L’“interim management” a le vent en poupe

Le recrutement souffre d’un contexte politique et macro-économique peu engageant. © Getty Images

Malgré les disparités entre les différents acteurs, le recrutement, très dynamique ces derniers mois, a tendance à ralentir. La Belgique est entrée dans un marché, inédit, qui n’est ni un marché de clients, ni un marché de candidats. Une situation d’attente qui s’explique par des contextes macro- et micro-économiques très compliqués.

“Pour Randstad, c’est clair : la guerre des talents est terminée, les talents l’ont remportée haut la main !” Sébastien Cosentino, senior manager public sector & public affairs pour la Wallonie, martèle le credo du groupe Randstad, le premier employeur du pays et leader du marché pour les trois grands concepts de prestations RH : l’intérim, l’outplacement-career management et le recrutement.

Pour Sébastien Cosentino, les entreprises doivent continuer à se réinventer pour attirer des talents qui courent parfois plusieurs lièvres à la fois et qui, en position de force, ont tout le loisir de se montrer exigeants pour bouger. Et, selon lui, ce constat est valable pour toutes les générations et pas uniquement pour les jeunes, très friands de ces changements de cap. On va voir que cette réalité est, sans doute, plus nuancée qu’il n’y paraît.

L’intérim souffre

Ces premiers mois de 2024 sont marqués par un phénomène généralisé: l’intérim souffre. Selon Randstad, depuis le début de l’année, mois de mai y compris, le secteur a baissé de 5 %. Il suffit de se rappeler, par exemple, que face à une moindre production, VW Forest n’a reconduit aucun de ses contrats flexibles.

“Les entreprises font montre de prudence, confirme Sébastien Cosentino. L’intérim est considéré comme le baromètre de la vitalité de notre économie. Il sert de variable d’ajustement et c’est la première ressource qui trinque quand les choses deviennent comp bliquées.”

A côté de l’intérim, pour certains, c’est tout le recrutement qui souffre d’un contexte politique et macro-économique peu engageant.

Mettre en place un budget ­salarial adéquat est devenu un vrai challenge aujourd’hui et cela complexifie le recrutement.” – Marie Parmentier (Robert Walters)

“2024 est une année charnière à de très nombreux points de vue, affirme Grégory Renardy, managing director Michael Page & Page Executive Belgium & Luxembourg. C’est une année d’élections et les entreprises sont dans l’attente de ce qui va sortir des urnes le 9 juin. Et on oublie trop souvent l’impact des élections américaines sur l’économie européenne et sur notre propre marché de l’emploi. Quid d’un retour de Trump ? Le conflit en cours au Moyen-Orient est venu rajouter une couche d’incertitude sur le contexte inflationniste né avec la guerre en Ukraine. Les entreprises sont clairement dans une situation d’attente. Les talents potentiels, bien nantis après l’inflation, hésitent à bouger. Pourquoi prendre le risque, dans un contexte aussi volatile, de changer de job, de perdre son ancienneté et de se trouver le dernier arrivé dans une entreprise ? Cela se ressent très fort dans notre activité. Nous sommes 200 en Belgique et 4.000 en Europe. Partout, en 2024, nous faisons moins de recrutement à staff constant. Le deuxième trimestre, en cours, confirme ce ralentissement.”

Opportunisme

Ce ralentissement, on le ressent chez Robert Walters, le cabinet de recrutement international. Les entreprises embauchent moins et il y a clairement moins de postes ouverts. Mais…

“Je sors d’un excellent premier trimestre, sourit Marie Parmentier, manager finance & accounting qui gère le recrutement à partir du middle management. Il faut quand même convenir qu’une partie de ces dossiers avaient été initiés à la fin de l’année dernière. Cela ralentit aujourd’hui mais nous ne sommes pas dans un marché déprimé pour autant. Je parlerais de marché d’opportunistes. Pour les postes clés, comme chef comptable ou CFO, les entreprises ne lésinent pas et j’ai vu des recrutements se régler en une semaine. Pour d’autres postes moins cruciaux, je sens clairement un période d’attente avec des signes qui ne trompent pas : le processus est plus lent, les entreprises reportent des rendez-vous d’embauche, hésitent et font même des propositions au rabais. Cela n’incite pas les candidats à bouger. Ils sont sur du velours et ne vont bouger que si vous cochez toutes leurs cases : salaire, proximité, télétravail, job passionnant, chouette manager, impact social, etc. Et cela concerne toutes les générations et pas que les jeunes.”

Il faut aussi se rappeler qu’en deux ans, les entreprises ont vu les salaires s’envoler de 15 %. Une pilule qui n’est pas simple à avaler pour tout le monde et qui réduit, souvent, les marges de manœuvre.

