Le groupe LDLC ravi d’être passé à la semaine de 4 jours

Illustration. © Getty Images
Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

Laurent de la Clergerie, patron du groupe français LDLC, a fait passer son entreprise à la semaine de quatre jours. Avec des résultats étonnants en termes de bien-être au travail mais aussi de rentabilité.

Le Bureau fédéral du Plan mène cette année une étude en collaboration avec l’Université de Gand. Ils suivront les entreprises qui introduisent, volontairement pendant six mois, la semaine de 4 jours avec réduction du temps de travail, sans perte de salaire. Il y a aujourd’hui 13 entreprises belges intéressées par l’expérience (mais les candidatures sont encore ouvertes jusqu’à la fin de ce mois de février). Lors d’un webinaire organisé sur ce thème, Laurent de la Clergerie,  le président du groupe français LDLC a témoigné de son expérience.  LDLC, entreprise spécialisée dans la vente de matériel informatique (en France mais aussi en Belgique), compte 1.000 employés et réalise 600 millions de chiffre d’affaires. Elle a introduit les quatre jours au début 2021.

Microsoft au Japon

Laurent de la Clergerie
Laurent de la Clergerie,  le président du groupe français LDLC. © Belga

L’histoire commence en 2019, quand Laurent de la Clergerie tombe sur  un  article relatant l’expérience de la semaine de quatre jours menée par Microsoft au Japon pendant l’été 2019. « L’article expliquait que Microsoft avait enregistré un  gain de productivité, un gain d’efficacité, des  gains sur l’énergie, la  consommation  de  papier,  etc.  Mais, pour l’anecdote, l’article se terminait en disant que Microsoft ne reproduirait pas l’expérience ».

Le président de LDLC  veut lui tenter l’aventure pour de bon. Mais est-ce que c’était réalisable ? « Du côté des collaborateurs, je n’avais aucun doute. Ils seraient heureux. Mais était-ce faisable pour l’entreprise ? Je me suis donc demandé quelles seraient les conséquences si demain je passais l’intégralité de l’entreprise aux quatre jours. » Il n’était pas question de répartir 35, 37 ou 39 heures sur quatre jours plutôt que cinq. Le patron de LDLC part donc de l’hypothèse d’une journée de 8 heures maximum, donc de 32 heures par semaine, avec maintien du salaire. En tenant compte des types de travail différents des personnes travaillant dans les boutiques, dans les entrepôts et dans les bureaux, Laurent de la Clergerie part de l’hypothèse que le surcroît d’embauches devrait faire augmenter la masse salariale de 5%.

Intelligence collective

La mesure est annoncée en juin 2020, en plein covid. « On s ‘est donné six mois pour la mettre en place. Les syndicats, le service juridique et les RH ont travaillé ensemble avec les équipes sur les nouveaux plannings », explique Laurent de la Clergerie. La difficulté évidemment est que chacun préfère prendre le vendredi, le lundi voire le mercredi plutôt qu’un autre jour. La solution trouvée pour que les clients et les fournisseurs ne se rendent pas compte du changement est de travailler en binôme. Une semaine sur deux, chacun peut choisir son jour de congé, l’autre semaine, non, de sorte que vu de l’extérieur, tout fonctionne normalement.

 « Au final, beaucoup d ‘équipes ont été surprises, poursuit Laurent de la Clergerie : cela a été plutôt simple de le mettre en place. Il y a eu une intelligence collective, une intelligence d ‘équipe pour y arriver et pour qu ‘à la fin, chacun soit content et content de son planning. Et le 25 janvier 2021, nous sommes passés à la semaine de quatre jours, du jour au lendemain. J’avais prévu de recruter, j’avais prévu un budget pour cela, mais les équipes ont dit, on part comme cela, et s’il faut recruter, on recrutera après. »

LDLC se lance donc. « Et je me rappelle très bien, un mois plus tard, j étais à mon bureau et je me suis dit : « waouh », je ne me rends pas compte que nous sommes passés aux quatre jours. Je ne vois pas la différence, s’étonne le patron français. La boîte fonctionne exactement comme avant. Il y avait une petite différence néanmoins, majeure : quand j ‘écrivais un mail en interne, une fois sur cinq, je recevais : «  je suis off aujourd ‘hui ». Alors si je vous parle de ce courriel, c’est parce qu’à mon sens, il était très important : il a appris, vu qu’il concerne absolument tout le monde dans le groupe, qu’on pouvait attendre une réponse  pendant24 heures ».

Sans stress

Et depuis trois ans, LDLC fonctionne donc sur cette nouvelle base. « La semaine de quatre jours que nous avons mise en place le premier jour, c’est ce que nous appliquons aujourd’hui, ajoute Laurent de la Clergerie. Et qu’avons-nous constaté : tout d’abord, que nous n’avons pas embauché. Cela va même plus loin. Très concrètement, nous étions pendant la période du covid et notre métier est de vendre du matériel informatique. Nous étions donc de ceux qui ont réalisé beaucoup de croissance – 40% –  pendant cette période. Nous avons donc géré ces 40 % de croissance sans une seule embauche. Là où j’avais imaginé que la semaine de 4 jours me coûterait à peu près 5 %, on peut considérer qu’elle m’a fait économiser 15 à 20 % d ’embauches. Nous n’avons pas eu recours à l’intérim, nous n’avons pas délocalisé quoi que ce soit. Et nous sommes donc beaucoup plus rentables qu’on aurait pu l’imaginer grâce à cette semaine de 4 jours. Et quand j ‘ai revu les salariés, un an plus tard, ils étaient tous heureux, épanouis, sans stress. Ces 40 % de travail en plus, ils ne les avaient pas faits sous la contrainte, ni en s’épuisant. Ils les avaient effectués de la façon la plus naturelle du monde. Et c’est là que l’on comprend beaucoup de choses,: quand vous avez trois jours de temps personnel, vous avez le temps de gérer votre vie personnelle, et quand vous êtes au travail, votre vie personnelle ne vous envahit pas la tête. Vous êtes plus efficace. Et c’est ce qui fait que cela dure dans le temps car ce n’est pas un gain monétaire ou ni un petit acquis social. C’est un changement de vie. »

Laurent de la Clergerie conclut : « J’ai parfois le sentiment que le moteur de notre société est complètement grippé, mais que personne ne veut l’admettre. Nous voulons le faire tourner plus vite, mais ce n’est pas possible. Les gens sont au maximum, ils sont sous une énorme charge mentale. Finalement, en revenant aux quatre jours, en laissant davantage de temps pour vivre, on dégrippe le système. On remet un peu d’huile dans un moteur et il se remet à tourner normalement. »

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