Métiers en pénurie: les 12 grands travaux

Les professions de la construction, notamment, sont fortement touchées par la pénurie. © Getty Images
Olivier Mouton
Olivier Mouton Chef news

C’est “le” dossier sensible de la rentrée, car les pénuries menacent désormais la santé de notre économie. Voici les solutions envisagées. Toutes ne font pas l’unanimité politique, mais c’est un “plan global” qui devrait être adopté pour être efficace.

Les métiers en pénurie menacent notre économie. Plus de 200.000 emplois ne trouvent pas preneurs et ralentissent la croissance. Politiquement, en cette rentrée, le sujet s’impose comme une priorité. Les débats sensibles se multiplient. En Flandre, on dénonce le manque d’entrain des francophones à travailler au Nord et on suggère d’aller chercher les talents en Inde ou au Mexique. En Wallonie, le ministre-président Elio Di Rupo (PS) veut régulariser les sans- papiers dont les compétences sont précieuses. Oui, et au niveau belge? La volonté de renforcer l’activation des inactifs en Belgique, voulue par les libéraux, reste freinée par la gauche.

“Ce sujet des métiers en pénurie est un marronnier, qui revient chaque année, mais il devient vital d’apporter des remèdes, parce que nos entreprises en souffrent durement, souligne Pierre-Frédéric Nyst, président de l’Union des classes moyennes (UCM). Il faut un plan global de lutte contre les métiers en pénurie. Nous avons travaillé cet été sur des propositions en ce sens. Une seule mesure ne suffira pas, il en faut une dizaine, simultanément, à tous les niveaux de pouvoir.”

“Ce problème de pénurie n’est pas propre à la Belgique, il est global, ajoute Sébastien Delfosse, CEO de Manpower Belgique. Nos études, depuis plusieurs années, montrent que ce déséquilibre entre l’offre et la demande est de plus en plus important. Des réformes permettraient toutefois d’apporter des solutions, en sachant que les entreprises doivent elles aussi se réinventer.”

Voici un tour d’horizon de 12 mesures susceptibles de changer la donne.

1. Réduire la taxation sur le travail

Réduire les charges sur les bas et moyens salaires: c’était l’objet central de la réforme fiscale que la Vivaldi fédérale aurait dû concrétiser cet été. Le chantier a échoué: les partis de gauche voulaient une opération budgétairement neutre avec taxation des richesses, le MR voulait un tax-cut avec hausse du taux d’emploi et réduction des dépenses. “Cette baisse de la fiscalité est nécessaire, tout le monde l’admet, mais il faut agir, souligne Pierre-Frédéric Nyst. A l’UCM, nous estimons que cette réduction devrait être de l’ordre de 15%. Pour y arriver, soit on réduit les dépenses publiques, soit on augmente le taux d’emploi. On peut aussi taxer les multinationales.”

Jean-Marc Nollet, coprésident d’Ecolo, a suggéré de relancer la négociation sur cette réforme fiscale à la rentrée. Réplique du Premier ministre, Alexander De Croo: “Je ne pense pas que nous devons dépenser beaucoup d’énergie à cela”. A moins d’une surprise, ce sera pour la prochaine législature.

2. Activer les sans-emploi en Belgique

C’est “le” débat sensible politiquement. “Une solution, que le président du MR Georges-Louis Bouchez met en avant, serait d’activer davantage les personnes qui sont inactives, au chômage ou malades de longue durée, soutient le CEO de Manpower Belgique. Les chiffres sont effarants, il y a notamment plus de 500.000 malades de longue durée. Des efforts ont été entrepris, mais notre politique d’activation est-elle efficace? La réponse est non!”

“Un encadrement plus systématique des demandeurs d’emploi ne serait pas superflu, confirme diplomatiquement le patron de l’UCM. Tout d’abord, il faut multiplier les formations, au-delà de ce qui reste, pour l’instant, beaucoup trop de l’occupationnel. Trop souvent, les conseillers sont déjà heureux de voir, au bout de la formation, les candidats arriver et repartir à l’heure.” C’est toute la question des soft skills, ces compétences de base censées acquises qu’il est nécessaire de ré-inculquer, avant même de songer à la formation professionnelle en tant que telle. “Le budget du Forem et d’Actiris a explosé, sans que les résultats soient suffisants, constate le patron des classes moyennes. A côté de cette carotte, il convient aussi de prévoir un bâton sous forme de sanctions.”

3. Régulariser des sans-papiers et recruter à l’étranger

Cet été, le ministre-président wallon, Elio Di Rupo, a écrit au Premier ministre pour lui suggérer de régulariser les sans-papiers disposant de compétences dont on a besoin en Belgique. Réponse du 16: nous n’avons pas de tabou, mais activons d’abord les Belges – le PS freine à l’idée d’imposer davantage de sanctions.

“La Belgique pourrait très bien à la fois mieux activer ses demandeurs d’emploi, en ce compris avec un élément de contrainte sur la formation (par exemple par un bilan de compétences obligatoire comme à Bruxelles) Et permettre à une partie des 100.000 sans-papiers présents sur notre territoire de travailler dans des secteurs en pénurie s’ils en ont les compétences”, souligne François De Smet, président de DéFI. Quant à l’immigration “choisie”, venue de pays où les compétences sont bonnes, elle fait également partie de la solution.

