Le nombre de malades de longue durée ne cesse d’augmenter: “Sans politique de prévention, la sécu deviendra impayable”

MALADIE DE LONGUE DURÉE – "Les gens ne savent plus vers qui se tourner." © Getty Images
Alain Mouton Journaliste chez Trends  

La Belgique compte plus de 500.000 malades de longue durée : un record ! Travailleurs, entreprises, médecins et caisses d’assurance maladie doivent travailler ensemble pour faire baisser ce chiffre. “La durée de l’arrêt de travail est cruciale dans l’approche”, estime Gretel Schrijvers, CEO de Mensura.

Il semblerait que le stress, le burn-out ainsi que les douleurs dorsales et cervicales perturbent de plus en plus le monde du travail. Au cours des cinq dernières années, la Belgique a enregistré une augmentation de 100.000 malades de longue durée. Alors qu’en 2017, un peu plus de 400.000 personnes étaient malades depuis plus d’un an, ce chiffre est passé à plus de 500.000 l’année dernière. Les troubles mentaux (37,54 %) et les maladies musculo-squelettiques et du tissu conjonctif (31,88 %) en sont les principales causes. Les trois quarts des malades de longue durée ont plus de 45 ans. C’est dans la tranche d’âge des plus de 55 ans que le nombre de malades de longue durée a le plus augmenté. Cela fait craindre aux partenaires sociaux et aux décideurs politiques que nombre d’entre eux soient définitivement exclus du marché du travail.

Une politique du marché du travail et des congés de maladie visant les malades de longue durée pourrait donc devenir l’un des fers de lance du prochain gouvernement fédéral. Sous l’impulsion du ministre de la Santé Frank Vandenbroucke (Vooruit), le gouvernement De Croo sortant a déjà pris des mesures. Depuis 2023, les entreprises comptant un nombre relativement important de salariés malades de longue durée sont soumises à des sanctions financières tandis que les malades de longue durée perdront 2,5 % de leurs indemnités s’ils refusent de coopérer pour un retour sur le lieu de travail.

De 8 à 13 milliards d’euros

Gretel Schrijvers, CEO de Mensura, le plus grand service externe de prévention et de protection au travail en Belgique, estime qu’il s’agit d’une bonne chose, mais qu’il faut aller beaucoup plus loin. Elle souligne la nécessité d’une politique multidirectionnelle avec une politique de prévention adaptée et une politique curative en cas de maladie. Mensura a une bonne vue d’ensemble de la situation, puisque chaque entreprise doit adhérer à un tel service de prévention et de protection sur le lieu de travail pour au moins un de ses employés.

Sans surprise, Mensura veut surtout se concentrer sur les mesures qui permettent d’éviter que le nombre de malades de longue durée ne s’accroisse encore. “D’un point de vue budgétaire, l’objectif doit être d’éviter que les coûts de la sécurité sociale n’augmentent davantage”, prévient Gretel Schrijvers. “Sans prévention, la sécurité sociale finira par devenir inabordable. L’année dernière, les malades de longue durée ont coûté huit milliards d’euros à la sécurité sociale, et depuis lors, nous nous dirigeons vers les dix milliards. Si les prévisions du Bureau du Plan, selon lesquelles le nombre de malades de longue durée dépassera les 600.000 en 2035, se réalisent, la facture s’élèvera à plus de 13 milliards d’euros.”

Et elle ajoute : “Cette tendance va également à l’encontre de l’objectif d’un taux d’emploi de 80 %. Il ne suffit pas de se concentrer uniquement sur l’activation des chômeurs. Le prochain gouvernement a besoin d’un changement radical dans la manière dont nous traitons la santé de la population active. La prévention figure en bonne place à l’ordre du jour, mais nous ne parvenons pas à stopper l’augmentation du nombre des maladies de longue durée. Et il est très difficile de ramener les Belges malades depuis longtemps sur le marché du travail. C’est le signe que nous ne faisons pas ce qu’il faut. Lorsque je regarde notre secteur, je constate que le cadre juridique étroit est un problème.”

