Smog et pollution, un business à l’avenir radieux en Chine
Les innombrables aciéries et cimenteries implantées au Shandong en font l’une des provinces les plus irrespirables de Chine, premier pollueur mondial. Et une aubaine pour les fabricants de masques antipollution, autre spécialité locale, pour qui le ciel reste radieux.
L’entreprise ASL en a produit plus de 100.000 l’an dernier et compte bien doubler sa production en 2016.
Partout ailleurs les ouvriers migrants sont rentrés en famille début février pour le Nouvel an lunaire. Mais chez ASL, le PDG Zhang Wenchao, 29 ans, a tout fait pour les retenir.
C’est que “décembre-avril, c’est la période la plus chargée… car c’est le pic de pollution”, justifie-t-il.
En Chine, le marché des masques antipollution représentait en 2015 près de 4 milliards de yuans (560 millions d’euros), selon la presse officielle.
La concentration de particules de 2,5 microns de diamètre (PM 2,5), dangereuses car elle pénètrent profondément dans les poumons, pulvérise régulièrement le seuil maximal de 25 microgrammes/m3 recommandé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
A Shenyang (nord-est), elle a même dépassé en novembre …1.400 ! Et aucune ville n’a atteint les normes requises en 2015.
Exacerbée par l’utilisation du charbon pour le chauffage et la production d’électricité, cette pollution entraîne des centaines de milliers de décès prématurés chaque année.
Samedi, devant le Parlement, le Premier ministre chinois Li Keqiang a réitéré son engagement de “guerre à la pollution” pour parvenir à une “économie verte”.
La veille, à Pékin, le niveau dépassait allègrement les 300 microgrammes/m3.
Du fumier
Devenu l’une des principales sources de mécontentement populaire, le smog est aussi un filon pour les fabricants de purificateurs d’air, de terminaux de surveillance et autres masques.
“La prise de conscience du public est croissante. Les gens savent que les PM 2,5 sont mauvais pour eux”, explique le patron d’ASL.
Les masques sont devenus omniprésents dans les rues chinoises, même si seuls 42% des Pékinois déclarent les porter régulièrement.
A Dongliu, les bâtiments défraîchis de l’usine ASL sont encore décorés d’enseignes décaties des années 80 appelant à l'”innovation scientifique”.
Des dizaines d’ouvrières coiffées de chapeaux bleu vif et habillées de tabliers y travaillent dans un silence quasi-total, fixant les filtres sur les masques avant d’y greffer des sangles latérales jaunes.
“Le smog est mauvais pour les poumons. On porte toutes des masques, dans les environs”, indique Chen Aimei, emballeuse au salaire mensuel de 6.000 yuans (837 euros).
Le Shandong est le coeur du secteur. Dadian, autre centre de production de la province, est surnommé “le village des masques” pour ses spécimens bon marché.
Mais la filière est gangrénée par les malversations.
Un scandale a éclaté à Dadian l’an passé lorsque les médias locaux ont découvert que des matériaux de récupération étaient utilisés pour la fabrication de masques. Entreposés à côté de tas de fumier, ils servaient aussi de couchage aux chiens errants.
Les douaniers de Shanghai avaient eux saisi en décembre 120.000 masques contrefaits de la marque américaine 3M.
‘Comme des médecins’
Pékin et plusieurs villes chinoises ont décrété cet hiver leurs premières “alertes rouges” au smog, ordonnant une circulation alternée et conseillant aux écoles de fermer.
“D’un coup, les gens qui d’habitude s’en fichaient se sont dit +Mon Dieu!+”, se rappelle Liam Bates, fondateur d’un fabricant de terminaux portatifs de surveillance de la pollution atmosphérique, destinés principalement au marché chinois.
“En 24 heures, nous en avons vendu autant que tout le mois précédent”, s’étonne-t-il.
Zhang Wenchao, dont le père a racheté ASL dans les années 90 à l’époque où elle n’était qu’une entreprise déficitaire, dit avoir fait fortune.
Derrière son imposant bureau en acajou, il brandit sa dernière invention — un filtre à air nasal — tout en certifiant espérer une réduction de la pollution… même au détriment de son chiffre d’affaires.
“Nous sommes comme des médecins à l’écoute de nos patients”, métaphore-t-il. “Aucun docteur ne souhaite voir son patient malade.”
Mais il n’anticipe aucune baisse de la demande: “Durant la prochaine décennie, des efforts seront fait pour améliorer la qualité de l’air, mais le problème ne sera pas totalement résolu”.
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