Portrait du nouveau Solvay : “La scission a été une décision ambitieuse et c’était la bonne”
Malgré ses 160 printemps, le nouveau Solvay se sent comme un jeune poulain en quête de perfectionnement. “Après la scission, nous sommes à nouveau une entreprise de chimie essentielle. Nous pouvons nous concentrer sur l’amélioration des procédés de production, qui est notre alpha et notre oméga. Nous réinventons nos racines”, déclare Philippe Kehren, le CEO de l’entreprise belge.
Plus ça change, plus ça reste la même chose.” Telle pourrait être la devise du nouveau Solvay. 160 ans après l’invention par Ernest Solvay du procédé de production du carbonate de soude, les résultats de l’entreprise de chimie sont aujourd’hui plus que jamais déterminés par les prix de ce même produit. Après la scission des activités de chimie de spécialité à Syensqo, le carbonate de soude, qui est un composant de base pour la production de verre, de détergents et de batteries, pour citer quelques exemples, représente à nouveau 30 % du chiffre d’affaires de Solvay. “Le nouveau Solvay est une entreprise de chimie essentielle qui se concentre sur la production de carbonate de soude, de bicarbonate, de peroxydes, de silice, de matériaux à base de terres rares et de fluor”, explique Philippe Kehren, CEO de l’entreprise depuis décembre de l’année dernière.
Pas une entreprise cyclique
Après avoir atteint des sommets en 2023, les prix du carbonate de soude sont aujourd’hui en baisse. La période creuse a commencé au quatrième trimestre de l’an dernier et une reprise généralisée n’est pas encore en vue. Pour cette année, Solvay s’attend à ce que son bénéfice brut (Ebitda) baisse de 10 à 15%. “Les résultats du premier semestre sont solides et même légèrement supérieurs aux attentes. La demande reste relativement faible, mais l’atout majeur de l’activité du carbonate de soude reste la diversité de ses clients. Les marchés du verre tournent au ralenti, mais la demande de carbonate pour les panneaux solaires augmente. Nous fournissons des produits essentiels pour des besoins essentiels. La demande sera présente à moyen terme”, estime Philippe Kehren.
Malgré l’inconstance des prix du carbonate de soude, Solvay parvient à présenter des résultats relativement stables. Ces dernières années, le bénéfice brut a oscillé autour du milliard d’euros par an. En 2024, la direction s’attend à un bénéfice brut compris entre 0,975 et 1,04 milliard. “Nous ne sommes pas une entreprise cyclique. Sur chacun de nos marchés, les quatre ou cinq plus grands acteurs contrôlent plus de la moitié du marché mondial. Nos résultats fluctuent un peu, mais cela est dû au cycle économique et non au caractère de nos marchés finaux”, détaille le CEO de Solvay.
La chimie essentielle semble sujette à la concurrence et à la surcapacité, mais les activités de Solvay sont entourées de douves assez profondes qui les protègent des assauts de la concurrence. “Nous devons être compétitifs pour défendre notre part de marché. En effet, les clients ne regardent pas seulement le prix, ils exigent aussi des approvisionnements durables. Il ne suffit pas de lancer une nouvelle usine de carbonate de soude pour qu’elle fonctionne de manière durable et efficace. Il faut avoir le savoir-faire technologique à portée de main. C’est le cas sur tous nos marchés. Seul un nombre limité d’acteurs maîtrisent ces procédés. Si quelqu’un veut construire une usine de carbonate de soude quelque part dans le monde, il appelle Solvay. Et nous lui répondons que nous sommes désolés, mais que nous sommes nous-mêmes des producteurs”, explique Philippe Kehren.
Bio
• Né en 1971 en France
•Ingénieur chimiste à l’Ecole Polytechnique française et à l’Université du Wisconsin
•1996 : commence sa carrière au sein de la division chimique de Rhône-Poulenc (qui deviendra Rhodia)
•2011 : directeur des services énergétiques chez Rhodia. A rejoint Solvay en 2011 suite à l’acquisition de Rhodia.
•2021 : directeur de la division carbonate de soude de Solvay
•2023 : CEO de Solvay après la scission avec Syensqo
Une scission qui présente des avantage
La scission de l’entreprise a été bénéfique pour Solvay, affirme son CEO, fan de rugby pendant ses heures libres. “Nous sommes à nouveau une entreprise industrielle. Avant la scission en décembre 2023, l’ “ancien Solvay” était plus diversifié. Il y avait la chimie essentielle, où l’amélioration des procédés faisait la différence, et la chimie de spécialité, où l’innovation des produits faisait la différence. Il s’agissait de deux activités différentes sous un même toit. Aujourd’hui, nous pouvons nous concentrer sur l’amélioration des procédés. La scission a été une décision ambitieuse et c’était la bonne”.
