Salaire : les barèmes, c’est dépassé, tandis que les grilles de salaires, c’est branché

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Ilse De Witte Journaliste chez Trends Magazine

L’Europe va imposer une plus grande transparence salariale aux entreprises. Et les entreprises belges ont tout intérêt à prendre les devants sans attendre la transposition de cette nouvelle loi européenne dans la législation nationale, selon SD Worx. “Sinon pour certaines entreprises, le choc sera trop rude”, estime Virginie Verschooris, spécialiste salaires chez SD Worx.

Parler de son salaire n’est plus un interdit et demander à ses collègues combien ils gagnent n’est plus un tabou. “Les employés parlent de leurs salaires entre eux. Ainsi s’ils remarquent qu’ils gagnent moins que certains leurs collègues ayant la même expérience, le même diplôme et faisant le même travail, une entreprise peut avoir des problèmes”, estime Virginie Verschooris, spécialiste salaires chez SD Worx. En effet, ces employés pourraient se sentir traités de manière injuste.

Le prestataire de services RH réalise des études de marché auprès des employeurs et des employés depuis plus de 20 ans. “Depuis 2016, nous menons une enquête internationale, dans 16 pays d’Europe. Nous avons déjà posé des questions sur la rémunération, mais jamais sur la transparence des salaires. Or cette transparence salariale est justement d’actualité grâce à cette nouvelle loi européenne”, explique Virginie Verschooris.

Les jeunes générations sont-elles plus transparentes sur leurs salaires ?

VIRGINIE VERSCHOORIS. “Je pense que les médias sociaux y sont pour quelque chose. Autrefois, le cercle social des personnes était beaucoup plus restreint. La numérisation et les médias sociaux ont rendu le monde beaucoup plus transparent. Certaines personnes partagent tout sur les médias sociaux. Il y a donc un changement culturel qui s’étend également aux salaires et aux autres avantages.

“Les jeunes générations attendent aussi plus de transparence de la part du marché du travail. Par exemple, mes filles savent parfaitement, grâce à leurs amis, quel est leur salaire. C’est devenu un sujet de conversation normal, dont les jeunes parlent ouvertement. Si les entreprises veulent attirer et surtout retenir de bons éléments, il est dans leur intérêt de développer une politique salariale équitable et transparente”.

Un peu plus de quatre travailleurs belges sur dix déclarent savoir combien gagnent leurs collègues. Pensez-vous que c’est beaucoup ?

VERSCHOORIS. “Pas vraiment. Depuis des années, nous conseillons aux entreprises de communiquer de manière transparente sur leur politique salariale, mais cela dépend beaucoup de la politique RH et de la volonté de l’organisation. Certaines entreprises ont commencé de manière modeste et se sont développées ensuite, sans que les RH ne fassent vraiment partie de l’organisation. Ces entreprises ont tout intérêt à adopter rapidement une politique salariale transparente, afin d’être prêtes au moment où la nouvelle loi européenne sera transposée dans la législation nationale.

Environ la moitié des employeurs pensent qu’ils sont transparents, tant en Europe qu’en Belgique. Ils disent qu’ils sont transparents, mais qu’entendent-ils exactement par-là ?

VERSCHOORIS. “La question est de savoir à quel point ces entreprises veulent être transparentes. Cette transparence connaît différents niveaux. Est-ce que l’employé reçoit pour lui seul une vue d’ensemble de tous les avantages salariaux, ce que l’on appelle une déclaration de rémunération totale (total reward statement), ou est-ce que l’ensemble des grilles de rémunération, liées aux postes, sont communiquées ? Car pour communiquer de manière transparente, il faut d’abord qu’il existe une politique salariale bien fondée, et si les entreprises veulent conserver leurs bons employés, elles doivent veiller à ce que l’ensemble des avantages salariaux soit équitable, tant en interne qu’en externe. Pour ce faire, il convient d’examiner les relations entre les différentes fonctions de l’organisation. Il est également préférable que la rémunération soit basée sur celles en vigueur sur le marché du travail, c’est-à-dire comparée à la concurrence ou à un point de référence. Il faut pouvoir comparer des pommes avec des pommes. Des différences significatives apparaissent dans certaines régions ou certains secteurs. Pour les postes difficiles à pourvoir, il est logique que les employeurs essaient d’attirer avec des salaires plus élevés.

Les employeurs belges ne veulent pas d’un retour aux grilles salariales.

VERSCHOORIS. “Il y a une différence entre un barème salarial, qui est développé au sein de l’entreprise et à la taille de celle-ci, et un barème, qui est convenu au niveau sectoriel. Une bonne politique salariale avec des barèmes salariaux tient compte des objectifs, des coûts totaux et des valeurs de l’organisation. Un barème est imposé par une commission paritaire et indique le salaire minimum pour un emploi donné. Avec les barèmes, le salaire évolue généralement en fonction de l’âge ou de l’ancienneté. Les performances de l’employé ne sont pas, ou peu, prises en compte. Il s’agit d’un système dépassé, mais encore présent dans de nombreuses entreprises et dans la quasi-totalité du secteur public”.

“L’individualisation et la flexibilité des rémunérations sont plus modernes et répondent aux besoins des salariés. Avec les plans dits “cafétéria”, les employés ont la possibilité de décider eux-mêmes d’une partie de leur rémunération. Par exemple, ils peuvent acheter des jours de congé supplémentaires, une assurance dentaire ou un vélo de leasing.

Les grilles de rémunération peuvent-elles éliminer tous les écarts de rémunération ? Peuvent-elles également combler l’écart de rémunération entre les hommes et les femmes ?

VERSCHOORIS. “Il y aura toujours des employés sur le payroll de l’entreprise et des travailleurs indépendants qui travaillent avec l’entreprise sous contrat pour certains projets. Ils ne sont pas concernés par l’application de la loi sur la transparence des rémunérations.

“Les entreprises ont déjà fait des efforts considérables pour combler l’écart de rémunération entre les hommes et les femmes. Néanmoins, dans une famille lambda, les femmes assument encore souvent davantage de charges ménagères et sont donc plus susceptibles de sacrifier leur carrière. Elles ont donc moins de chances d’être promues car c’est perçu comme un manque d’ambitions. Cela n’est peut-être pas toujours exprimé de vive voix, mais c’est toujours présent sur le lieu de travail”.

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