Monica De Jonghe (FEB): “Il faut favoriser la mobilité professionnelle mais le chômage n’est pas une solution”
Octroyer des allocations de chômage aux travailleurs remettant volontairement leur démission. La proposition du Ministre du travail Pierre-Yves Dermagne en a étonné plus d’un. Et notamment, la Fédération Belge des Entreprises qui n’est pas persuadé que la mesure soit la plus adaptée afin de répondre à l’objectif d’atteindre un taux d’emploi de 80%. Monica De Jonghe, administrateur-directeur général et Executive Manager du centre de compétence Emploi et de Sécurité sociale de la FEB a accepté de revenir avec nous sur ce sujet.
La proposition du Ministre du travail Pierre-Yves Dermagne (PS) d’octroyer des indemnités de chômage aux personnes démissionnant après un certain nombre d’années a suscité pas mal de réactions, souvent négatives, au sein des associations patronales ainsi qu’au sein de certains partis politiques aussi bien au nord qu’au sud du pays. L’administrateur directeur général de la Fédération Belge des Entreprises (FEB) Monica De Jonghe a d’ailleurs accepté de revenir avec nous sur cette proposition, expliquant pourquoi elle l’étonnait et a aussi évoqué des solutions pour faire face non seulement aux envies de réorientation des travailleurs mais aussi aux pénuries de travailleurs que connaissent certains secteurs.
Comment avez-vous accueilli la proposition du Ministre du travail ?
Monica De Jonghe: “Elle m’a étonné même si je peux comprendre l’idée. Les personnes insatisfaites de leur travail doivent en effet avoir la possibilité de le faire, mais il ne faut pas oublier la fonction première du chômage et son principe. Il constitue une assurance pour les personnes qui ont perdu leur emploi et dont ce n’est pas le choix. Ici, les gens pourraient décider de quitter leur emploi et bénéficier des mêmes avantages. Notre système de chômage n’est pas limité dans le temps et une fois que quelqu’un y est, il est difficile d’être réintégré dans le marché du travail.La proposition du ministre Dermagne revient à un assouplissement des règles du chômage qui risque de favoriser la mise en place d’un nouveau régime de départ anticipé. La proposition aura donc l’effet inverse de celui recherché et entraînera une diminution, et non une augmentation, du nombre de personnes sur le marché du travail. En fait, c’est ce que je ne comprends pas dans le discours du PS. Ils veulent atteindre un taux d’emploi de 80% , mais ils prônent en même temps l’inactivité. Pour l’instant, la Flandre est à 75% et a encore un petit effort à accomplir et la Wallonie et Bruxelles sont plus bas. Je n’ai pas l’impression que la mesure proposée aidera à améliorer ces pourcentages.”
Ce n’est donc pas le principe d’aider la reconvertion professionnelle que vous critiquez mais la solution envisagée ?
MDJ: “Oui, il faut en effet que notre société dans son ensemble oublie l’idée que les gens vont effectuer toute leur carrière au même endroit. C’était peut-être la mentalité avant, mais ce n’est plus le cas maintenant. Il faut favoriser la mobilité professionnelle et surtout repenser le régime qui finit aussi par enterrer les gens dans un chômage longue durée. Nous prônons plutôt un meilleur accompagnement des personnes souhaitant se réorienter.”
Certains employeurs disent off the record que le monde patronal est un peu hypocrite sur la question étant donné que quand les relations sont bonnes avec un employé souhaitant se réorienter, ils lui donnent parfois un C4 pour qu’il puisse toucher des allocations de chômage et ne pas se retrouver sans rien.
MDJ: “C’est dommage que certains fassent cela car le chômage n’est pas destiné à cela mais aider ceux qui ne sont pas partis de leur chef . C’est pour cela qu’il faut mieux le réglementer et faciliter les moyens favorisant la mobilité dans le monde du travail. Aujourd’hui, il est primordial que davantage de personnes travaillent et pas qu’elles soient inactives. Un taux d’emploi plus élevé est important non seulement pour financer la sécurité sociale, pour payer les pensions, mais aussi pour permettre la relance de notre économie.”
Quelles solutions proposez-vous pour faciliter cette mobilité professionnelle ?
