Santé des entrepreneurs: “Beaucoup d’entre eux choisissent de reporter les soins”

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Christophe De Caevel
Christophe De Caevel Journaliste Trends-Tendances

La sécurité sociale s’ouvre progressivement aux besoins spécifiques des entrepreneurs en matière de santé. Mais ceux-ci l’ignorent encore trop souvent, pointe le conseiller au service d’études de l’UCM.

La sécurité sociale a été construite pour répondre aux besoins des travailleurs salariés. Au fil des ans, ses réglementations ont été adaptées pour couvrir aussi, au moins partiellement, les indépendants et les dirigeants de PME. Renaud Francart, spécialiste des questions sociales au service d’études de l’UCM, nous en parle.

Retrouvez l’intégralité de notre dossier sur la santé des indépendants et patrons d’entreprises ici.

TRENDS-TENDANCES. Un chef d’entreprise a-t-il le droit d’être malade?

RENAUD FRANCART. Evidemment qu’il en a le droit. La sécurité sociale prévoit des aides plus ou moins équivalentes à celles des salariés. La grande différence, c’est que la moitié des entrepreneurs ignorent encore l’existence de ces aides (43% en 2022), comme on le voit dans notre baromètre annuel sur le statut social. Cela provient sans doute du mois de carence historique: le premier mois de maladie est pris en charge par l’employeur. Si vous êtes votre propre employeur, vous vous payez vous-même cet arrêt. Ce principe a été adouci progressivement. Aujourd’hui, un indépendant peut être indemnisé dès que son arrêt maladie dure au moins huit jours.

Mais font-ils réellement appel à ces indemnités?

L’étude que nous avons menée en 2017 pour l’Inami indiquait que 85% des indépendants ne respecteraient pas les périodes d’arrêt prescrites par un médecin en cas de maladie. Cela souligne l’impact d’un arrêt sur l’activité des PME et des indépendants solo. A court terme bien entendu, car 42% n’ont pas de solution de remplacement pour une absence de quelques jours ou quelques semaines. Mais aussi dans la durée: si vous devez reporter des livraisons pour cause de maladie, vous risquez d’abîmer la confiance d’une partie de la clientèle et vous hypothéquez ainsi la poursuite de votre carrière.

Beaucoup d’indépendants choisissent donc de reporter les soins ou les consultations. A terme, cela peut malheureusement aggraver les problèmes et alourdir le coût des traitements, pour eux-mêmes et pour la sécurité sociale.

Si les indépendants sollicitent peu les indemnités, n’est-ce pas parce qu’elles sont trop faibles?

Elles sont forfaitaires, autour de 1.200 euros par mois pour un cohabitant, ce qui n’est effectivement pas très élevé. La priorité des indépendants n’est toutefois pas la revalorisation de ces indemnités mais plutôt la couverture en cas d’absence de longue durée. C’est cela qui les inquiète car cela peut mettre en péril la pérennité de l’activité et leurs finances personnelles. On pourrait envisager, dans ces cas-là, une indemnisation proportionnelle à la perte de revenus afin de couvrir les charges du ménage, comme un emprunt hypothécaire par exemple.

La sécurité sociale a été construite pour les salariés, elle ne correspond pas toujours aux besoins des entrepreneurs. Ainsi, un malade ne peut pas être présent dans l’entreprise. C’est parfois compliqué pour le chef d’entreprise, qui doit peut-être passer deux ou trois heures au bureau pour assurer la continuité de l’activité. Nous plaidons pour une sorte de congé de maladie à mi-temps. Nous sommes convaincus que cela inciterait les indépendants à faire plus rapidement appel aux soins et aux indemnités.

– Des initiatives spécifiques ont-elles été prises pour lutter contre le burn-out et la dépression chez les indépendants?

Oui, l’UCM mène cette année avec le CESI le projet Icarius, dans le but de prévenir le burn-out chez les indépendants. Mais ce n’est pas simple de les attirer à des ateliers ou conférences sur le sujet. Il faut parler à la fois de bien-être et des impacts positifs sur le business pour les faire venir et, petit à petit, leur faire prendre conscience de certaines difficultés.

La prévention est pourtant fondamentale: contrairement à un salarié, un entrepreneur ne peut pas se mettre à l’arrêt six mois et puis recommencer car, entretemps, son entreprise aura vraisemblablement disparu. Nous devons donc vraiment agir en amont. Cela devrait pouvoir se faire à travers les caisses d’assurances sociales, qui ont des contacts fréquents avec les entrepreneurs et peuvent donc déceler un éventuel épuisement professionnel.

Mais quel accompagnement offrir alors, s’il faut aussi maintenir l’activité?

C’est un autre défi. L’accompagnement doit être hybride avec bien entendu des psychologues, des coachs, des nutritionnistes ; etc. Mais aussi des experts dans la gestion des entreprises car, parfois, il est nécessaire de revoir son business model pour réduire le stress. Nous devrons trouver des formules pour que cet accompagnement hybride puisse être remboursé, au moins partiellement, dans le cadre de la sécurité sociale.Toutes ces actions devraient, ensemble, contribuer à construire peu à peu une culture de la sensibilité des chefs d’entreprise à leur propre bien-être. Quand ils acceptent d’en parler, d’échanger, de s’y investir, je suis convaincu qu’à terme leur entreprise sera un cran plus solide.

Retrouvez le dossier complet “Quand la santé des entrepreneurs vacille: des patrons de PME témoignent” dans votre magazine Trends-Tendances de cette semaine.

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