Rheinmetall, nouvel espoir de la défense européenne et vedette de la Bourse de Francfort

Armin Papperger, PDG de Rheinmetall depuis 2013. © belga
Sebastien Marien Stagiair Data News 

Le fabricant d’armes, de munitions et de véhicules blindés Rheinmetall est passé du statut de mal-aimé de l’industrie allemande à celui de nouvel espoir de la défense européenne. Depuis le début de l’année, son action a progressé de près de 60 % sur la Bourse de Francfort. Que faut-il savoir sur Rheinmetall et existe-t-il encore une marge de progression pour son succès boursier ?

Si la menace que représente la Russie n’avait pas suffi à tirer la sonnette d’alarme, le président américain Donald Trump s’en charge. Il contraint l’Europe à augmenter ses dépenses de défense. Un tiers des pays de l’OTAN, dont la Belgique, dépensent encore trop peu dans ce domaine, tandis que les États-Unis souhaitent porter ces dépenses à 5 % du produit intérieur brut (PIB).

Actuellement, on estime que 63 % des équipements militaires européens sont achetés aux États-Unis. L’administration Trump mise sur des achats massifs d’armes et de véhicules américains par les pays de l’OTAN. Toutefois, de plus en plus de dirigeants européens, à commencer par la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, plaident pour le développement d’une industrie de défense européenne.

C’est vers Rheinmetall, basé à Düsseldorf, que toutes les têtes se sont tournées. L’entreprise a enregistré une hausse de 40 % de son chiffre d’affaires au troisième trimestre 2024. Son carnet de commandes dépasse les 52 milliards de dollars. Son bénéfice a bondi de plus de 72 % en un an, passant ainsi de 410 à 705 millions d’euros.

Les analystes prévoient une croissance annuelle du bénéfice de 30 % et du chiffre d’affaires de 22 %. En 2023, le bénéfice par action était de 13 euros et devrait atteindre 20,9 euros en 2024, puis 54,6 euros en 2027, selon les projections de Bloomberg. Il est possible que les gains futurs ne soient pas encore totalement intégrés dans le cours de l’action.

Ces performances de croissance sont vertigineuses pour une entreprise marquée par une histoire mouvementée et qui a dû se réinventer à plusieurs reprises.

Deux guerres mondiales

Rheinmetall a été fondé en 1889 à Düsseldorf. Tout d’abord, en tant qu’usine de munitions de l’Empire allemand, mais l’entreprise s’est rapidement engagée dans le développement de ses propres armes à feu. À la fin du XIXe siècle, Rheinmetall a présenté son premier fusil à tir rapide, qui fut cependant rejeté par l’armée prussienne. Ce sont les soldats français qui furent les premiers à être équipés de ces armes plus avancées pour l’époque.

Au cours des deux guerres mondiales, Rheinmetall a connu une expansion fulgurante suivie d’un effondrement brutal. Pendant la Première Guerre mondiale, son effectif est passé de 8 000 à 48 000 employés, avant de retomber à quelques milliers. Dans un premier temps, l’entreprise a été soumise à des restrictions strictes et s’est reconvertie dans la production de produits civils, allant des wagons et locomotives aux machines à écrire. À partir de 1921, la reprise (progressive !) de la production d’armes fut étroitement surveillée par les troupes françaises et belges.

Ce schéma s’est en grande partie répété durant la Seconde Guerre mondiale. Rheinmetall a élargi son champ d’activité à la production de chars et d’armements d’artillerie. L’entreprise comptait alors 85 000 travailleurs, parmi lesquels des milliers de travailleurs forcés. À l’issue du conflit, la plupart de ses usines furent détruites par les bombardements et son personnel fut à nouveau réduit à quelques milliers, œuvrant à nouveau pour le secteur civil.

Il faudra attendre le milieu des années 1950 et la création de la Bundeswehr pour que l’activité de défense reprenne progressivement. Des acquisitions stratégiques provenant de groupes européens de défense ont conduit à la conception du char Leopard 2 à la fin des années 1970, Rheinmetall avait la responsabilité de développer le canon du char.

Par la suite, l’entreprise a misé sur l’innovation et sur de nombreuses acquisitions et collaborations stratégiques à l’échelle mondiale. Le rachat du motoriste allemand Pierburg en 1986 a marqué le début de sa division véhicules. De cette dernière a émergé, à la fin des années 1990, un premier char léger. Mais c’est le char lourd Puma, dévoilé au début des années 2000, qui a véritablement attiré l’attention sur le fabricant d’armes. La division a connu une expansion significative dans les années suivantes, notamment grâce à une fusion avec MAN.