Solvay a donc contrôlé, numérisé, simplifié et rendu les procédés de production plus efficaces. “L’innovation des procédés est notre alpha et notre oméga. Nous n’inventons pas de nouvelles molécules. Ce qui compte, c’est l’efficacité et la durabilité avec lesquelles nous produisons ces molécules. Ernest Solvay a inventé le procédé du carbonate de soude voici 160 ans. Au cours de cette période, le processus de production n’a pas cessé d’être modifié. Aujourd’hui, nous le réinventons, à la fois en termes d’efficacité et de durabilité. Si nous voulons atteindre la neutralité carbone – ce qui est notre ambition – nous devons modifier fondamentalement le procédé de production. Nous y travaillons”, affirme Philippe Kehren.
“Si quelqu’un veut construire une usine de carbonate de soude quelque part dans le monde, il appelle Solvay.”
D’ici 2028, Solvay tentera de réduire ses coûts de 300 millions d’euros. Des économies de 46 millions ont déjà été réalisées au cours du premier semestre de cette année. Il s’agit d’un millier de petites et grandes mesures. “Ces économies n’étaient pas possibles dans l’ancienne mouture de Solvay”, explique Philippe Kehren. “C’est tout l’intérêt de la scission. Dans l’ancien Solvay, il fallait choisir entre investir dans des activités à forte croissance et à profil de risque plus élevé, ou dans des activités à faible croissance et à faible risque. Ce choix n’était pas toujours facile. Dans le passé, les efforts ne se concentraient pas entièrement sur la chimie essentielle. Aujourd’hui, c’est le cas et grâce à la scission, nous pouvons nous concentrer sur la modernisation de nos 45 usines à travers le monde.”
Le prix de la transition climatique
La transition climatique est une nécessité pour Solvay, mais aussi un investissement, affirme Philippe Kehren. “La transition fait partie de nos valeurs et est indispensable pour rester compétitif. Cela concerne principalement la production énergivore de carbonate de soude, dont la moitié est réalisée aux Etats-Unis et l’autre moitié en Europe. Nous opérons sur un marché mondial et nous ne pouvons donc pas nous permettre le coût actuel du CO2 dans nos usines européennes. C’est pourquoi nous devons opérer cette transition énergétique le plus rapidement possible. Nous soutenons le Green Deal européen, mais nous avons également besoin d’un accord industriel. L’environnement et l’industrie sont compatibles l’un avec l’autre. Ce ne serait pas durable de déplacer l’industrie de l’Europe vers des régions où les normes environnementales sont moins strictes”, estime le grand patron de l’entreprise belge de chimie.
L’élimination des émissions de carbone nécessite de repenser en profondeur les procédés de production. “Il s’agit d’une transformation complexe, détaille Philippe Kehren. Il faut trouver des énergies renouvelables locales qui peuvent remplacer le charbon. En Allemagne, par exemple, nous remplaçons le charbon par du bois de récupération provenant de déchets industriels et de démolition. En France, nous utilisons des combustibles solides de récupération dans notre usine de Dombasle. Aux Etats-Unis, nous sommes passés du charbon au gaz naturel, mais ce n’est pas une solution à long terme. Chaque usine doit chercher une solution qui est propre à son contexte. Les clients doivent également participer à l’effort, en étant prêts à acheter notre produit parce qu’il est durable et qu’il est produit par une chaîne de valeur courte.”
D’ici 2050, Solvay ambitionne de fonctionner en étant climatiquement neutre, mais l’entreprise trouvera-t-elle suffisamment d’énergie renouvelable pour atteindre cet objectif ? “La neutralité carbone ne peut être atteinte que par l’électrification de nos processus. Nous avons donc besoin d’une électricité compétitive et respectueuse du climat. L’énergie nucléaire pourrait être une solution. Nous étudions le déploiement de petits réacteurs nucléaires modulaires (les SMR, ndlr), par exemple en Bulgarie. Nous y avons une usine majeure, mais l’énergie est rare. L’industrie a besoin d’un approvisionnement stable en énergie, et l’énergie nucléaire peut fournir cette base”, déclare Philippe Kehren.
“Nous étudions comment déployer de petits réacteurs nucléaires modulaires, par exemple en Bulgarie.”
Un potentiel de croissance
“Solvay est une entreprise ‘ennuyeuse’ qui garantit des rendements attrayants”, déclarait, en avril dernier, David Einhorn, un investisseur influent. Une déclaration qui a donné un coup de fouet au cours de l’action, mais avec un ratio cours/bénéfice de 8, l’action n’est pas excessivement chère. Les investisseurs en quête de croissance ne trouveront probablement pas leur bonheur avec Solvay, mais l’entreprise n’est pas totalement dépourvue de bénéfices en hausse. Philippe Kehren : “Au cours des 10 dernières années, notre bénéfice brut a augmenté d’environ 5 % par an. Grâce à la croissance de nos marchés finaux, nous visons également une croissance moyenne d’environ 5 % pour les cinq prochaines années. Les ventes de trois quarts de nos produits suivent le produit intérieur brut (PIB) et un quart de nos produits croissent plus rapidement que le PIB. Nous ne concevons pas de nouveaux produits, mais nous découvrons de nouvelles façon de les utiliser.”
