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Salvatore Curaba (RAAL) : “Le succès ne devrait pas déranger, il devrait inspirer”

Baptiste Lambert

Président de La Louvière et cofondateur d’Easi, Salvatore Curaba incarne un modèle rare : celui d’un entrepreneur et dirigeant sportif qui conjugue ambition, rigueur organisationnelle et engagement sociétal. À 62 ans, il reste animé par la conviction que le succès n’est pas une fin en soi. Il a déjà en tête son prochain défi. Trends Talk s’est entretenu durant 30 minutes avec le Louviérois sur Trends Z

En 2009, La Louvière est en faillite. En 2017, Salvatore Curaba reprend le projet, sans ambition initiale de présider un club de football, mais avec la volonté de servir sa ville et de mener un projet social ambitieux. L’objectif est clair : retrouver l’élite en dix ans. Pari tenu… deux ans plus tôt que prévu, malgré les années Covid.

Dès le départ, il fixe quatre jalons : créer un centre de formation, construire un nouveau stade, atteindre la D1 avec les hommes et la Super League avec les femmes. « C’est important de se fixer des objectifs ambitieux pour fédérer autour d’un projet… Quand le train passe, on doit le prendre », insiste-t-il.

La méthode Easi appliquée au football

Fondateur d’Easi, entreprise de l’année 2019, Curaba transpose au sport la même recette que dans le business. D’abord, la priorité aux personnes : recruter des collaborateurs talentueux, passionnés et porteurs de belles valeurs humaines. Ensuite, structurer l’organisation avant de se développer, car « trop souvent, on néglige l’organisation en pensant avoir d’autres priorités ».

Le club fonctionne aujourd’hui comme une PME de 60 personnes à temps plein. Une particularité : dès la création, le premier recrutement fut… un commercial. Avec près de 400 sponsors, le financement repose en grande partie sur le partenariat privé, encore trop négligé par nombre de clubs.

Un stade comme symbole et outil de croissance

Construit à deux pas du vétuste Tivoli, le nouveau stade de 8.000 places — dont 5.500 abonnés — est pensé pour accueillir les supporters dans les meilleures conditions et offrir aux sponsors des espaces de réception modernes. Le timing est idéal : sa mise en service coïncide avec la montée en D1A. “On ne pouvait pas rêver mieux”, sourit le Louviérois.

Pour Curaba, le football est une “société de spectacle” qui doit offrir un cadre à la hauteur des émotions promises : « Il fallait un environnement idéal pour que tout le monde se sente bien. »

Ambition mesurée, pression permanente

Malgré la réussite sportive, les équilibres financiers restent fragiles. Huit ans d’investissements lourds — centre de formation, stade — se traduisent par une perte cumulée de 5 millions d’euros. L’équilibre devra passer par la vente de joueurs et un recrutement stratégique.

L’objectif prioritaire cette saison : assurer le maintien, tout en visant un classement régulier dans le top 6-8 à moyen terme. Sur le football féminin, Curaba se montre tout aussi offensif : atteindre la Super League dès l’an prochain. “Le matin, j’ai la boule au ventre”, confie-t-il à propos de la pression des résultats.

Assurément, le monde du football est plus compliqué que celui de l’entreprise : “La vie de dirigeant est extrêmement difficile parce qu’on est en tribune, on ne peut rien faire, on doit subir.”

Management : courage et alignement

Pour lui, le bonheur réside dans l’alignement entre pensées, paroles et actes, et dans le courage d’oser des choix inhabituels. « Construire un stade alors qu’on était en quatrième division, c’est sortir de l’ordinaire », dit-il. Savoir aussi se retirer pour laisser grandir son équipe fait partie de sa vision : « Former les gens, puis faire un pas de côté pour leur permettre d’encore grandir. »

Ses critères de recrutement sont simples mais exigeants : valeurs humaines, passion, loyauté, capacité d’effort. « Je dois pouvoir partir en vacances presque avec eux », sourit-il.

Un regard sociétal et régional

Au-delà du football, Curaba défend une valorisation du travail qu’il juge insuffisante en Wallonie. Inspiré par son modèle d’“employés-actionnaires” chez Easi, il plaide pour plus d’engagement et de fierté professionnelle.

Il regrette aussi qu’en culture francophone, la réussite puisse parfois déranger : « Le succès ne devrait pas déranger, il devrait inspirer. Quand on réussit, on devrait être fier de la réussite de quelqu’un d’autre, et la personne qui réussit ne doit pas changer. »

Il aimerait que davantage d’entrepreneurs jouent un rôle sociétal dans leur région, comme il le fait à La Louvière.

Quel sera le prochain défi ?

À long terme, ce qu’il souhaite qu’on retienne de lui n’est pas tant ses succès que son intégrité : « Il n’a pas changé malgré sa réussite. » Refusant toute posture contemplative, il reste tourné vers l’avenir et vers de nouveaux défis.

Si Salvatore Curaba a quitté la direction opérationnelle du club, il ne manque pas d’ambitions pour les années à venir. Il se voit volontiers jouer un rôle accru dans la Pro League ou contribuer à des projets structurants pour le football belge, à condition de pouvoir y apporter une réelle valeur ajoutée.

Le vide laissé par la fin du chantier du stade l’incite à réfléchir à de nouveaux engagements. Mais il écarte toute incursion en politique, jugeant ne pas avoir les qualités requises pour ce métier : « C’est un métier très difficile, je ne réponds pas aux fameux critères. »

Au niveau entrepreneurial, il se verrait bien lancer une boîte dans l’IA. Et pourquoi pas, liée au monde du football.

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