L’Europe se réveille

Rheinmetall a cependant souffert de la réduction drastique des dépenses militaires en Europe après la Guerre froide. L’Allemagne a, de surcroît, imposé des restrictions d’exportation particulièrement strictes, compliquant l’accès aux marchés émergents et entraînant le report ou l’annulation de nombreux contrats. L’Allemagne applique l’un des cadres réglementaires les plus rigoureux en matière d’exportation d’armes, en grande partie à cause de son histoire. Cette situation a contraint Rheinmetall à se concentrer majoritairement sur le marché européen.

Selon des chiffres publiés par Der Spiegel, les dépenses de défense allemandes représentaient encore 2,3 % du PIB en 1989. En 2014, année de l’annexion de la Crimée par la Russie, elles étaient tombées à 1,1 % du PIB, un niveau inférieur à la moyenne européenne. En 2024, cette moyenne européenne s’est établie à 2 %, en accord avec les objectifs de l’OTAN, un seuil que l’Allemagne a désormais atteint.

En novembre 2022, quelques mois après le début de la guerre en Ukraine, Rheinmetall a présenté de nouvelles avancées technologiques, notamment son char lourd KF51 Panther et des systèmes d’artillerie améliorés. La combinaison de cette focalisation forcée sur le marché européen, de la hausse des budgets de défense et de ses innovations technologiques fait, aujourd’hui, de Rheinmetall un acteur clé et un espoir majeur pour l’industrie de défense européenne.

La stratégie porte ses fruits

Ces dernières années, l’entreprise basée à Düsseldorf a accéléré son expansion en ouvrant une filiale en Ukraine, où elle produit localement ses chars légers Lynx. Le flux de commandes ne cesse de croître à un rythme soutenu. L’été dernier encore, Rheinmetall a conclu un accord avec le gouvernement italien pour la production de véhicules terrestres destinés à l’armée italienne, en partenariat avec le groupe de défense Leonardo.

« La grande force de l’industrie de défense aux États-Unis réside dans l’uniformisation de son équipement : l’armée américaine utilise un seul modèle de char lourd, l’Abrams. En Europe, en revanche, de nombreux modèles coexistent », souligne Herman Matthijs, professeur en finances publiques à l’Université de Gand. « Cette fragmentation complique non seulement la synergie militaire entre les États européens, mais elle entraîne également des coûts de production plus élevés pour les entreprises de défense, en raison de la fabrication en volumes plus restreints. »

Selon Matthijs, cela démontre que la stratégie de Rheinmetall, fondée sur des coentreprises et des partenariats industriels, est la bonne approche. Il estime qu’il est grand temps que les pays européens abordent sans tabou la question d’une coopération renforcée en matière de défense. Non seulement en ce qui concerne les troupes, avec l’idée d’une armée européenne, mais aussi sur le plan de la production d’équipements militaires.

Une tache indélébile

Efficacité, innovation et collaborations sont les piliers de la stratégie d’Armin Papperger, PDG de Rheinmetall depuis 2013. Âgé de 62 ans et originaire de Bavière, Papperger a gravi les échelons du groupe dès les années 1980, occupant des postes de direction dans toutes les divisions stratégiques de Rheinmetall.

Il s’est retrouvé au centre de l’attention médiatique en 2020, lorsqu’une tentative d’attentat ou des menaces à son encontre ont été évoquées. Plusieurs médias allemands ont rapporté que des mesures de sécurité avaient été mises en place pour le protéger contre des groupes extrémistes s’en prenant aux industriels de l’armement et à leurs dirigeants. Cet épisode illustre la sensibilité du secteur de la défense, en particulier en Allemagne, où le poids de l’histoire continue de peser. La guerre demeure une tache indélébile dans la mémoire collective du pays.

Cette réalité s’est manifestée une nouvelle fois en mai 2024, lorsque Rheinmetall a signé un contrat de sponsoring avec le club de football allemand Borussia Dortmund. Peu après l’annonce, une pétition de protestation a vu le jour. Pourtant, cet accord témoigne d’un changement de perception à l’égard des entreprises de défense.

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