Nouvelles règles sur la transparence salariale: vos collègues doivent-ils savoir combien vous gagnez ?   

Ilse De Witte Journaliste chez Trends Magazine

La Belgique doit transposer la directive européenne sur la transparence salariale en droit national d’ici juin 2026. « On pourrait croire que nous avons encore beaucoup de temps, mais cela sera juste », estime Elisabet Lenaerts, conseillère adjointe en travail et sécurité sociale à la Fédération des entreprises de Belgique (FEB). « La transposition d’une directive européenne est un travail long et complexe », soulignent également les syndicats. 

En Belgique, il existe depuis dix ans une obligation pour les entreprises de plus de cent employés de préparer un rapport d’analyse pour le conseil d’entreprise. Ce rapport jouera un rôle dans la mise en place d’une “politique neutre en matière de rémunération entre hommes et femmes dans l’entreprise”. Pour les entreprises comptant entre cinquante et cent employés, un rapport d’analyse simplifié suffit.  

La nouvelle directive européenne qui doit être mise en oeuvre pour juin 2026 va encore plus loin. « L’objectif de la directive européenne est de garantir que deux employés ayant les mêmes qualifications, expériences et compétences perçoivent un salaire équivalent. Actuellement, la législation ne permet pas de garantir pleinement ce principe d’égalité salariale. Il est donc nécessaire d’aller plus loin. L’objectif n’est pas que les employés puissent demander combien gagne un collègue en particulier, mais qu’ils aient accès aux niveaux de rémunération moyens des collègues dans la même catégorie, afin qu’ils sachent où ils se situent », explique Kurt Van Hissenhoven, porte-parole du syndicat ACLVB. 

En tant qu’organisation syndicale, nous plaidons pour une mise en œuvre large de la directive, tandis que le côté patronal plaide plutôt pour une mise en œuvre minimale.

Kurt Van Hissenhoven

Porte-parole du syndicat ACLVB

 

Quelles sont les différences avec la législation belge existante ? 

Les employés disposeront de plus d’outils pour exiger une rémunération égale entre hommes et femmes. Alors que la loi belge sur l’écart salarial mettait l’accent sur l’information des représentants des travailleurs, la directive européenne met l’accent sur l’information des travailleurs individuels. 

Selon la directive européenne, les employeurs doivent : 

– Donner aux candidats lors de l’entrée en fonction une idée claire de la rémunération ou de la fourchette salariale pour le poste auquel ils postulent. 

– Rappeler aux employés, une fois par an, qu’ils ont le droit d’obtenir des informations sur leur propre niveau de rémunération. 

– Fournir des informations, à la demande d’un employé, d’un syndicat ou d’un organisme pour l’égalité de traitement, sur le salaire moyen dans une catégorie donnée, ventilé par sexe. 

Selon la directive européenne, les employeurs peuvent : 

– Ne pas demander aux candidats leur salaire passé ou leurs attentes salariales, mais s’enquérir de leur expérience ou d’autres critères objectifs. 

– Ne pas interdire aux employés de divulguer leur salaire à d’autres. 

– Demander aux employés d’utiliser les informations relatives à certaines catégories de personnel uniquement pour obtenir une égalité salariale, et non pour les divulguer publiquement ou à la concurrence ou aux médias. 

– Ne pas infliger de représailles ou licencier un employé pour avoir demandé des informations sur les salaires. 

Les grands principes de la directive sont clairs. Mais les organisations belges d’employeurs et de travailleurs doivent se mettre d’accord sur la meilleure manière de transposer cette directive en droit belge. 

Discussion entre partenaires sociaux 

Les négociations ont commencé avant l’été, au sein du Conseil National du Travail (CNT). Pendant l’été, elles ont été interrompues à cause des vacances, et maintenant elles ont repris à plein régime. “L’objectif est d’arriver à un rapport uniforme dans le cadre de cette directive européenne. Cependant, la directive utilise des termes dont nous ne savons pas encore ce qu’ils signifient dans un contexte belge”, explique Elisabet Lenaerts, conseillère adjointe pour le travail et la sécurité sociale à la Fédération des Entreprises de Belgique (FEB). 

