Sept différences entre le métavers et le monde numérique d’aujourd’hui

Le métavers est un peu comme le monstre du Loch Ness. Tout le monde en parle, mais bien peu l’ont vu… Quelques-uns prétendent savoir ce que c’est, mais qui peut vérifier ? Seulement un jour, le métavers existera vraiment et interviendra dans tous les aspects de nos vies. Deux scientifiques belges nous donnent un bref aperçu de cet avenir.

Nous sommes à Anvers, à Bruxelles ou New York, peu importe l’endroit, ce qui est certain c’est que nous sommes quelque part dans un futur lointain. Dans le centre de sécurité de la ville, d’innombrables ordinateurs bourdonnent. Sur un écran gigantesque, nous voyons et entendons le coeur de la ville, ce qui s’y passe à ce moment précis. Soudain, un incendie se déclare dans une usine chimique située dans le port. Les ordinateurs s’affolent et passent à la vitesse supérieure. Ils savent immédiatement à quel point la fumée est toxique, dans quelle direction elle ira fonction du vent et quels quartiers doivent être évacués. Tout aussi rapidement, ils calculent des simulations sur divers scénarios d’évacuation et les mesures sont prises en un rien de temps, et naturellement, les services d’urgence sont prévenus.

Mais il est possible de faire beaucoup plus. Le système, qui contrôle le trafic, alerte les GPS des voitures dans et autour de la ville. Les systèmes domotiques des maisons reçoivent l’instruction de rafraîchir l’air ambiant d’abord et puis de s’arrêter ensuite. Les applications fitness conseillent aux joggeurs de réajuster leur parcours et leur indiquent le meilleur itinéraire. Tout se passe parfaitement, notamment parce que les ordinateurs créent constamment de nouvelles simulations et ajustent leurs actions en fonction des situations. En un rien de temps, tout est sous contrôle, le désastre est évité. Le métavers a une fois de plus prouvé sa valeur.

Il faudra, il est vrai, un certain temps avant que cette vision de l’avenir ne devienne réalité, mais l’arrivée du métavers est une certitude. Pour savoir ce que cela signifie exactement, Trends a consulté deux experts : Axel Nackaerts, responsable du programme Intelligence Artificielle à l’imec, et Xavier Rottenberg, chargé des technologies de détection et d’actionnement au même centre de recherche. Ils voient sept différences majeures entre le métavers et le monde numérique tel que nous le connaissons aujourd’hui.

1. Vous pouvez y faire presque tout ce que vous voulez

Aucune définition du métavers ne peut être donnée pour le moment, les deux experts doivent l’admettre immédiatement. Mais on peut y voir la prochaine version d’internet, un réseau d’espaces tridimensionnels. “Le métavers est souvent décrit comme un monde partagé en permanence, que plusieurs personnes peuvent expérimenter simultanément comme si c’était un monde réel”, explique Axel Nackaerts.

Sous la forme d’un avatar – sorte de marionnette numérique nous représentant – nous pouvons nous y promener, jouer à des jeux, faire des achats et travailler. Des exemples de tels espaces 3D existent déjà, par exemple dans les jeux vidéo. Il est important de signaler que les utilisateurs peuvent réellement y faire des choses, car les personnes et les objets sont connectés. Ainsi, la simple visualisation virtuelle d’un appartement dans un film à 360 degrés n’est pas un exemple de métavers. “Pour moi, il est important qu’il y ait une dimension temporelle pour que l’évolution puisse avoir lieu”, explique Xavier Rottenberg.

Sept différences entre le métavers et le monde numérique d'aujourd'hui
© GettyImages

2. Pour le moment, c’est un peu de tout

Au début, le métavers sera certainement le creuset de nombreuses technologies. C’est un peu comme la création de l’internet : plus de la moitié des technologies d’il y a 20 ans ont disparu depuis.

“Le métavers sera une sorte de Far West pendant un certain temps, mais il évoluera vers quelque chose qui a du sens”, déclare M. Nackaerts. “Pour l’instant, il est impossible d’en avoir une vision globale. Il y a les espaces 3D, il y a un côté réseau social, il y a une partie industrielle, il y a une partie économique avec les droits de propriété numérique comme les jetons non fongibles (NFT).” Un NFT est un droit de propriété sur un objet numérique, pour lequel la technologie blockchain a été utilisée. Si vous investissez dans une oeuvre d’art numérique ou achetez un sac à main ou un chapeau virtuel pour votre avatar, vous devez être en mesure de prouver que cela vous appartient.

Il est certain que nous avons besoin de droits de propriété numérique dans le métavers. Mais Axel Nackaerts ne sait pas encore si nous utiliserons les NFT et la technologie blockchain pour cela : “Il faut construire tout un système économique pour gérer la propriété numérique. Les NFT sont-elles indispensables pour cela ? Non, vous pouvez parfaitement utiliser une autre technologie, une banque nationale virtuelle, par exemple, qui garde la trace de toutes les preuves de propriété.”