MDJ: “L’accompagnement doit être meilleur mais surtout proposer des mesures actives et pas passives comme une allocation de chômage à durée indéterminée. Mais pour cela, il faut que notre pays change aussi sa mentalité quant aux formations et suive l’exemple de ce qui se passe en Scandinavie. Ce serait intéressant que chaque personne, qu’elle soit active ou non-active, puisse suivre une vraie formation dès qu’elle est en âge de travailler afin de pouvoir revenir rapidement sur le marché de l’emploi ou de se réorienter sans devoir démissionner pour le fait. Mais cela peut aussi se faire sous la forme de coaching. Si quelqu’un n’est pas satisfait de son travail, il a bien sûr le droit de changer. Si vous travaillez par exemple dans le secteur bancaire, vous ne pouvez pas être bloqué, si vous avez envie de devenir prof de mathématiques par exemple.”
On a beaucoup parlé des métiers en pénurie ces dernières semaines ? Quelles solutions voyez-vous pour faire face à la situation ?
MDJ: “Les problèmes des métiers en pénurie n’est pas récent dans notre pays et on n’a pas attendu la crise sanitaire pour s’en rendre compte. Il démontre aussi qu’il faut faire des efforts à tous les niveaux. Non seulement en valorisant certaines filières dans l’apprentissage mais aussi en accompagnant mieux les personnes désirant se recycler. On peut aussi revoir l’article 39 ter de la loi relative au contrat de travail pour adapter les règles des indemnités de licenciement ou préavis aux personnes souhaitant démissionner. Les solutions existent. Mais l’effort doit aussi se faire au niveau des employeurs. Il y a une image où l’on compare le marché du travail à une forteresse. Vous avez à l’intérieur des gens qui sont protégés et veulent continuer à bénéficier de cette protection et de ses avantages et en dehors des gens qui souhaiteraient y rentrer mais ne le peuvent pas parce que les murs sont trop hauts. Il faut justement abattre certains murs. Mais il faut que ça se fasse à tous les niveaux.”
Le monde politique a-t-il un rôle à jouer ?
MDJ: “Certainement, pour changer les mentalités, il faut que ça se fasse à tous les niveaux. En Belgique, la sécurité sociale et le droit du travail restent des compétences fédérales. Certaines autres ont été régionalisées mais ce n’est pas une raison pour que les Régions ne regardent que leur marché du travail. On reste un petit pays. Elles ont aussi tout intérêt à ce qu’il y ait une meilleure mobilité du travail entre les Régions. Celle-ci est pour l’instant encore insuffisante. Pourtant la Flandre qui souffre d’un manque de main d’oeuvre a tout intérêt à avoir des travailleurs bruxellois ou wallons, tout comme les régions de ces derniers ont aussi intérêt à ce que leurs demandeurs d’emploi trouvent une solution. Les bonnes intentions, c’est bien, mais il faut aussi des résultats.”
Ce n’est donc pas qu’à ce niveau que les choses doivent changer ?
MDJ: “Oui, les différents secteurs ont évidemment un rôle à jouer, les offices de formation professionnelle et de l’emploi, les intérims, les entreprises aussi. Il faut aussi que les régions collaborent plus avec les entreprises pour comprendre ce dont elles ont besoin. Mais, il faut changer les mentalités en tout cas. . C’est pourquoi nous demandons que l’on mette davantage l’accent sur la transition d’un emploi à l’autre, sur la formation des demandeurs d’emploi afin de les orienter vers les métiers en pénurie ainsi que la réintégration des personnes en incapacité de travail qui se retrouvent souvent trop longtemps enfermées dans un chômage longue durée. On peut aussi permettre de combiner travail et perception d’une allocation sous certaines conditions. Mais trouver les bonnes solutions ne se fera pas sans casser certains murs.”
Avez-vous constaté un impact de la crise sanitaire sur les métiers en pénurie ou les reconversions professionneles, est-ce que les mesures prises par le gouvernement ont porté leurs fruits ?
MDJ: “Nous n’avons pas eu de retours négatifs excepté dans l’horeca où beaucoup de personnes nt préféré choisir une autre voie. Mais, les mesures de chômage temporaire ont aussi eu l’effet escompté puisque beaucoup de personnes sont restées fidèles à leur emploi au lieu de le quitter.”
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