Sonaca-Aciturri, une alliance belgo-espagnole pour l’avion du futur

Si Sonaca travaille sur les structures en aluminium, Aciturri se concentre sur les structures en carbone composite. © Getty images
Olivier Mouton
Olivier Mouton Chef news

Sonaca acquiert 51% de l’espagnol Aciturri. Une complémentarité entre aluminium et matériaux composites pour préparer l’avenir de l’aéronautique. “L’avion de demain sera très différent”, assure Yves Delatte. Le CEO de Sonaca nous explique en quoi ce partenariat est un nouveau chapitre majeur, en phase avec la volonté de réindustrialiser l’Europe.

C’est un tournant majeur dans l’industrie aéronautique européenne, en vue de la décarbonation du secteur, avec des Belges à la manœuvre. Sonaca, un des leaders mondiaux dans le développement et la fabrication de structures d’avions, a annoncé mi-décembre l’acquisition de 51% des activités d’aérostructures de l’espagnol Aciturri, spécialiste européen de renom dans le domaine des structures composites.

L’alliance des deux entreprises compose le troisième groupe mondial indépendant. Il totalise un chiffre d’affaires de 1,1 milliard d’euros et emploi 6.200 personnes dans sept pays. L’objectif de ce mariage ? Réussir le pari majeur consistant à démontrer que l’on peut continuer à voyager en avion, tout en assumant les objectifs climatiques.

“Il y a deux leitmotivs derrière cette acquisition, souligne Yves Delatte, CEO de Sonaca. Le premier, c’est d’être en mesure de jouer un rôle de premier plan dans la décarbonation du secteur. Nos deux entreprises sont complémentaires car nous travaillons sur les structures en aluminium et Aciturri sur les structures en carbone composite. Le deuxième, c’est de pouvoir préserver notre pôle d’emploi en Belgique et à l’échelle européenne. En résumé, il s’agit de réindustrialiser l’Europe!”

Une complémentarité évidente

Le bénéfice de cette alliance pour Sonaca, c’est d’apporter une autre corde à son arc pour répondre au défi de la décarbonation de l’aviation. “Sonaca est une entreprise performante qui produit 96% de ses produits en aluminium, raconte son CEO. Nous sommes capables de produire en composite, mais nous n’avons pas la taille critique pour le faire de façon industrielle. Il s’agit de fibres de carbone à la fois très résistantes et très légères, que l’on injecte dans une résine pour les solidifier. Cette légèreté est un très gros avantage.”

Yves Delatte, CEO de Sonaca © BELGA

Pour réussir le défi périlleux de transformer le secteur, la combinaison des deux techniques est incontournable. “Ce matériau composite que l’on utilise allège les avions et diminue la consommation, prolonge-t-il. C’est comme si l’on pouvait enlever 100 kilos sur une voiture, même si cela ne rend pas encore l’avion totalement neutre sur le plan des émissions. Cela participe à un ensemble de facteurs qui doivent être conjointement mis en place pour atteindre ces objectifs.”

Sonaca apportera sa pierre à l’édifice de l’avion du futur en développant des structures plus aérodynamiques et de nouvelles méthodes de conception, précise son CEO. “Il y aura aussi de nouveaux moteurs, pour lesquels Safran pourra apporter sa touche. N’oublions pas l’avènement de carburants durables ou de nouvelles formes d’énergie comme l’électricité ou l’hydrogène. Nous pouvons également aider avec le développement, tant chez Sonaca que chez Aciturri, de nouvelles technologies plus spécifiques.”

Un exemple parmi d’autres ? L’avènement du dégivrage électrique. Pour l’instant, on prélève de l’air chaud dans le moteur pour empêcher que les ailes givrent. “Ce faisant, nous sommes aussi un consommateur d’énergie et émetteur de CO2, explique le CEO. Nous allons remplacer cela par du dégivrage électrique, grâce à des batteries ou des alternateurs. L’avion ne devient pas neutre en carbone, mais certaines fonctionnalités le deviennent. Aciturri travaille, pour sa part, sur des technologies de réservoirs à hydrogène. C’est une opportunité que nous n’offrions pas.”

