“Le contact avec les collègues peut faire des miracles lorsque la charge de travail devient plus lourde”

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Depuis la crise sanitaire, les gens se sentent encore plus stressés qu’avant, observe Anneleen De Lille. Le stress sera toujours présent dans le travail, mais s’il devient trop envahissant, elle apprend aux travailleurs à y faire face. “En filtrant consciemment votre perception des choses positives, vous commencez à voir la journée sous un angle différent”, explique-t-elle.

Anneleen De Lille est psychothérapeute et coach. Durant ses ateliers et formations, elle entend les gens rêver d’une boîte mail vide et de longues soirées pour pouvoir faire plein de choses relaxantes. Son livre « Less Work, More Do » ne contient pas de solutions magiques pour y parvenir, mais des outils pour reprendre sa vie en main ainsi que le travail. “Je rencontre tellement de gens qui se sentent constamment pressés”, dit-elle. “Je leur demande alors à quel moment ils vont retrouver leur « flow », cet état de concentration très profond quand l’on est absorbé par une activité. Il s’avère que cela arrive très tôt ou très tard dans la journée, à des moments où le réseau de communication se tait. Tout cela s’est aggravé depuis le covid”.

Pourquoi ?

ANNELEEN DE LILLE. “Pendant la pandémie, le travail à domicile était la norme pour les employés de bureau. Les entreprises me disent qu’il est maintenant difficile de les ramener sur leur lieu de travail. Lors des confinements, le télétravail a parfaitement fonctionné pendant cinq jours, affirment ces employés. En conséquence, une énorme culture de réunions en ligne s’est développée. Mais le travail pratique qui en découle ne se fait plus au bureau pendant les heures de travail « traditionnelles », ce qui entraîne un stress chronique.

C’est ce qu’on appelle le “syndrome de la caverne”.

DE LILLE. “Ceux qui restent chez eux, dans leur caverne, ont moins de contacts avec leurs collègues. Or, ce lien peut faire des merveilles lorsque la charge de travail devient plus difficile à porter. Une équipe qui est soudée, qui se serre les coudes, peut en faire plus, car chacun sait qu’il peut compter sur les autres. Mais cette colle fonctionne moins bien lorsque vous êtes physiquement séparés. Vous avez besoin de ces discussions à la machine à café. C’est là aussi que l’on trouve des idées et que l’on découvre comment les autres s’en sortent.

Pour mieux résister au stress, il faut donc un équilibre entre les tâches qui donnent de l’énergie et celles qui en consomment. Qu’est-ce que cela vous apporte ? Les tâches fastidieuses doivent pourtant aussi être effectuées.

DE LILLE. “Vous pouvez agir sur l’état d’esprit avec lequel vous les abordez. Si vous êtes souvent en déplacement pour votre travail, vous perdrez forcément du temps dans les embouteillages. Mais ceux-ci ne disparaitront pas miraculeusement. C’est là que le surapprentissage est utile : ne considérez pas les embouteillages comme une perte de temps, mais comme des moments pour vous. Écoutez un podcast. Ou votre musique préférée. Ou utilisez le temps perdu au volant pour faire des exercices de respiration.

Fixer des limites est-il une compétence que nous devons améliorer ?

DE LILLE. “Récemment, j’ai eu un atelier avec une consultante qui avait des clients en Asie et en Amérique. De ce fait, elle était sur le qui-vive de très tôt le matin à très tard le soir, ce qui nuisait à sa santé. Pourtant, elle hésitait à abandonner des projets, par loyauté envers ses clients. Avec elle, je suis revenue à l’essentiel. Que veut un client ? Il veut de la qualité dans un certain délai. Si vous lui expliquez que vous ne pouvez plus le garantir, lui ai-je dit, ce client sera certainement prêt à vous aider à trouver une solution. Et cela a été le cas. Elle avait imaginé un problème trop grand. Indiquer des limites est une question de compétences en matière de communication”.

Cela correspond-il à ce que vous entendez par “stress lié au rôle” ?