“Pour certaines entreprises, certains postes sont devenus surpayés avec la forte indexation, poursuit Marie Parmentier. Mettre en place un budget salarial adéquat est devenu un vrai challenge aujourd’hui et cela complexifie le recrutement. J’ai eu des cas où les entreprises ont essayé de revenir à un niveau salarial qu’elles jugeaient plus conformes au poste. Autant dire que cela ne pousse pas les candidats qualifiés à bouger. Les entreprises, qui ont du mal à suivre cette indexation, se tournent alors plus fréquemment vers des juniors. Si, de nos jours, le salaire n’est plus l’élément discriminant, partir pour le même salaire demeure rare quand même. Et comme tout le monde a été indexé…”

Confort de vie

Nous l’avons vu dans nos éditions précédentes, le salaire n’est, de fait, plus l’élément discriminant dans un recrutement. L’équilibre vie privée-vie professionnelle, le bien-être au travail et la flexibilité sont des critères devenus essentiels.

“Ces critères justifient aussi le marché que nous vivons aujourd’hui, confirme Grégory Renardy. C’est un marché inédit que je n’ai jamais connu en 17 ans de métier. Ce n’est ni un marché de clients, ni un marché de candidats. Nous avons d’un côté des entreprises qui doutent et, de l’autre, un manque structurel de talents qui met les candidats en position de force. C’est donc une phase d’attente. Aujourd’hui, beaucoup d’entreprises ratent des recrutements car elles hésitent, traînent et donnent, de la sorte, l’impression au candidat qu’il n’est pas si désiré que cela. Alors, dans le doute, lui-même s’abstient. Tout doit être réuni. Prenons l’exemple du télétravail. En 2024, nombreuses sont les entreprises qui n’ont toujours pas défini des règles claires. Vous pensez que quelqu’un qui bénéfice de cette flexibilité et d’un confort de vie qu’il s’est construit après la pandémie va bouger pour une entreprise où il n’est pas certain d’être placé dans les mêmes conditions ?”

Chez Randstad, on ne ressent pas ce ralentissement et leur récente étude sur la mobilité des talents confirme le ressenti : 15 % des personnes interrogées ont changé d’employeur dans les six derniers mois et 20 % vont le faire dans les six suivants. Globalement, un tiers du marché a bougé ou va bouger prochainement. Une tendance met toutefois tout le monde d’accord : la hausse, massive, de l’interim management.

L’intérim est considéré comme le baromètre de la vitalité de notre ­économie.” – Sébastien Cosentino (Randstad)

“Le salaire demeure un élément important, explique Sébastien Cosentino. Il est arrivé en tête de notre étude salariale 23 fois sur 24. Seule exception : 2008, l’année de la crise des subprimes. Cette importance de la rémunération se marque aussi dans la démarche, de plus en plus nette, vers le freelancing et l’interim management. Des talents avec des compétences recherchées qu’ils soient manager ou pas proposent leurs services sur base de projets. Cette démarche offre une liberté de travail et de salaire. Les talents se monnayent alors selon leur propre appréciation. C’est très marqué pour les profils dérivés des formations STEM : ingénieurs, programmeurs, etc. Travailler sur projet est une tendance forte pour les métiers à haute valeur technique. Ce project sourcing permet aux entreprises de toucher des candidats qu’elles n’auraient jamais eu la chance d’acquérir via le salariat et un CDI. Pour le dire crûment, mieux vaut disposer d’un talent pendant six mois que de ne pas l’avoir du tout.”

La Belgique demeure un pays d’indépendants qui travaillent seuls ou qui, par la suite, montent leur PME. De nos jours, proposer ses services aux entreprises comme indépendant ou fournisseur a clairement le vent en poupe. La gig economy, que connaissent depuis longtemps les Etats-Unis, explose dans notre pays. C’est la conséquence de la raréfaction de nos talents. C’est aussi la conséquence des aspirations, différentes, des jeunes générations. Car, de nos jours, l’interim management n’est plus réservé à des experts d’un certain âge qui, à un moment de leur carrière, décident de changer de cap, de déployer leurs ailes et de voler de mission en mission.

“L’interim management est en plein essor chez Michael Page, conclut Grégory Renardy. Il apporte la flexibilité dont raffolent les entreprises et, oui comme le souligne Sébastien, leur apporte la main-d’œuvre qu’elles désirent ardemment. Ce qui change par rapport au temps passé, c’est la motivation de ces indépendants. Oui, ils peuvent se monnayer comme bon leur semble ou quasi. Mais la dimension bien-être est aujourd’hui présente. Voler de projet en projet et faire du zapping, cela plaît aux jeunes. Mais l’interim management leur permet de se mettre à temps partiel et, donc, de profiter de la vie. J’ai des candidats qui ne travaillent que trois jours par semaine. D’autres qui bossent comme des fous pendant trois mois pour ensuite s’arrêter aussi longtemps. C’est neuf et cela amène des profils différents sur un marché très prisé.”

L’autre avantage de l’interim management est plus insidieux. Ces talents ne dépendent pas des RH et n’émargent à aucun payroll puisqu’ils sont des fournisseurs externes. Pratique pour les entreprises ou les filiales de grands groupes auxquelles sont imposées des limites au recrutement ou un gel complet dudit recrutement…

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