Renouveler la flotte

Le développement d’une aviation décarbonée se fera bien pas à pas, et passera par des solutions technologiques partielles, dans un premier temps. “Cela reste un défi majeur, ce sera progressif, mais aussi exponentiel, insiste Yves Delatte. C’est à l’image de la croissance des énergies renouvelables ou de la percée des véhicules électriques. Au départ, il y a eu des innovations ponctuelles et des petits projets. Ce à quoi il faudra arriver à terme, c’est évidemment renouveler la flotte d’avions.”

Les nouveaux appareils livrés aujourd’hui par Airbus et Boeing consomment 30% en moins que les générations précédentes. Cette évolution doit être accélérée. “Nos clients voient également cette acquisition d’Aciturri de manière positive parce que cela renforce la chaîne de valeurs, explique le CEO de Sonaca. Airbus et Boeing ont des carnets de commandes ultra-pleins. Si vous voulez acheter un Airbus en 2025, vous ne pourrez en prendre possession que dans huit ans. Imaginez que l’on vous annonce que vous pourriez avoir votre nouvelle voiture en 2032 ou 2033, je ne pense pas que vous trouverez cette situation satisfaisante.”

En pleine mutation, l’industrie repose sur une base de production trop fragilisée. “L’aérostructure en particulier est un métier difficile, il y a pas mal d’entreprises qui souffrent beaucoup. D’où l’importance de voir deux sociétés solides s’associer pour pérenniser cette chaîne de valeurs.”

Une stratégie de combat européenne

Il n’est pas anecdotique, évidemment, que ce soient deux entreprises européennes qui s’allient. Ce mouvement fait songer à l’une des plus belles réussites de l’Union européenne, Airbus. “C’est évident, sourit Yves Delatte. Mais par ailleurs, si Airbus est et reste notre premier client, elle ne représente pas la majorité de notre chiffre d’affaires, loin de là. L’intégration est également très appréciée par Boeing parce que nous sommes un des plus gros fournisseurs pour cette entreprise aux États-Unis. Et Aciturri a obtenu des premiers contrats avec elle, qu’il conviendra de développer.”

Une stratégie de combat, donc. “Nous devenons le troisième acteur mondial, insiste le CEO. Mais nous renforçons notre ancrage européen, c’est clair. C’est intéressant, aussi, en matière de défense, avec le futur Système de combat aérien du futur (SCAF). La France, l’Allemagne et l’Espagne sont actives dans ce projet, la Belgique n’ayant que le statut d’observateur. Grâce à Aciturri, nous aurons véritablement un pied dans ce SCAF et j’aimerais que l’on en ait un deuxième quand la Belgique passera du statut d’observateur à celui de partenaire. Observer, c’est bien, mais c’est insuffisant.”

Voilà un chantier important pour le futur gouvernement De Wever, s’il finit par voir le jour…

“Il y a deux leitmotivs derrière cette acquisition : être en mesure de jouer un rôle de premier plan dans la décarbonation du secteur et préserver notre pôle d’emploi en Belgique et en Europe.”
Yves Delatte, CEO de Sonaca

Yves Delatte, CEO de Sonaca


Avec le recul, Yves Delatte se félicite de voir que l’annonce de cette acquisition d’Aciturri a été bien accueillie, de toutes parts. “Par notre personnel, ravi de voir que l’on ouvre un nouveau chapitre de l’histoire de Sonaca, mais aussi en Espagne parce que pour eux, c’est bénéfique d’être associé à un leader international qui va leur ouvrir les portes de clients dans le monde entier. Le mode de cogestion a aussi rassuré tout le monde : d’entrée de jeu, nous avons bien précisé qu’il n’y aurait pas de logique de réduction d’emploi ni en Belgique ni en Espagne ni dans nos autres filiales. Cela s’inscrit dans une stratégie de croissance à long terme pour chercher de nouveaux contrats.”