Trop de tâches routinières

Selon Gretel Schrijvers, la loi sur le bien-être de 1996 doit être révisée car elle n’est plus adaptée aux besoins actuels du marché du travail. “Il y a beaucoup de règles strictes sur ce que les médecins du travail peuvent et ne peuvent pas faire. Aucun médecin spécialiste ne dispose d’une marge de manœuvre aussi réduite dans l’exercice de son métier. Dans le même temps, les médecins du travail doivent assumer de nombreuses tâches de routine qui pourraient tout aussi bien être effectuées par les infirmières du travail, comme les examens de base annuels ou semestriels obligatoires des travailleurs en bonne santé.”

Elle demande dès lors que la réforme envisage la manière dont d’autres profils peuvent être intégrés. “Par exemple, faire davantage appel à des psychologues du travail et à des ergonomes. Enfin, 30 % des malades de longue durée souffrent de troubles moteurs tels que des douleurs dorsales et des problèmes d’épaules. Les 30 % restants ont des problèmes psychosociaux”, précise Gretel Schrijvers.

Le cadre législatif doit être modifié pour que les médecins du travail, déjà peu nombreux, puissent être davantage impliqués dans la politique de bien-être et d’absentéisme de l’entreprise, indique Mensura. C’est d’ailleurs en partie à cause de cette limitation aux missions de routine que les services de prévention ne trouvent pas assez de médecins du travail.

Trois mois

Selon Gretel Schrijvers, la situation n’est toutefois pas si sombre. La CEO de Mensura souligne que des mesures ont été prises dans la bonne direction ces dernières années pour réduire le nombre de malades de longue durée, notamment par le biais de campagnes de sensibilisation au sein des entreprises. “Seulement, j’ai constaté une augmentation de la fragmentation, surtout en ce qui concerne les politiques de retour au travail”, observe-t-elle. “Il y a trop d’organismes et les gens ne savent pas à qui s’adresser.”

Une autre préoccupation est le facteur temps. Plus une personne reste longtemps sans emploi, plus sa réintégration sur le marché du travail devient difficile. C’est vrai pour les chômeurs, qui ont beaucoup de mal à réintégrer le marché du travail après un an et demi, mais c’est apparemment encore plus difficile pour les malades de longue durée. “Si quelqu’un est en arrêt de travail pendant trois mois, ses chances de retrouver un emploi sont réduites à 50 %. C’est très rapide”, explique Gretel Schrijvers.

“Le problème est que nous pensons trop souvent que le travail n’est pas autorisé ou possible tant que la guérison n’est pas totale. Alors que le travail peut aider une personne à se sentir mieux.” – Gretel Schrijvers (Mensura)

“La durée de l’arrêt de travail est donc un élément crucial dans l’approche. L’objectif devrait être de contacter un employé malade le plus tôt possible pour voir à partir de quand il est possible de le guider et de quelle manière, si nécessaire, il est faisable d’adapter le travail. Les infirmières et les psychologues d’entreprise peuvent y contribuer. Le problème est que nous pensons trop souvent que le travail n’est pas autorisé ou possible tant que la guérison n’est pas totale. Alors que le travail peut aider une personne à se sentir mieux et donc faire partie du processus de guérison. N’oubliez pas non plus l’impact positif des contacts sociaux.”

“J’ai moi-même dû subir une opération du dos il y a quelques mois, explique Gretel Schrijvers. Après quelques jours, j’ai quitté l’hôpital. On m’a immédiatement délivré un certificat d’incapacité de travail pour six semaines. Personne ne m’a demandé quel type de travail je faisais et s’il était possible de travailler à domicile. Nous créons un mauvais état d’esprit chez les gens. Une opération ou une maladie s’accompagne automatiquement d’une longue période d’invalidité totale. En fait, nous devrions nous éloigner de cela”.

8 milliards euros – Le coût des malades de longue durée en 2023 à la sécurité sociale.

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