Télétravail: les conséquences de l’économie du “mardi-jeudi”

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Partout dans le monde, on tente de réduire le télétravail. Quand c’est possible, la plupart des gens optent pour une présence au bureau le mardi et le jeudi. Une nouvelle temporalité qui n’est pas sans conséquence.

On est vendredi et le plateau de votre service est désert. Ou au contraire il est mardi ou jeudi et vous ne trouvez plus une seule place de libre. Vous n’êtes pas seul dans ce cas. Vous baignez dans ce qu’on appelle l’économie du ma-je (pour mardi et jeudi). Soit les jours où le gros de la collectivité décide de se rendre au travail. Un constat qui s’étend d’ailleurs aussi sur la route. Les embouteillages ont ces jours-là sensiblement augmenté en 5 ans. A ce ma-je s’ajoute encore un autre phénomène. Il est appelé la midweek mountain ou la montagne du milieu de semaine ou même TWaT (pour Tuesday, Wednesday et Thursday). Ici la semaine de présentiel est condensée sur le milieu de la semaine. Une semaine en présentiel régulièrement clôturé par le jeudredi. Soit la sortie afterwork régulièrement trop arrosée.

Une tendance vers un retour au travail

Si avant la pandémie 19 % des salariés belges travaillaient occasionnellement à domicile, aujourd’hui c’est 32 % selon les chiffres de Statbel. Le télétravail est rentré dans les normes. Ou plus précisément le modèle hybride, combinant travail à distance et en présentiel, semble être la voie privilégiée par une majorité d’entreprises. Il s’est standardisé autour d’un ratio 2-3 pour deux jours de télétravail contre trois jours de travail sur place en cas de temps plein. La majorité des télétravailleurs prestent donc un à deux jours par semaine chez eux. Ils privilégient le mercredi (44%) et le vendredi (52%) selon l’enquête BeMob du SPF Mobilité et Transports.

Selon une enquête d’Acerta, seul un quart des salariés aimeraient travailler davantage à domicile. Plus de la moitié des employeurs (57 %) estiment eux que le système actuel leur suffit. La plupart seraient donc d’accord avec cet équilibre.

Les Bruxellois télétravaillent davantage régulièrement: 45% des répondants bruxellois disent prester au moins un jour par semaine à domicile, contre 26% des Wallons et 32% des Flamands. Plus la distance entre le domicile et le lieu de travail augmente, plus la proportion de télétravailleurs est grande, remarque encore l’enquête. Au-delà de 50 km, près de 60% des répondants télétravaillent au moins un jour par semaine. L’enquête réalisée entre août 2023 et juillet 2024 a interrogé plus de 4.000 travailleurs belges. Grâce au télétravail, 34 millions de kilomètres sont évités quotidiennement, dont 16 millions en voiture

Les employeurs s’y sont adaptés avec plus ou moins de bonheur en cherchant des solutions technologiques pour améliorer la communication et la collaboration à distance et en planifiant le gros des réunions le mardi et le jeudi. Ils ont aussi repensé l’aménagement des bureaux et les espaces de travail collaboratif. Par exemple avec une politique de flexdex et davantage d’espace de réunions. Cela permet de réduire les surfaces à louer, tout en encourageant les échanges. Avec comme contrepartie qu’il faut aux heures de pointe parfois réserver son siège comme on prendrait un ticket pour réserver son tour à la boucherie.

Les désavantages du télétravail

Beaucoup d’entreprises craignaient que le télétravail n’entraîne un déficit en productivité. Le temps a démontré le contraire ou du moins il a montré que la vraie productivité est quelque chose de très difficile à calculer.  Le travail peut être intangible, tout comme il est parfois difficile de prouver ce que l’on a fait. Ce qui pousse certains trop montrer qu’ils sont actifs lorsqu’ils sont à distance.