3. Vous gagnez des sens supplémentaires

Le métavers devient une expérience sensorielle. Dans les espaces 3D, nous aurons l’impression d’entendre, de voir, de sentir ou de ressentir des choses comme si elles étaient réelles. Cela nécessite une technologie pour tromper nos cerveaux et leur faire croire qu’un monde virtuel est réel. C’est l’expertise de Xavier Rottenberg. Il travaille avec des microphones, des lunettes intelligentes, des ultrasons, des capteurs et des actionneurs. Un capteur perçoit l’environnement, tandis qu’un actionneur fait exactement le contraire : il influence l’environnement avec un signal.

L’Imec a plusieurs spin-off qui innovent avec ce type de technologie. Micledi développe les écrans pour des lunettes de réalité augmentée. La réalité augmentée superpose une couche numérique d’informations à la réalité. Vous regardez une machine à travers de telles lunettes et vous voyez immédiatement le manuel, par exemple. Un exemple spectaculaire est celui de Swave Photonics, une spin-off de l’Imec et de la VUB. Cette société, qui a récemment levé 7 millions d’euros, construit une technologie d’holographie. Les hologrammes – images virtuelles en 3D d’objets ou de personnes – sont nécessaires pour donner vie au métavers. Selon Xavier Rottenberg, nous allons évoluer vers une sorte de bandeau qui offrira des expériences sensorielles. Pour l’instant, nous devons nous contenter de toutes sortes d'”interfaces sensorielles” telles que des lunettes intelligentes, des microphones ingénieux, des ultrasons ou des gants à toucher virtuel.

“Nous préparons un avenir où le logiciel et le matériel sont impossibles à séparer”, déclare M. Rottenberg. “Sinon, il faut beaucoup trop de capteurs, et on obtient beaucoup trop de données impossibles à traiter”.

4. Le jumeau numérique est la base

Un jumeau numérique est une copie numérique d’une usine, d’une ville, d’un magasin ou d’un objet. “Avec cela, vous pouvez faire des simulations de scénarios futurs possibles”, explique Axel Nackaerts. En effectuant ces tests virtuellement plutôt que dans le monde réel, les entreprises, les zones industrielles ou les ports peuvent économiser énormément de temps et d’argent. Supposons qu’un conteneur arrive dans un port et doit être déplacé pour que l’on puisse procéder à son déchargement. Dans la copie numérique de ce port, où les lois de la physique ne s’appliquent pas mais où la technologie fixe les règles, vous pouvez ramasser ce conteneur à la main et le déplacer vers l’endroit du déchargement. Dans le port réel, cette action déclenche toutes sortes d’actions, avec des chariots élévateurs qui déplacent ce conteneur vers sa destination, le vide etc.

“À court terme, l’intérêt du métavers est de rendre le système de jumelage numérique plus accessible”, explique M. Nackaerts. “Cela a beaucoup de valeur, car vous pouvez représenter des choses très complexes d’une manière que les humains peuvent percevoir. C’est très puissant.”

La société américaine Nvidia a lancé une plateforme avec Omniverse pour construire de tels jumeaux numériques pour les entreprises. De son côté, l’Imec travaille avec Flanders Make et des instituts tels que VITO et Ilvo pour aider les entreprises à réaliser ces copies numériques. “L’Imec est très forte dans le domaine de l’intelligence artificielle”, déclare Axel Nackaerts. “Et l’intelligence artificielle est très fortement liée au métavers. Il s’agit de savoir comment interpréter les actions qui se produisent dans le métavers, et comment interagir avec elles. Nous créons souvent des mini-démos comme solution au problème d’une entreprise. Cela peut aller du contrôle des machines par l’IA dans une PME au chatbot d’une compagnie d’assurance.”

“Nous examinons toutes les applications possibles de l’intelligence artificielle dans le contexte du métavers”, explique Axel Nackaerts. “Qu’est-ce que cela signifie interagir avec des humains, des modèles de langage, des chatbots ? Comment fonctionne le miroir des bras de robots dans le monde virtuel ? Comment deux feux de circulation se parlent-ils pour déterminer lequel doit passer au vert parce qu’il y a beaucoup de voitures ?”

5. Vous faites vos achats sans avoir de limite physique

Sept différences entre le métavers et le monde numérique d'aujourd'hui
© GettyImages