Par exemple, la demande de bicarbonate augmente deux fois plus vite que le PIB car il est utilisé pour dépolluder l’air. Le bicarbonate peut aussi être employé pour certains produits pharmaceutiques. La demande de peroxydes purs augmente aussi rapidement, car ils sont nécessaires à la production de semi-conducteurs. “Un autre exemple est le raffinage des terres rares, raconte Philippe Keheren. Dans notre usine de La Rochelle, en France, nous fabriquons ces métaux pour les pots catalytiques des voitures, entre autres, mais nous produirons aussi les premières tonnes pour les aimants permanents d’ici 2025. Ce marché est aujourd’hui entièrement contrôlé par la Chine, mais les aimants permanents sont aussi nécessaires pour les éoliennes et les moteurs électriques. Ils revêtent donc une importance stratégique pour l’électrification de l’économie”.
“L’Europe cherche à sécuriser l’approvisionnement en matières premières et composants stratégiques, poursuit le CEO de Solvay. Nous recentrons donc une partie de notre capacité de production à La Rochelle pour approvisionner le marché des aimants permanents. A terme, nous visons à détenir une part de marché de 30 %. Cela ne change pas la donne pour Solvay, mais c’est un projet important.”
Un dividende stable
En plus d’offrir une bonne croissance, Solvay permet avant tout à ses actionnaires de toucher un dividende stable et assez généreux. Environ un tiers du cash-flow opérationnel de la société est distribué sous forme de dividendes, alors qu’un second tiers est affecté aux investissements essentiels, et le dernier tiers est réservé aux opportunités d’investissement liées au marché. Ainsi, Solvay travaille par exemple à l’extension de sa capacité de production de carbonate de soude dans le Wyoming, aux Etats-Unis.
“Un tiers de notre cash-flow opérationnel doit être dépensé pour maintenir la valeur de nos actifs et réaliser la transition énergétique, détaille Philippe Kehren. Les investissements essentiels ne sont pas négociables. Nous sommes une entreprise, avec 160 ans d’expérience et un actionnaire de référence. Ma mission consiste à transmettre l’entreprise à la génération suivante dans les meilleures conditions possibles. Il reste ensuite suffisamment de liquidités pour récompenser l’actionnaire et réaliser des investissements supplémentaires lorsque les opportunités se présentent sur le marché. Nous réalisons une belle marge bénéficiaire sur nos activités. Dans une activité à forte intensité de capital comme la nôtre, cette marge est indispensable pour financer les investissements.”
Les projets Green River
Le carbonate de soude est généralement fabriqué selon le “procédé Solvay”, sauf dans les usines situées à proximité d’un gisement de trona, un minerai dont le carbonate de soude peut être directement extrait. Cependant, les gisements naturels de trona sont rares. A côté des deux grands gisements situés en Chine et en Mongolie et d’un petit en Turquie, Solvay possède le seul autre grand gisement sur le globe: celui de Green River, dans l’Etat américain du Wyoming.
“Cette extraction naturelle de la soude est plus compétitive que le procédé classique de Solvay, car elle nécessite moins d’énergie, détaille le CEO de Solvay. L’inconvénient est que ce projet dans le Wyoming est particulièrement éloigné, ce qui augmente forcément les coûts logistiques. Compte tenu de l’augmentation de la demande mondiale en carbonate de soude, nous avons décidé d’augmenter la capacité de Green River de 600.000 tonnes. Ces volumes seront disponibles à partir de 2025. Il s’agit d’une capacité supplémentaire équivalant à près de 2 % du marché, en dehors de la Chine. Le projet couvre ainsi une année de croissance du marché.”
Ce n’est pas l’ambition de Solvay de fournir le monde entier depuis le Wyoming. “Dans la chimie essentielle, la tendance est aux chaînes de production locales. C’est pourquoi nous ne voyons pas non plus un concurrent chinois venir s’établir sur les marchés européens à l’avenir. Vous savez, aucun carbonate de soude n’est produit dans l’hémisphère sud. C’est incroyable. Lorsque l’énergie devient si chère en Europe, il devient plus intéressant de construire des usines là où se trouve les besoins de consommation. Notre nouveau procédé de production de carbonate de soude peut être appliqué partout dans le monde”, affirme Philippe Kehren.
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