Le piège réel du télétravail est ailleurs. Il entraîne une désolidarisation, un certain détachement envers l’entreprise. Les personnes qui restent seules à la maison sont aussi moins disponibles pour leurs collègues. Ce qui fait que même si l’on est individuellement tout autant productif, cela a un impact sur l’effet d’émulation. Par exemple, on va perdre du temps à chercher une solution alors qu’il suffit parfois de poser la question à son collègue qui est assis juste à côté. Le fait d’être ensemble fait aussi qu’on apprend plus rapidement des autres. On ne crée pas un esprit d’entreprise en training de chez soi et derrière son écran. Il faut qu’on se croise. Pour beaucoup de spécialistes, cette connexion entre employés est essentielle au bon fonctionnement d’un lieu de travail. D’autant plus que, et c’est un aspect souvent oublié, le télétravail creuse un fossé entre ceux qui peuvent et les autres. On estime que pour six à sept salariés sur dix, le travail à domicile n’est actuellement pas envisageable.

Pas tout rose pour les employés

Bien qu’installé, le télétravail a aussi ses aspects négatifs pour l’employé. Des aspects qu’il a tendance à sous-estimer, mais pas toujours. Selon l’étude d’Acerta, un tiers des travailleurs souhaiterait réduire le nombre de jours de télétravail.  Et c’est vrai que des questions demeurent sur la gestion à long terme du bien-être des employés.  Notamment la limite floue entre vie professionnelle et personnelle, accentuée par le phénomène de “présentéisme numérique”, où les travailleurs ressentent la pression d’être constamment connectés. Des personnes qui font souvent des journées plus longues avec peu de temps de récupération et qui subissent davantage de pression professionnelle et émotionnelle. L’employé se sent responsable et veut montrer qu’il fait un travail utile à la maison. Si l’on rattrape les heures de travail perdues le soir, la journée de travail ne s’arrête dans les faits jamais. Les gens ont du mal à lâcher le travail. Or essayer de faire trois choses en même temps est tout aussi mauvais.  Avant, c’était plus simple : les ordinateurs restaient au bureau.

Un retour en arrière est-il pour autant possible ?

Même si les inconvénients du télétravail se font sentir, le supprimer reste très impopulaire. Surtout si le personnel considère le travail à domicile comme un droit acquis.

Néanmoins de plus en plus de dirigeants insistent sur l’importance d’un retour partiel au bureau pour renforcer la culture d’entreprise et stimuler la créativité, qui pourrait souffrir d’une déconnexion prolongée. On remarque donc un retour, pour certain à marche forcée à un plus grand présentiel. Amazon a réintroduit cette semaine le présentiel obligatoire. En faisant cela, elle semble surtout se tirer une balle dans le pied. Selon Nick Bloom, professeur d’économie à l’université de Stanford, spécialisé dans les effets du télétravail. Ses recherches montrent que le travail hybride réduit la rotation du personnel de 35 % et a autant de valeur qu’une augmentation de salaire de 8 %.

La question du télétravail reste un véritable casse-tête pour les ressources humaines qui doivent jongler entre plusieurs intérêts pas forcément convergents. Ainsi les dirigeants aimeraient plus de présentiels, les employés souhaiteraient plus de flexibilité. A cela se rajoute encore que la possibilité de télétravail est un véritable argument de recrutement, surtout chez les jeunes. Une arme d’attraction massive quand il s’agit d’attirer les meilleurs talents dans un marché très concurrentiel.

C’est pourquoi les spécialistes préconisent d’encourager les employés à revenir en créant une valeur ajoutée au fait de se rendre au bureau. Par exemple offrir des lieux de travail agréables ou en organiser des activités pour renforcer les liens serait bien plus efficace que des règles rigides. Mais surtout les experts s’accordent sur le fait qu’il doit y avoir un accord clair sur la quantité de travail attendue et sur les moments où quelqu’un doit ou ne doit pas être disponible. Ou pour utiliser une image un peu désuète il s’agit de trouver une nouvelle et plus moderne sorte de pointeuse.

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