“Est-ce que la rémunération inclut le salaire de base ou doit-elle également comprendre tous les autres avantages en argent ou en nature que les travailleurs reçoivent directement ou indirectement ? Dans certains secteurs, une prime d’équipe fait partie du salaire de base, dans d’autres, cette prime est un bonus variable. Nous comparons donc des pommes et des poires.” 

Comparer des pommes et des poires

Van Hissenhoven ajoute : “La transposition d’une directive européenne est un travail long, délicat et complexe. Dans ce cas, de nombreuses lois existantes et conventions collectives devront peut-être être modifiées ou réécrites pour transposer correctement la directive. Les partenaires sociaux jouent un rôle clé dans ce processus. Nous devons travailler ensemble pour que cela soit fait de manière correcte et équilibrée. Les partenaires sociaux doivent être impliqués à tous les niveaux du dialogue social : interprofessionnel, sectoriel et au niveau de l’entreprise. En tant que syndicat, nous plaidons pour une mise en œuvre large de la directive, tandis que les employeurs plaident plutôt pour une mise en œuvre minimale, comme il ressort des réunions au CNT.” 

“Il y a encore beaucoup d’incertitudes et de contradictions que nous devons clarifier”, estime Lenaerts. “Par exemple : le salaire moyen doit-il déjà figurer dans l’offre d’emploi, doit-il être communiqué lors du premier entretien ou peut-il l’être plus tard ? Faut-il communiquer une échelle salariale ou un salaire de départ ? La directive laisse encore beaucoup de marge d’interprétation à ce sujet.” 

Protection de la vie privée 

Les employeurs craignent que la transparence obligatoire rende difficile le recrutement de nouveaux employés. Les travailleurs pourraient être découragés de postuler en raison de bas salaires. Aujourd’hui, ils apprennent à mieux connaître l’entreprise au cours du processus de recrutement avant que les discussions sur le salaire ne commencent. Lenaerts : “La directive européenne entraînera une lourdeur administrative pour les entreprises, car elles devront être en mesure de prouver à tout moment que la rémunération est basée sur des critères neutres en termes de genre. En cas de soupçon de discrimination, la charge de la preuve est inversée. Toute la directive repose sur le concept de ‘catégorie’. Ce concept revient à plusieurs reprises. Les entreprises devront donc définir ces catégories et tout documenter soigneusement. Les différences salariales peuvent toujours exister, mais elles doivent être basées sur des critères objectifs, qui doivent être bien documentés.” 

La directive européenne entraînera une surcharge administrative pour les entreprises, car elles devront à tout moment être en mesure de prouver que la rémunération est basée sur des critères neutres du point de vue du genre.

Elisabet Lenaerts

FEB

Le syndicat ACLVB précise que la directive n’empêche pas que des écarts de salaire entre deux travailleurs occupant le même poste puissent subsister. Il y a cependant une condition importante à toute différence salariale : “Elle doit être justifiée sur la base de critères objectifs et non discriminatoires, tels que les compétences, les efforts, les responsabilités ou d’autres facteurs pertinents. Ces critères devraient être fixés par les partenaires sociaux, que ce soit au niveau interprofessionnel, sectoriel ou au niveau de l’entreprise.” 

Les syndicats comprennent les préoccupations concernant la “lourdeur administrative” ou la “charge administrative”. “C’est un argument souvent avancé par les employeurs dans de nombreux dossiers. Nous chercherons, avec tous les acteurs concernés, une solution équilibrée qui tienne compte de cette préoccupation, sans perdre de vue l’objectif visé par la directive”, réagit Van Hissenhoven. 

Lenaerts voit un autre obstacle majeur, à savoir la protection des données personnelles. “Dans de petits groupes de travailleurs, le rapport collectif pourrait révéler trop d’informations sur les salaires individuels. Ce n’est pas l’objectif. Le service d’études de l’ACLVB est également conscient du problème de protection des données. L’objectif n’est pas que la transparence salariale permette d’identifier des travailleurs dans de petites entreprises. “La transparence des rémunérations peut soulever des questions sur la vie privée, mais c’est aussi un argument du côté des employeurs”, estime Van Hissenhoven. 

Trop loin ou pas assez ? 