L’avion du futur sera “très différent”

L’avion du futur reste à concevoir. Sonaca et Aciturri vont collaborer sur son visage, encore incertain. Au même moment, l’explorateur Bertrand Piccard travaille avec Syensqo à la préparation d’un tour du monde à bord d’un avion à hydrogène, sans escale, avec deux personnes à bord. Les deux démarches ne sont pas menées en commun, mais elles sont complémentaires.

“Ce que fait Bertrand Piccard est très positif, il œuvre à l’acceptation de la décarbonation du secteur au sein du grand public, souligne Yves Delatte. Je tiens le même langage, mais avec des outils différents. Lui se lance dans des expériences pilotes médiatisées pour faire voler un avion et il fait cela très bien. Nous travaillons sur une autre dimension : développer des technologies et des processus à échelle industrielle. Bertrand Piccard, c’est le pionnier qui ouvre la voie.”

Dès aujourd’hui, une équipe de 25 ingénieurs travaille au sein de Sonaca sur un projet d’avion de futur. “Je ne peux pas encore donner de détails, mais ils élaborent une forme d’avion significativement différente de la forme ‘cigare-ailes’ actuelle, précise son patron. C’est un chantier confidentiel, mené avec un avionneur, mais cela pourrait générer des économies de carburant très significatives. On parle de projets qui seront concrets dans les années à venir.”

Quelle est la temporalité précise envisagée pour cette révolution nécessaire? “Le taxi volant de Wisk est en bonne voie, nous avons livré le premier prototype d’aile l’été dernier. Cet avion électrique autonome de quatre places devrait voler très prochainement. Pour moi, la révolution est en marche. Il est évident que l’objectif du zéro carbone en 2050 est un fameux défi.”

Non à un monde sans avion

Le but, insiste le CEO de Sonaca, n’est “pas de faire du greenwashing parce que cela n’aurait pas d’impact”. “Il faut évidemment reconnaître qu’un avion émet du CO2, identifier les sources de ces émissions, mais reconnaître aussi que c’est un moyen de transport permettant aux gens de se connecter entre eux, de rester en contact, de découvrir d’autres cultures… Un monde sans avion serait un monde avec une montée des extrémismes et des protectionnismes. Je mets tout en œuvre avec Sonaca pour apporter des réponses tangibles et concrètes. De là à garantir que le secteur sera totalement décarboné en 2050 ? Franchement, je n’ai pas de boule de cristal. Mais nous essayons de permettre aux prochaines générations de continuer à voler de manière durable.”

Si cela semble réaliste pour les courtes distances, cela semble plus compliqué d’envisager des solutions pour les longs-courriers. Quoique… “Déjà aujourd’hui, un A321XLR, le dernier Airbus pour lequel on produit des flaps, contient des évolutions technologiques lui permettant de faire l’équivalent du deux litres au 100 kilomètres en voiture, en étant rempli, pour un vol transatlantique. C’est déjà une performance intéressante, même si on veut aller plus loin vers le zéro carbone. Et cela passera à un moment, sans doute, par des phases de compensation.”

Une certitude : la révolution est en marche et les avions de demain ne seront pas comme les avions d’aujourd’hui. “La marque de fabrique de Sonaca, c’est d’être performant, en revenant dans la rentabilité financière, mais en jouant aussi un rôle dans l’évolution de nos sociétés, conclut Yves Delatte. Nous ne le faisons pas parce que nous sommes contraints et forcés, mais bien par conviction. Je pense sincèrement que dans 10 ou 20 ans, il y aura encore de l’aviation. Je ne vois pas comment un gouvernement pourrait empêcher les individus de se déplacer. On peut rendre cela plus cher, mais le besoin de découvrir le monde est un besoin fondamental de l’être humain. Depuis la nuit des temps, il est prêt à risquer sa vie pour découvrir autre chose.”

Il sera donc capable de réinventer les outils pour y parvenir. Chiche!

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