Selon une étude du groupe Adecco, seules 7 % des entreprises belges se disent prêtes à affronter les bouleversements liés à l’IA. Entre ambitions mal coordonnées et absence de stratégie RH structurée, le fossé se creuse entre volonté d’innovation et réalité du terrain.
L’intelligence artificielle n’est plus un concept abstrait. En entreprise, elle s’impose comme un levier de transformation aussi incontournable que complexe à intégrer. Mais, selon une nouvelle étude du groupe Adecco, relayée par sa filiale le cabinet de conseil en ingénierie et IT Akkodis, les entreprises belges abordent encore cette mutation sans cap clair et avec un retard alarmant. « Ce n’est certainement pas une promenade de santé, déclare Robert van der Eijk, CEO d’Akkodis Benelux. Il ne faut pas prendre de retard. »
Intitulé “Leading in the Age of AI: Expectations versus Reality”, le rapport s’appuie sur une enquête menée auprès de 2.000 dirigeants de grandes entreprises dans 13 pays, dont 100 en Belgique dans des secteurs (17) aussi variés que l’aéronautique et la défense, l’automobile, le transport, les soins de santé, les sciences de la vie et produits pharmaceutiques, l’énergie, ou encore le commerce en ligne.
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Le constat est sans appel. « La préparation des entreprises belges aux bouleversements induits par l’IA est bien insuffisante », alerte Robert van der Eijk. Seulement 7 % des sociétés belges sont jugées “future-ready” (« prêtes pour l’avenir »), c’est-à-dire préparées à accompagner leurs collaborateurs face à l’IA, à structurer leur stratégie technologique et à développer les compétences internes. Un chiffre inférieur à la moyenne mondiale (10 %) qui est loin de refléter l’enthousiasme affiché dans les discours. « Ce n’est vraiment pas assez », estime le CEO d’Akkodis. Il faut un wake-up call, accélérer le processus. Ce n’est pas normal pour un pays développé comme le nôtre d’être si tant à la traine dans ce domaine. »
Une stratégie IA floue
58 % des dirigeants belges interrogés déclarent attendre de leurs collaborateurs qu’ils se forment eux-mêmes à l’IA (contre 60 % à l’échelle mondiale). 34 % des entreprises n’ont à ce jour aucune politique encadrant son usage. Les sociétés misent sur la responsabilisation individuelle, sans offrir ni outils, ni accompagnement. Pour remédier à ces lacunes, Akkodis émet plusieurs recommandations : adopter une approche centrée sur l’humain dans la transformation technologique, en impliquant activement les employés dans la redéfinition de leur travail. Il est aussi utile de communiquer clairement sur le rôle de l’IA dans les priorités de l’entreprise et ses implications concrètes pour chacun. « Une vision partagée et bien comprise renforce la confiance et réduit l’incertitude. Les dirigeants doivent agir en équipe unie, en alignant en continu stratégie technologique et gestion des talents », avance le rapport d’Akkodis.
Ce décalage est d’autant plus frappant que la montée en puissance de l’IA figure parmi les trois mégatendances technologiques identifiées par les dirigeants à travers le monde d’ici à 2030, aux côtés de la transformation digitale et de l’IA générative. « L’IA évolue plus vite que ne peuvent s’y adapter les entreprises », avance Robert van der Eijk. « Pour rester compétitives, elles doivent adopter une stratégie cohérente, centrée sur les talents, qui aligne technologie et vision humaine. »
Les données RH sous-exploitées
Autre faiblesse structurelle : 52 % des dirigeants belges reconnaissent que leurs équipes dirigeantes ont des difficultés à s’aligner sur les priorités liées à l’IA – un chiffre supérieur à la moyenne mondiale (46 %). Et seuls 50 % se disent confiants dans leur stratégie d’implémentation technologique (contre 58 % à l’échelle internationale).
Par ailleurs, les données RH restent sous-exploitées, selon le rapport d’Adecco. Moins de 3 entreprises sur 10 (contre 33 % dans le monde) investissent aujourd’hui dans des outils d’analyse permettant d’identifier les écarts de compétences, alors que la pénurie de talents est considérée comme le principal obstacle à la transformation digitale en 2025.
“Future-ready”
À rebours de cette tendance attentiste, une minorité d’entreprises trace toutefois la voie. Celles que le rapport d’Adecco qualifie de « future-ready » présentent une approche intégrée sur quatre axes : gouvernance IA claire, mobilité professionnelle, développement continu des compétences et leadership adapté aux contextes incertains. En général, 46 % des dirigeants belges indiquent que l’utilisation de l’IA par leur équipe de direction permet de prendre de meilleures décisions, contre 64 % d’entreprises « prêtes pour l’avenir » à l’échelle mondiale. Ces entreprises s’appuient aussi sur un pilotage par les compétences plutôt que par les postes. En Belgique, 53 % des entreprises déclarent entamer cette transition, contre 65 % chez les leaders mondiaux.
Repenser son mode de fonctionnement
« Ce qui fait la différence, c’est la façon de voir les choses, commente Robert van der Eijk. Les entreprises ‘prêtes pour l’avenir’ ne se contentent pas d’intégrer l’IA. Elles repensent leur mode de fonctionnement, leur trajectoire d’évolution des talents et leurs prises de décisions. En investissant dans le développement du leadership comme élément d’une stratégie du personnel robuste, les dirigeants peuvent exploiter le potentiel de la technologie pour engendrer un vrai impact sur leur entreprise et créer de la valeur », conclut le CEO d’Akkodis.