L’employeur est-il libre de s’exprimer dans la langue de son choix?

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Théoriquement non. En Région flamande, par exemple, souhaiter la bonne année en français à ses travailleurs constitue une infraction pénale…

Récemment, l’emploi des langues est revenu sur le devant de la scène médiatique suite à une plainte déposée par un utilisateur de la SNCB auprès de la Commission permanente de contrôle linguistique. Celui-ci s’est plaint d’un “goeie morgen” doublé d’un “bonjour”… Une salutation exprimée en français et en néerlandais dans un train alors que celle-ci aurait dû être exprimée uniquement dans la seconde langue puisque le train se trouvait à Vilvorde, à savoir en Flandre… Une affaire qui a été épinglée en décembre en séance plénière de la Chambre.

Le droit du travail n’est pas épargné par les questions linguistiques, très politisées en Belgique. Dans le cadre des relations sociales vécues avec le travailleur, l’employeur peut, en effet, être confronté à l’obligation de s’exprimer dans une certaine langue, par opposition à d’autres, sous peine de sanction. Les textes légaux sont diffus.

Comment s’y retrouver ?

Il y a trois textes potentiellement applicables. Schématiquement (et grossièrement) :

1. Les lois du 18/07/1966 sur l’emploi des langues : applicables pour la Région Bruxelles-capitale, les communes à facilités et les communes de langue allemande (Eupen, La Calamine, Lontzen, Raeren, Amblève, Bullange, Butgenbach, Saint-Vith et Burg-Reuland).

À Bruxelles, l’usage du néerlandais est requis au personnel d’expression néerlandaise et le français au personnel d’expression française.
Pour les communes à facilités, selon qu’elles soient sises en Région flamande ou en Région wallonne, l’usage du néerlandais ou du français est requis.

Pour les communes de langue allemande, l’usage de l’allemand est requis.

Pour chaque langue imposée, la loi précise qu’une traduction dans une autre langue est autorisée, quand la composition du personnel le justifie.

2. Le décret flamand du 19/07/1973 : applicable en Région flamande, à l’exception des communes à facilités.

L’usage du néerlandais y est obligatoire. Le décret prévoit également qu’une traduction dans une autre langue est autorisée quand la composition du personnel le justifie.

3. Le décret francophone du 30/06/1982 : applicable en Région wallonne, à l’exception des communes à facilités et des communes de langue allemande.

L’usage du français est requis, sans préjudice, selon le décret, de l’usage d’une langue complémentaire choisie par les parties. Une traduction dans une autre langue est aussi autorisée.

Mais confronté à un cas précis, quel texte choisir parmi ces trois-là ?

En clair…

Le critère de distinction est le lieu du siège d’exploitation auquel le travailleur est rattaché. Attention : ce lieu n’est pas forcément le lieu de travail. Le siège d’exploitation renvoie au centre d’activité stable à partir duquel le travailleur noue les relations sociales avec son employeur (d’où partent les missions et instructions, en particulier).

Exemple : un travailleur commercial visite principalement une clientèle du côté de Charleroi pour un employeur dont le siège social est aux Pays-Bas et qui dispose d’un siège d’exploitation belge du côté d’Anvers. Le texte légal applicable est en principe le décret flamand vu le siège d’exploitation sis dans cette Région, peu importe que le travail soit principalement effectué dans le Hainaut !

La distinction n’est pas anodine car les textes prévoient notamment des champs d’application personnel et matériel différents. On notera particulièrement : les lois du 18/07/1966 visent exclusivement les entreprises industrielles, commerciales et financières ; elles excluent donc les ASBL et le secteur non marchand, par opposition aux deux autres décrets qui ne prévoient pas pareille exclusion.

Les deux décrets prévoient l’obligation de s’exprimer dans une certaine langue, y compris oralement, par opposition aux lois du 18/07/1966 qui ne visent que les échanges écrits.

Gare aux sanctions

L’intérêt pratique sans doute le plus impactant se situe au niveau des sanctions prévues par ces législations. Prenons, à titre illustratif, l’exemple d’un courrier de licenciement pour motif grave rédigé dans une autre langue que celle obligatoirement prévue par le texte applicable. Les lois du 18/07/1966 ne prévoient qu’une certaine obligation de remplacement du courrier avec effet rétroactif.

Concrètement, à Bruxelles, dans les communes à facilités et de langue allemande, l’employeur peut “se rattraper” en corrigeant le courrier envoyé dans une mauvaise langue en intégrant la bonne langue prévue. Il n’y aura, en principe, pas d’impact (en particulier quant au délai de trois jours propres au licenciement pour motif grave) vu que le remplacement a un effet rétroactif.

La sanction de nullité absolue peut s’appliquer à tous les textes de l’employeur transmis au travailleur.

Les décrets francophone et flamand prévoient en revanche une sanction de nullité absolue. L’employeur ne peut plus “se rattraper” car le courrier de motif grave rédigé dans la mauvaise langue sera considéré comme nul et inexistant. Sans même rentrer dans le fond de l’affaire, l’employeur sera déjà, en principe, redevable de l’indemnité compensatoire de préavis…

Prudence donc, car cette sanction de nullité absolue peut s’appliquer à tous les textes de l’employeur transmis au travailleur : contrats, car policy, courriers de prestation de préavis, notifications de sanction disciplinaire, système de bonus,…

Les textes prévoient quelques tempéraments et exceptions (notamment en Flandre pour des contrats à caractère transfrontalier), mais le principe de nullité absolue existe. Le praticien doit y être attentif.

ARNAUD VANGANSBEEK
Avocat chez LITISS Employment Lawcaption

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