DE LILLE. “Le stress lié au rôle, c’est ce que l’on ressent quand on spécule beaucoup sur ce que l’on attend de nous, mais sans en être sûr. Est-ce qu’il va de soi que c’est toujours vous qui établissez l’ordre du jour ou les rapports ? Faut-il répondre à toutes les demandes de réunion pour être un bon membre de l’équipe ? En posant cette question à vos collègues ou à votre supérieur, vous éviterez une pression supplémentaire. Nous surestimons généralement ce que l’on attend de nous”.

Se plaindre ne résout rien, disent les manuels et les coachs, car cela entraîne une spirale de négativité.

DE LILLE. “Il est permis de se plaindre. Cela soulage. Mais il ne faut pas s’y laisser prendre. Lorsque j’arrive dans une entreprise qui a une culture de se plaindre, je demande aux employés d’écrire toutes leurs doléances sur une grande feuille de papier. À côté, je mets une autre feuille sur laquelle ils peuvent inscrire ce qu’ils veulent à la place. Ensuite, je fais déchirer la première feuille et nous travaillons sur la feuille contenant les solutions et les étapes pour y parvenir. De cette façon, tout le monde dit adieu aux plaintes et se concentre sur les solutions”.

Et même les pleurnicheurs obstinés participent à cette démarche ?

DE LILLE. “Je suis formée à ce genre d’exercice, ce qui aide bien sûr. Mais surtout, n’oubliez pas ceci : si vous voulez aller vite, il faut aller particulièrement lentement. C’est une erreur commune de vouloir aider et d’apporter immédiatement la solution. Mais que se passe-t-il lorsque l’on pousse quelqu’un à avancer trop vite ? On se heurte à une résistance. Ou bien vous arrêtez de pousser et l’autre personne s’arrête de bouger – ce n’est pas ce que vous voulez non plus. Il faut donc trouver chacun son rythme. Ceux qui sont un peu craintifs face à un chat, doivent d’abord établir une relation de confiance avec le félin. Ceux qui sont déjà convaincus que quelque chose doit changer, vous pouvez les laisser réfléchir aux résultats possibles”.

Lorsque quelqu’un vous fait part de ses préoccupations, il se peut que vous ne trouvez pas immédiatement de bons conseils. Pourquoi ?

DE LILLE. “Parce que l’autre personne a peut-être juste envie de se défouler ou a besoin d’une confirmation. Si vous commencez tout de suite à proposer des solutions, vous risquez d’obtenir surtout des “oui, mais”. Posez plutôt des questions informatives : de qui s’agit-il ? Depuis combien de temps cela dure-t-il ? Exprimez votre reconnaissance à l’égard de l’autre personne. Cela permet d’atténuer son stress, ce qui rendra la personne plus ouverte aux suggestions. Et si vous faites des suggestions, faites-en plusieurs. Le fait de donner le choix à votre interlocuteur renforcera sa confiance en lui. S’il finit par trouver une autre solution que la vôtre, vous pouvez vous féliciter : vous avez fait du bon travail. Vous avez calmé votre interlocuteur et stimulé sa créativité”.

Vous pensez également que nous devrions demander à nos collègues ou aux membres de notre famille non pas “Comment s’est passée votre journée ? mais plutôt : “Quelle est la chose la plus agréable que vous ayez vécue aujourd’hui ?”

DE LILLE. “C’est parce que les gens, et surtout en période de stress, voient spontanément le négatif en premier. Notre cerveau de survie voit le danger partout. À l’époque préhistorique, si un animal sauvage apparaissait soudainement dans votre grotte, il valait mieux le voir comme une menace que comme une surprise divertissante.”

Mais nous ne vivons plus dans la savane depuis longtemps. Alors pourquoi conserver cette attitude ?

DE LILLE. “Exactement. C’est pourquoi il est bon d’apprendre à se concentrer sur le positif. Qu’est-ce qui s’est bien passé aujourd’hui ? Est-ce que quelqu’un vous a fait plaisir ou a eu un geste gentil aujourd’hui ? Lorsque j’anime des ateliers, je pose ces questions dès 9 heures du matin, ce qui me permet de voir immédiatement de quelle trempe est mon auditoire.

“En filtrant consciemment votre perception des choses positives, vous commencez à voir la journée sous un angle différent. Cela permet de sortir du mode stress. Cela a également un impact bénéfique sur notre croissance et notre développement personnels. La positivité fait appel aux parties du cerveau où résident la créativité et l’esprit de croissance. Mais il faut en cultiver l’habitude. Il n’est pas nécessaire de s’entraîner à remarquer les choses négatives, tout le monde peut très bien le faire.