Dans le métavers, les magasins et les marques pourront également remplacer leur boutique en ligne classique par une boutique en 3D. “Pourquoi une personne va-t-elle dans un magasin ?” demande Axel Nackaerts. “Si vous savez quel ordinateur vous voulez, vous pouvez parfaitement le choisir en ligne en fonction de ses spécifications. Mais les vêtements, par exemple, vous voulez les essayer ou les toucher. Ou bien vous voulez acheter dans un magasin de bricolage une pièce qui doit s’adapter parfaitement à une autre pièce. Dans l’atelier 3D, vous pouvez virtuellement prendre cette pièce, vous rendre dans le couloir de l’autre pièce et l’essayer sur place. Dans un tel atelier 3D, vous pouvez virtuellement plier ou déplacer des objets voulus. Un tel magasin 3D n’a pas de limite physique, comme une surface commerciale peut être limitée. Il pourrait y avoir 17 étages derrière cette façade virtuelle au lieu de deux, ou un monde virtuel tout entier. “Si vous avez une boutique en ligne, il est préférable de vous demander dès maintenant si vous pouvez obtenir des modèles 3D de vos produits auprès du fabricant”, déclare Axel Nackaerts. “Pouvez-vous les tenir virtuellement ? Que devez-vous utiliser pour cela ? Vous pouvez ainsi commencer à vous préparer dès maintenant à vivre une expérience d’achat différente.”

6. Sans norme commune, c’est le Far West

Selon Axel Nackaerts, l’une des principales raisons pour lesquelles le métavers deviendra une sorte de Far West dans les années à venir est l’absence de norme. Pensez à la naissance de l’internet dans les années 1990, où différents navigateurs se faisaient concurrence et où certaines pages web n’étaient visibles, et plus tard optimisées, que pour un seul navigateur. Les normes et les accords mutuels ont résolu ces problèmes. Il n’y en a pas encore pour le métavers. Les grandes entreprises tentent chacune de tirer la couverture à elles, en créant des boutiques 3D et des jumeaux numériques sur leurs plateformes. Facebook tente même de revendiquer le métavers en changeant son nom en Meta.

Axel Nackaerts : “Meta essaie d’établir une norme pour que tout passe par son système, mais Google, Microsoft ou Amazon essaient évidemment de faire de même. Il existe des tentatives aux États-Unis et en Chine pour parvenir à une norme, l’Europe, elle, reste dans l’expectative pour le moment. Ainsi, bien que nous travaillions depuis 30 ans sur une norme universelle pour l’échange d’objets 3D, celle-ci n’existe toujours pas. Il y en a une prolifération”.

Un exemple permet de clarifier le problème. Supposons que vous achetiez des chaussures pour votre avatar dans un magasin 3D. Elles devraient donc avoir la même apparence lorsque vous jouez à un jeu ou assistez à un concert ailleurs dans le métavers. “Mais comment l’autre site virtuel peut-il savoir à quoi ressemblent vos chaussures et même que vous les avez achetées ?” demande Nackaerts. “Ce sont des choses très pragmatiques qui doivent être résolues”.

“Il y a un autre problème”, poursuit Nackaerts. “Comment donner à environ 150 millions de personnes l’accès à ce monde en même temps ? Pourront-ils tous se voir, ou seulement certains d’entre eux ? Combien de personnes peuvent être clientes de votre boutique en ligne, et lesquelles ? Allez-vous les regrouper par langue ? Qu’allez-vous faire ?”

Sept différences entre le métavers et le monde numérique d'aujourd'hui
© GettyImages

7. Les entreprises belges sont à bord

Tout comme les entreprises, qui développent des sites web, sont apparues en Belgique il y a un quart de siècle, il y aura des entreprises qui “construiront” des magasins en 3D et des jumeaux numériques. L’Imec aide déjà les entreprises à réaliser des mini-démonstrations de ces jumeaux numériques. Une entreprise technologique comme Barco, qui suit de près les développements autour du métavers, a réalisé un projet de recherche sur les jumeaux numériques avec l’UGent en 2019 et voit dans sa technologie des opportunités pour les salles de contrôle du futur. Xavier Rottenberg voit également des opportunités pour EVS, qui se spécialise désormais dans la production vidéo. Notre infrastructure actuelle, avec les centres de données et le “cloud”, ne suffira pas non plus à faire fonctionner le métavers, car il faudra une puissance de calcul beaucoup plus importante. Nackaerts et Rottenberg y voient des opportunités pour des entreprises comme Telenet et Proximus.

“Nous voyons également apparaître de nombreuses start-up. Les grandes entreprises joueront certainement un rôle, mais c’est un domaine assez dynamique et jeune”, déclare Xavier Rottenberg. L’Imec apporte sa pierre à l’édifice avec des spin-off tels que Swave, Micledi et Shavatar, une technologie de visualisation 3D permettant d’essayer virtuellement des vêtements.

Une question épineuse est que l’Europe n’a pas d’homologues aux géants américains comme Apple, Amazon ou Meta. Et une telle entreprise européenne n’est pas non plus imminente, selon les deux experts, mais cela ne doit pas être un problème insurmontable, à condition toutefois que l’Europe agisse plus rapidement pour réglementer le métavers, avec une définition et des normes appropriées. Nackaerts et Rottenberg soulignent que les grandes entreprises technologiques américaines agiront par intérêt personnel. “Peut-être devrions-nous fixer ces règles pour le métavers un peu plus tôt que nous l’avons fait pour l’intelligence artificielle et d’autres technologies”, conclut Xavier Rottenberg.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content