Revoir le rôle de la médecine du travail dans la lutte contre l’absentéisme

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Très présent dans les secteurs des sciences du vivant et de l’enseignement et très majoritairement actif en francophonie, le Cesi est agréé comme service externe de prévention depuis 1968. Pascal Denhaerinck, son directeur général, plaide pour un rôle accru de la médecine du travail dans la lutte contre l’absentéisme de longue durée.

Avouons-le tout de go : le Cesi (centre de services interentreprises) n’était pas le service externe de prévention qui nous venait à l’esprit en premier. Pourtant, cette ASBL, dont le siège se trouve sur le campus de Louvain-en-­Woluwe, fait partie des sept services externes de prévention agréés qui ont une couverture nationale (sur dix). Avec ses 335 employés, elle est présente dans 15.800 entreprises, dispose d’une centaine de centres et d’unités mobiles et représente 271.000 travailleurs salariés. Ce n’est pas un petit acteur du marché d’autant qu’elle est très présente dans les sciences du vivant.

“Le secteur de la santé au sens large (hôpitaux, maisons de repos et de soins, etc.) est majoritaire chez nous, explique Pascal Denhaerinck, le directeur général. C’est aussi l’un des secteurs, et nous y reviendrons, qui se débat le plus avec un fort taux d’absentéisme de longue durée. Nous sommes très présents dans la pharma et les grands acteurs du secteur présents en Wallonie, comme GSK, UCB, Takeda ou Baxter, font appel à nos services. Ce sont des secteurs spécifiques avec des risques spécifiques qui nécessitent des équipes spécialisées et un certain savoir-faire. Nous ne sommes pas nombreux à en disposer. Enfin, nous sommes aussi très présents dans l’enseignement avec 30.000 travailleurs affiliés. Nous travaillons tant dans le public qu’avec le privé et sommes très majoritairement actifs en Wallonie et à Bruxelles.”

Nous découvrons souvent des invalidités de longue durée au moment d’une reprise du travail envisagée par le médecin-conseil. C’est trop tard.” – Pascal Denhaerinck, directeur général du Cesi

One, une filiale 
à la page

Sans entrer dans les détails, le Cesi propose l’ensemble des services légaux et obligatoires aux entreprises. De la surveillance de santé ou médecine du travail à la gestion des risques via des conseillers en prévention qui agissent sur quatre piliers : la sécurité, l’ergonomie, l’hygiène et, le plus important aujourd’hui, les risques psychosociaux. Le centre gère aussi les plaintes pour harcèlement (moral, sexuel, etc.) désormais appelées interventions formelles ou informelles. Parallèlement, le Cesi, il y a 30 ans, a créé une filiale appelée One. Elle propose, hors prescrits légaux et prix forfaitaires, un certain nombre de services aux entreprises autour de thèmes aujourd’hui très prégnants. One Management propose de la consultance, du coaching et des formations dans des domaines comme l’absentéisme et le bien-être, les nouveaux modes de travail, la gestion du changement, etc. One Vitality s’occupe de santé mentale au sens large avec un fort accent mis sur la prévention du burn-out. De quoi solidement dépoussiérer l’image d’un service externe de prévention que beaucoup associent encore uniquement à la visite médicale obligatoire…

“Le changement du mode de financement en 2016 y a aussi contribué, poursuit Pascal Denhaerinck. Avant, il était basé sur le médical et les actes posés. Depuis 2016, il est question de prévention et de tous les travailleurs. L’accent est mis aussi sur la gestion des risques. La surveillance santé reste évidemment très utile mais elle est désormais ciblée et réservée à ceux qui en ont besoin. Ce changement de paradigme a modifié les rapports que nous avions avec les entreprises et a poussé les grandes sociétés à créer leur propre service interne de prévention. Avec lesquels la collaboration est poussée.”

Un rôle manquant

Si on évoque aujourd’hui le Cesi, c’est pour replacer le rôle de la médecine du travail dans le contexte global de l’absentéisme, principalement celui de longue durée. Pour bien comprendre, il est essentiel de distinguer le rôle des uns et des autres, rôles souvent mal compris par les employés. Le médecin-conseil émarge aux mutuelles, le médecin-contrôle qui vérifie la légitimité d’une absence est au service d’une entreprise et le médecin du travail est lié, en raison d’obligations légales, à une entreprise mais en est totalement indépendant et autonome. En d’autres termes, il n’est pas à ses ordres. Dans son récent rapport annuel consacré quasi exclusivement à l’absentéisme de longue durée, le Conseil supérieur de l’emploi (CSE) a établi un certain nombre de recommandations fortes. La principale évoque la nécessité de prendre contact très tôt avec une personne malade pour augmenter les chances d’un retour au travail. C’est dans ce sens qu’il faut d’ailleurs interpréter les changements induits par le ministre de la Santé vis-à-vis des rendez-vous formels avec le médecin-conseil. Le schéma de consultation a été avancé avec un premier contact entre le troisième et quatrième mois, puis au septième, ensuite juste avant le passage en invalidité et, enfin, à chaque renouvellement de cette invalidité. Avant, la première évaluation ne survenait qu’au septième mois. C’était beaucoup trop tard. Pascal Denhaerinck plaide aussi pour une intervention beaucoup plus tôt de la médecine du travail dans le processus.

