation de confiance. ” Notre observateur ne pense toutefois pas que ce système ne se cantonnera à l’avenir qu’aux formats de proximité. ” Même si, en termes de gain de productivité, la rapidité est importante dans les petits magasins de proximité, c’est là où les gens achètent de grandes quantités de produits et où les files sont longues que ce système trouve de l’intérêt, c’est-à-dire dans les grands supermarchés et les hypermarchés. ”
L’un des plus grands défis de ce nouveau système concerne le vol.
Tant chez Delhaize que chez Colruyt, on préfère ne pas s’avancer. L’enseigne au lion élargira-t-elle cette technologie à ses formats Shop&Go et Proxy ? ” C’est l’outil idéal pour les magasins de proximité, se contente de répondre Roel Dekelver. Ils sont fréquentés par des early adopters (ceux qui adoptent rapidement une nouvelle technologie, Ndlr) qui sont souvent sur leur smartphone. ”
3. Quels défis ce nouveau système pose-t-il aux groupes de distribution ?
L’un des plus grands défis concerne le vol. Il suppose une confiance pour ainsi dire aveugle accordée au consommateur. Ce dernier peut très bien ne pas scanner certains articles, voire, dans le cas de Delhaize, ne tout simplement pas payer. Il n’y a en effet aucune barrière à l’entrée du magasin et le scanning du code-barres de sortie se fait après la zone des caisses. ” Un contrôle visuel par les collaborateurs est prévu, assure toutefois le porte-parole de l’enseigne au lion. En outre, les tickets sont contrôlés de manière aléatoire. ”
Du côté de Colruyt aussi, des contrôles aléatoires sont prévus. Mais l’enseigne de Hal a surtout placé un portillon qui ne s’ouvre qu’une fois les courses payées. De plus, ce fameux portillon se trouve juste avant la zone des caisses traditionnelles, permettant de rattraper plus facilement un éventuel chapardeur.
La question du vol à l’étalage s’était déjà posée lors de l’introduction des self scanning et quick scanning. C’est un problème en soi, bien que ces zones où le client scanne lui-même ses articles ou redépose son lecteur soient surveillées par un employé. Dans le cadre du scan and go, il n’y a pas à proprement parler de zone contrôlée. Ce n’est pas pour rien si, chez Colruyt, il faut d’abord scanner un code QR à proximité des caisses pour pouvoir payer via son smartphone. Du côté de Delhaize, en revanche, le client peut très bien payer dans les rayons. Pour Pietro Zidda, toutefois, les pertes liées au vol ne seraient rien, comparées aux économies réalisées sur les coûts de personnel. ” De plus, dit-il, les coûts du vol pourraient être couverts par les nouveaux revenus engrangés via le support publicitaire personnalisé que pourrait devenir l’application. ”
Pour notre expert, le défi est ailleurs : que le scan and go soit adopté par les clients. Si ces derniers ont l’impression que leurs données sont utilisées exagérément ou que l’application n’est pas suffisamment simple d’utilisation, ils risquent tout simplement de ne pas y adhérer.
4. Le ” scan and go ” signera-t-il la mort des caissiers ?
Le débat revient à chaque lancement de nouvelles technologies dans la grande distribution. Ce fut déjà le cas lors de l’introduction du self scanning. Les choses vont toutefois ici un cran plus loin. Si le client peut scanner et payer ses articles à l’aide de son smartphone, le scanning d’un code QR ou d’un code-barres lui ouvrant la porte de sortie, quelle place reste-t-il pour le caissier ? ” Il n’y a déjà plus de caissiers dans nos Fresh Atelier, souligne Roel Dekelver. Les clients scannent eux-mêmes leurs articles aux bornes, ou utilisent désormais l’application ‘Yes We Scan’. Une personne vérifie visuellement qu’ils paient bien leurs articles, mais les collaborateurs sont surtout là pour préparer les produits frais. ”
Chez Colruyt, on souligne que le nombre de caisses classiques n’a pas été réduit dans les magasins qui accueillent le test. ” Il s’agit toutefois de bien accompagner le personnel lors de ce genre d’initiative, explique Michon Van Doorn. Les collaborateurs comprennent que ce qu’ils apportent au magasin ne se fait pas uniquement aux caisses. C’est surtout dans d’autres tâches que leur plus-value est forte. ”
Le discours traditionnel soutient en effet que les personnes assurant la caisse se verront dorénavant affectées à d’autres tâches en magasin, notamment l’aide et le conseil aux clients dans le cadre de la sacro-sainte ” expérience client “. Il faut, disent en choeur les distributeurs, redonner de la pertinence aux points de vente physiques à travers le service, le conseil, les démonstrations, etc. Bref, réintroduire de l’humain dans les points de vente pour faire face à l’e-commerce. Alors que la distribution s’est construite sur le modèle du self-service, il s’agirait à présent pour les collaborateurs de servir davantage les clients. Un scénario auquel Pietro Zidda ne croit pas… entièrement. ” On ne se différencie pas via les technologies, mais bien par le service, et donc l’humain, reconnaît-il. Une partie du personnel sera donc réaffectée, mais une partie seulement. Car l’objectif de ces nouveaux systèmes est bien, je le rappelle, de réduire les coûts. ”
Mode d’emploi
Testée par le groupe Colruyt dans huit de ses magasins de proximité Spar et OKay (Compact), l’application ” Scan.Pay.Go. ” impose au client de s’enregistrer à l’aide de son login Xtra (la carte de fidélité du distributeur) et d’activer la géolocalisation sur son smartphone. Il se voit ainsi guidé jusqu’au point de vente via Google Maps. Lors de la première utilisation, l’utilisateur doit par ailleurs se prendre en photo, sans quoi il ne peut débuter ses emplettes. Après avoir été invité à se connecter au wi-fi du magasin, le consommateur peut enfin commencer à scanner ses articles. Il est invité, une fois ses courses terminées, à scanner un code QR situé à proximité des caisses pour débloquer le paiement. Paiement qui peut être effectué via l’application Payconiq (Bancontact) ou les applications bancaires traditionnelles. Lorsque le paiement est enregistré, le client reçoit un autre code QR qu’il doit scanner pour ouvrir le sas de sécurité et quitter le magasin, passant par l’espace caisses.
Chez Delhaize, les choses sont quelque peu différentes. L’application ” Yes We Scan ” testée dans ses Fresh Atelier (le nouveau format de proximité du distributeur) n’exige ni géolocalisation, ni photo. Le client doit par contre scanner un code QR à l’entrée pour pouvoir commencer ses courses. Il peut ensuite scanner ses articles de deux manières : soit avec le code-barres, soit en approchant simplement son smartphone des étiquettes apposées en rayon. La reconnaissance s’opère grâce à la technologie NFC (Near Field Communication). A l’issue de ses courses, le consommateur peut payer via l’application Payconiq (Bancontact), Apple Pay ou Google Pay. Il reçoit alors un ticket électronique muni d’un code-barres à scanner à la sortie. Ici, pas de barrière de sécurité, mais un simple contrôle visuel du personnel (réduit) en magasin.
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