Les nouvelles habitudes s’ancrent en récompensant le comportement et non le résultat. Comment puis-je comprendre cela ?

DE LILLE. “Beaucoup ne font sauter le bouchon de champagne que lorsqu’ils ont un beau résultat à fêter. Mais ce résultat est souvent loin dans le futur – ou dans les limbes. Il est donc plus sage de récompenser le comportement qui, s’il est maintenu, conduit à ce résultat. Il est plus efficace d’insérer un moment de célébration chaque fois que vous respectez votre programme d’exercices hebdomadaires que d’attendre d’avoir terminé cette course de 10 km. Cette récompense n’a pas besoin d’être spectaculaire : il peut s’agir d’un épisode de votre série préférée ou de finaliser la commande en ligne de ce qui se trouve depuis longtemps dans votre panier. De plus, ce moment de récompense vous aide à vous concentrer sur ce que vous faites déjà bien plutôt que sur ce que vous n’avez pas encore réussi à faire. Ce qui est également intéressant, c’est de faire profiter les autres de la récompense. Promettez à vos collègues d’amener des croissantsou, en privé, prévoyez une sortie avec votre partenaire. Ils vous encourageront à maintenir votre comportement”.

Vous semblez être une personne très structurée. Vous invitez vos lecteurs à faire des tableaux et des listes. Ce n’est pas l’apanage de tout le monde.

DE LILLE. “Je suis surprise par votre commentaire, car je ne suis pas une personne structurée de naissance. Mais je travaille avec les gens sur le changement, et cela signifie s’attaquer à des habitudes profondément ancrées. Créer un nouveau chemin dans un cerveau, et donc développer une nouvelle habitude, demande de la motivation. Et cette motivation ne vient qu’après une confrontation. Se contenter d’afficher de bonnes intentions sur Twitter, voilà qui n’engage en rien. Mais lorsque vous voyez noir sur blanc que vous accordez à votre famille une note de neuf sur dix en termes d’importance, et seulement trois sur dix en termes d’attention, les choses deviennent très calmes dans mon atelier, et ce n’est pas la première fois que je vois des larmes couler.

“Nous nous faisons énormément d’illusions. En ce qui me concerne, mettre de l’ordre dans mes comptes chaque trimestre me prend une journée entière. Jusqu’à ce que j’enregistre le temps que j’y consacre effectivement : je m’aperçois alors que je me trompais complètement. Lorsque l’on vit quelque chose uniquement dans sa tête, surtout si l’on est quelqu’un qui broie du noir, on l’amplifie de plus en plus. Cela crée un stress inutile. C’est pourquoi j’incite les gens à classer les questions relatives à la vie et au travail dans des colonnes et des tableaux”.

Vous avez affaire à des personnes en quête de sens. Trouvez-vous aussi ce qu’ils veulent vraiment dans la vie ?

DE LILLE. “Ma conviction est qu’il existe de multiples chemins vers le bonheur. J’ai fait des études de psychologie appliquée, j’aurais pu faire autre chose, et j’aurais pu y trouver autant de satisfaction. Les gens pensent souvent qu’il n’y a qu’un seul chemin vers le bonheur. Les médias sociaux ne font qu’en rajouter: ils nous renvoient l’image que l’on ne trouve le bonheur que lorsque tout est parfait. Mais certains choix sont faits et “la table reste” : on ne peut pas simplement changer ses cartes.

“Les clients qui espèrent que je les aiderai à découvrir le Saint Graal, j’essaie de tempérer leurs attentes, car tant qu’ils croiront que le Graal est caché quelque part, ils seront trompés. À l’instant, j’ai reçu dans ma boîte aux lettres une demande de “keynote de 45 minutes, de préférence dans l’après-midi, sur le thème : se débarrasser du stress”. Cela ne fonctionne pas comme ça, n’est-ce pas ? Il y aura toujours du stress dans un travail. Et vous ne pouvez certainement pas l’éliminer en trois quarts d’heure. Comment gérer le stress et les étapes pour y parvenir, voilà ce que je peux vous offrir.

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