“A ce jour, la loi ne nous autorise pas à travailler plus tôt et nous découvrons souvent des invalidités de longue durée au moment d’une reprise du travail envisagée par le médecin-conseil. C’est trop tard et c’est en contradiction avec les conclusions du CSE. Ce alors que la consultation de pré-reprise, effectuée sur base volontaire, donne d’excellents résultats et les chiffres le démontrent. Seulement, nous ne sommes pas autorisés à prendre contact avec la personne absente. L’acteur principal de l’invalidité en ­Belgique, c’est la mutuelle. Le souci, c’est qu’elle n’a aucune vue sur une entreprise, sur son contexte et sur les capacités d’adaptation d’un poste et d’une fonction. En faisant une pré-reprise, on gagnerait du temps. Singulièrement dans le burn-out où je suis certain qu’on récupèrerait plus de malades plus tôt. D’autant que rien ne nous oblige à communiquer la consultation à l’employeur sauf si le patient le souhaite. Si on sait lors d’une consultation de pré-reprise qu’une personne atteinte d’un burn-out n’a aucun désir de revenir chez son employeur, on peut hâter le processus. Ne pas revenir a du sens dans un certain nombre de burn-out.”

Positions idéologiques

Dans l’absentéisme de moyenne et de longue durée, il faudrait coordonner les trois médecins concernés. Or, la législation oblige un processus séquentiel : le généraliste fournit le certificat, le médecin-conseil prend le relais au bout d’un mois et le médecin du travail n’intervient qu’en bout de course quand une réintégration est envisagée. Ce dernier met en relation santé et aptitude au travail. Il peut donc décider d’un retour total dans le poste occupé, un retour total moyennant des adaptations (si elles sont possibles), un retour partiel dit mi-temps médical (qui donne aussi de bonnes chances de retour selon les chiffres des mutuelles) ou d’une inaptitude au travail tel qu’il était. Avec retour en incapacité ou invalidité à la mutuelle ou entame d’un trajet de force majeure médicale avec licenciement. Signalons que si la personne est guérie mais inapte, la mutuelle peut aussi décider de l’envoyer au chômage. En Flandre, deux services externes de prévention, Mensura et Idewe, ont lancé un projet pilote pour éviter de perdre du temps en cas de guérison et limiter un retour à la mutuelle avec une mise en contact direct avec le VDAB, le Forem flamand. L’idée, et c’est une autre conclusion du CSE, est de jouer sur l’employabilité plutôt que l’incapacité. Un tel projet n’existe pas en Wallonie.

“On en parle et je sais qu’au niveau fédéral, le ministre Dermagne voulait agir sur le sujet, confie Pascal Denhaerinck. En Flandre, la vision sur l’absentéisme est plus volontariste. Il y a, entre les partenaires sociaux, plus de consensus sur le retour au travail. En Wallonie, les intervenants se préoccupent plus de la protection sociale. Selon moi, ce projet est un plus. Rester en incapacité ne crée de la valeur pour personne. On sent que la même position idéologique empêche qu’on légalise notre intervention plus tôt dans la procédure d’invalidité. C’est comme si nous empêchions les gens d’être malades tranquillement. Nous sommes neutres et indépendants. Alors où se trouve le problème ? D’autant que je suis persuadé que nombreuses seraient les personnes intéressées par cette consultation de pré-reprise. Dans le même ordre d’idées, le SPF Santé publique a instauré des coordinateurs de retour au travail qui n’ont pas plus de vue sur l’entreprise que les médecins-conseils. Avions-nous besoin de cette couche supplémentaire alors que nous avons les ressources et les capacités idoines ?”

En Flandre, la vision sur ­l’absentéisme est plus volontariste. Il y a, entre les partenaires sociaux, plus de consensus sur le retour au travail.

Sanctions

Depuis peu, la législation impose des sanctions aux entreprises qui ont trop recours à la force majeure médicale pour licencier ou dont l’absentéisme de longue durée est trop élevé. La scission, l’an dernier, de cette force majeure médicale du trajet de réintégration a eu des effets ­pervers.

“Les trajets sont en forte baisse, conclut Pascal Denhaerinck. C’est logique, ils sont très contraignants tant pour l’employé que l’employeur et ne sont plus liés à cette force majeure médicale. Du coup, les uns et les autres n’en veulent plus. Passer par une consultation de pré-reprise puis de reprise est plus simple et plus humain. Et c’est profitable à tout le monde. Il faut quand même comprendre que cette force majeure médicale est demandée aussi par les employés. Et pour cause, ils n’ont pas droit à des allocations de chômage s’ils démissionnent. En réalité, cette force majeure offre des opportunités de retour plus rapide sur le marché du travail. Et pendant ma carrière, j’ai connu très peu d’abus dans le domaine de la part des entreprises. Sanctionner n’a aucun sens. Mais en Wallonie, beaucoup pensent que cela sert à dégraisser. C’est ridicule, ces gens ne travaillent pas et ne sont plus à charge, ou très peu, des entreprises. Sanctionner l’absentéisme n’est pas plus correct dans la mesure où l’intervention de l’employeur, via la médecine de travail, n’intervient que très tard.”

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