4. Favoriser la mobilité transrégionale

Cet été encore, une autre polémique a vu le jour: alors que le VDAB, organisme flamand pour l’emploi, envoie 117.000 offres d’emploi, seuls 51 Wallons seraient inscrits au VDAB. Mais les chiffres ont été erronément associés, regrette le Forem: la collaboration est plus intense que cela, plus de 7.500 francophones ont reçu un soutien, pour postuler en Flandre notamment. Les ministres-présidents wallon, Elio Di Rupo, et flamand, Jan Jambon (N-VA), ont toutefois annoncé le 30 août qu’ils signeraient un accord de coopération pour renforcer cela. Le nationaliste flamand veut en outre que l’on puisse quantifier précisément cette mobilité. “Ne déshabillons pas Pierre pour habiller Jacques, prévient toutefois le président de l’UCM, Pierre-Frédéric Nyst. Il ne faut pas oublier que la question des pénuries se pose également en Wallonie.” Le risque est réel de voir… la Flandre payer plus cher pour “voler” des talents à la Wallonie.

5. Supprimer les pièges à l’emploi

“Nous devons avoir un débat sur la mobilité”, souligne Pierre-Frédéric Nyst. Car le constat est le suivant: environ un demandeur d’emploi wallon sur deux… n’a même pas son permis de conduire. Favoriser l’accès au permis de conduire serait utile. “Le permis, c’est un premier pas vers une réintégration”, prolonge-t-il. Un débat similaire doit avoir lieu au sujet de l’accueil de la petite enfance (lire aussi en page 28).

6. Réformer les allocations de chômage

C’est une idée davantage disruptive émanant de fédérations professionnelles et de chefs d’entreprise. Ne pourrait-on pas revoir plus fondamentalement la façon dont les allocations de chômage sont payées? En substance, on prévoirait une allocation de base pour tous, et une partie variable pour ceux qui font davantage d’efforts pour trouver un emploi. Toute la question consiste évidemment de savoir si l’on descend la base au niveau du revenu d’intégration sociale (RIS), au risque de provoquer des problèmes sociaux, ou si la diminution est davantage symbolique. En tout état de cause, ce serait une révolution copernicienne, une idée à ranger au niveau de cette allocation universelle donnant un revenu minimum à tous.

7. Encourager des pensionnés à rester actifs

La perspective d’un départ plus tardif à la pension a été initiée sous le gouvernement Michel avec le report de l’âge de 65 à 67 ans. Une mesure controversée, mais symbolique. Il reste beaucoup à faire pour gérer les fins de carrière. “Il faut trouver des formules pour encourager ceux qui veulent rester actifs”, estime Pierre-Frédéric Nyst. La récente réforme des pensions adoptée par la Vivaldi, à l’initiative de la ministre Karine Lalieux (PS), prévoit un bonus pour ceux qui prolongent leur carrière après l’âge de départ potentiel… à la prépension. Ce n’est pas assez.

8. Développer les flexi-jobs

“Il faut encourager ceux qui le veulent à travailler davantage, estime le président de l’UCM. Le cadre actuel ne le permet pas assez. Notre leitmotiv, c’est qu’il faut améliorer et étendre le principe des flexi-jobs, qui permettent à un travailleur d’exercer un emploi complémentaire à des conditions avantageuses. Il faut l’étendre à de nouveau secteurs.”

9. Encourager la formation en alternance

L’un des principaux obstacles pour trouver des candidats aux métiers en pénurie, c’est la formation. “Il y a toujours une inadéquation entre l’offre et la demande en matière d’emploi, souligne Sébastien Delfosse. Il n’y a pas assez de jeunes disposant des compétences nécessaires. Malgré les discours et les efforts, on n’a pas été assez efficace dans ce domaine.”

Le fossé entre l’enseignement et le monde de l’entreprise reste un souci majeur. “Nous plaidons pour que l’on fasse de l’enseignement en alternance le mode principal d’apprentissage, souligne Pierre-Frédéric Nyst. Quel que soit le domaine et quelle que soit la matière.” Le modèle allemand n’a pas encore suffisamment essaimé chez nous.

10. Favoriser le travail étudiant

Dans le dossier Delhaize, c’est devenu une solution pour l’entreprise dans sa transformation contestée vers des entités franchisées. En retour, cela représente une évolution insupportable pour les syndicats. “Nous souhaitons également développer ce volet, mais le contexte induit par Delhaize n’y est guère propice”, reconnaît Pierre-Frédéric Nyst.

11. Des entreprises “family friendly”

Un autre piège à l’emploi n’est autre que l’accueil de la petite enfance, pour les nombreux parents en quête d’une solution pour pouvoir s’engager professionnellement. La question se pose au niveau public, mais les entreprises pourraient également contribuer à la solution, en étant davantage family friendly. “Il y a des choses à faire pour faciliter les démarches en vue de créer des crèches au sein des entreprises”, souligne-t-on à l’UCM, où une telle démarche serait également bienvenue en interne pour son siège principal avec 480 personnes actives, dont de nombreux jeunes parents.

12. Rendre les entreprises plus sexy

Le défi est important pour les entreprises, qui doivent plus que jamais convaincre les travailleurs à venir rejoindre leurs rangs. Le rapport s’est inversé: dans bien des secteurs, le salarié est devenu le roi. “On parle beaucoup du rapport au travail compliqué de la génération Z, souligne Sébastien Delfosse, CEO de Manpower Belgique. Nos études montrent en effet que les attentes sont plus grandes en matière de flexibilité et conciliation entre vie professionnelle et vie privée, notamment. Cette évolution a commencé bien avant eux. La différence marquante est qu’aujourd’hui, les candidats sont dans une position de force. Les entreprises doivent travailler à leur attractivité et à leur image. Le paradoxe, nos études le montrent également, c’est que les gens veulent qu’une entreprise soit flexible même s’ils n’utilisent pas forcément les capacités de flexibilité offertes. Les départements de ressources humaines, plus que jamais, doivent travailler à leur branding.”

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