Lenaerts souligne également que la directive ne doit pas aller au-delà de son objectif principal : renforcer le principe “à travail égal, salaire égal”. “L’objectif est d’éviter ou de détecter rapidement les différences salariales injustifiées et d’y remédier. L’instauration d’une plus grande transparence est un moyen pour atteindre cet objectif. La transparence totale des salaires dans le secteur privé n’est pas une fin en soi.” Pour les employeurs, l’objectif ne doit pas être que les travailleurs “abusent” de la transparence salariale pour remettre en question les différences salariales. “De meilleures performances doivent toujours être mieux rémunérées.” 

Il existe aussi des écarts de salaire qui se sont historiquement formés. Prenons l’exemple d’une acquisition ou d’une fusion de deux entreprises. La loi belge protège les travailleurs, afin qu’ils conservent leurs conditions salariales en cas de reprise. “Combien de temps ces écarts salariaux peuvent-ils persister au sein d’un groupe fusionné ?” s’interroge Lenaerts. De plus, la directive permet également aux travailleurs d’utiliser une base de comparaison plus large, par exemple une autre entreprise du même secteur ou une autre filiale du même groupe. Cela peut également poser problème aux entreprises.  

Tout au long de la carrière, les bonus perdus ou les paiements en nature, la perte de chances, le préjudice immatériel, etc., doivent être entièrement remboursés en cas de violation. Le droit à la compensation est très large.

Elisabet Lenaerts

FEB

Les syndicats craignent que la directive n’aille pas assez loin pour combler l’écart salarial entre hommes et femmes. Plusieurs facteurs influencent cet écart. “Une approche purement juridique du problème ne suffira pas à combler complètement l’écart. Même une transposition maximale de la directive ne réduira pas l’écart à 0 %. Une approche sociétale est également nécessaire pour combler l’écart salarial : lutte contre les stéréotypes de genre dans l’éducation et sur le marché du travail, revalorisation des secteurs et des métiers où travaillent plus de femmes que d’hommes, sensibilisation à la répartition des charges familiales entre hommes et femmes dès le plus jeune âge, structures d’accueil accessibles financièrement et géographiquement pour toutes les familles, etc.”, énumère Van Hissenhoven. “Tout cela semble beau sur le papier, mais il y a encore beaucoup de questions sur la mise en œuvre pratique. C’est pourquoi nous voulons évaluer cela sur une période plus longue et un grand dialogue social est nécessaire”, poursuit-il. 

Amendes et sanctions pour les entreprises 

Les partenaires sociaux doivent également se prononcer sur les sanctions à appliquer aux entreprises qui ne respectent pas leurs obligations. Lenaerts : “La directive stipule que les États membres doivent assortir la non-conformité de sanctions efficaces, proportionnées et raisonnables. La directive doit avoir un effet dissuasif, et les sanctions doivent être effectivement appliquées. De plus, les sanctions doivent être convenues au niveau belge et intégrées dans la législation nationale pour qu’elles soient opérationnelles.” 

La directive européenne va très loin, selon la FEB, en ce qui concerne la compensation des dommages. Si les travailleurs peuvent prouver qu’ils ont manqué des promotions ou des augmentations de salaire à cause d’une violation des droits énoncés dans la directive, ils devront être compensés pour la perte salariale. “Comment évaluer ces dommages ? Comment les prouver ? Aucune idée. Il n’y a pas non plus de limite pour savoir jusqu’à quand ces dommages doivent être compensés. Sur l’ensemble de la carrière, les primes manquées ou les avantages en nature, les opportunités perdues, les dommages immatériels,… devront être entièrement compensés en cas d’infraction. Ce droit à la compensation est très vaste.” 

La directive doit avoir un effet dissuasif, et les sanctions doivent être effectivement appliquées.

Elisabet Lenaerts

FEB

Il existe également une procédure pour les “mauvais élèves”. “En cas d’écart salarial d’au moins 5 % dans une catégorie, qui n’est pas justifié par des critères objectifs – c’est-à-dire neutres en termes de genre – une correction doit être apportée dans les six mois. Si cela n’est pas fait, une évaluation salariale conjointe avec des représentants des travailleurs et des syndicats doit être effectuée. Nous devons encore nous pencher sur ce sujet avec les partenaires sociaux dans notre avis”, conclut Lenaerts. 

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content