La congruence, qualité de l’année pour un CEO
Hire & Higher, le cabinet bruxellois d’”executive search”, vient de publier, avec l’aide d’une bonne dizaine de dirigeants belges représentatifs, un intéressant livre blanc sur les qualités dont les CEO et cadres supérieurs ont besoin pour relever les défis actuels. Authenticité, sérénité, conscience des enjeux, résilience et congruence reviennent le plus souvent.
À l’automne 2021, à la sortie de la pandémie, nous avions évoqué, en couverture du magazine, les caractéristiques attendues du CEO de demain. La flexibilité, le collaboratif, le télétravail omniprésent et le début de l’avènement du rôle crucial de la durabilité et de l’impact social nous avaient conduit à parler de la fin du leader alpha et de l’avènement du patron authentique, inspirant, facilitateur et capable d’accompagner le changement plutôt que de l’imposer.
Un peu plus de trois ans plus tard, Hire & Higher, le cabinet bruxellois d’executive search, s’est essayé au même exercice. Quelles sont les qualités attendues de nos dirigeants en 2025 dans un monde encore plus volatil avec ses incertitudes géopolitiques, économiques et environnementales ? Des qualités que Karin Becker, fondatrice et managing partner du cabinet, et Isabelle Thomas, partner, ont mis en relation avec la durabilité et la maturité de l’entreprise en termes d’ESG et leur intégration dans sa stratégie globale. Avec l’aide d’une bonne dizaine de dirigeants belges représentatifs et issus d’entreprises de tailles et secteurs variés et de maturité différente en termes de durabilité.
Depuis 2021, nous avons connu la guerre en Ukraine, l’inflation énergétique, la folle envolée des salaires, la guerre des talents, les pénuries de main-d’œuvre et sommes aujourd’hui à la veille de changements encore inconnus avec l’arrivée de Donald Trump à la présidence des États-Unis et le questionnement sur le calendrier de la transition énergétique. Il n’est donc pas étonnant de voir que les qualités requises ont évolué.
Lire aussi| Meet the CEO of the Future
Résilience et sérénité
Au cours d’interviews qualitatives et non formatées, les dirigeants ont évoqué une cinquantaine de qualités, certaines très proches les unes des autres. Six sortent clairement du lot. À côté de l’ouverture d’esprit, de la curiosité et de l’inclusion, c’est la résilience/sérénité qui arrive en tête. Soit la capacité à surmonter les crises et à maintenir un cap stable malgré l’incertitude. Un thème qui score haut dans les entreprises qui ont un indice de durabilité élevé.
“La panique n’a jamais apporté ni succès ni performance, sourit Michel Mersch, CEO de Nestlé Belgilux. Il faut rester serein et conscient des enjeux. Le contexte actuel fait que certains acteurs ont très bien compris ces enjeux et accélèrent sur un certain nombre de choses, dont l’ESG. D’autres, encore très nombreux hélas, font marche arrière et ralentissent les transformations nécessaires. C’est le contraire de la sérénité et le triomphe du court-termisme et des intérêts purement financiers. Chez Nestlé, nous nous sommes engagés dans la durabilité by design, soit la durabilité dans le quotidien par nature et par défaut. Tant au niveau humain qu’opérationnel. La Belgique est d’ailleurs à la pointe dans le groupe sur ce plan. Nous fûmes les premiers dans la catégorie à proposer une bouteille d’eau en PET 100% recyclé et nous fûmes tout autant les premiers à faire entrer nos capsules de café en plastiques et en aluminium dans un circuit de collecte et de recyclage national. Dans les sacs bleus de Fost Plus donc. Cette durabilité by design fait partie de notre stratégie et nous n’en dévions pas même quand cela secoue un peu.”
Autre qualité citée, cette conscience des enjeux est fondamentale dans les entreprises durablement matures. Elle permet d’anticiper les impacts à long terme et de bâtir des équipes résilientes et capables d’apporter de la prospérité même dans un environnement incertain. L’étude met aussi en rapport la résilience avec le thème de la robustesse développé par Olivier Hamant, un chercheur français en biologie et biophysique.
“Il s’inspire de la nature pour promouvoir un autre modèle de société, souligne Karine Becker. Olivier Hamant s’est rendu compte que la performance n’existe pas dans la nature mais qu’elle développe de la robustesse qui permet de garder une performance stable et bonne quels que soient les cycles. Le corps humain est plus performant à 40° C, mais c’est intenable à long terme, et donc nous évoluons à 37,2°. Ce concept de robustesse doit permettre aux entreprises de mieux résister aux chocs et aux crises. Quand ça va moins bien, on vire du personnel et quand cela repart, on n’a plus les forces vives pour repartir. C’est du court-termisme et il vaut donc mieux, dans cette optique, être robuste que performant. La sérénité, comme qualité essentielle, cela m’a surpris. Cela va à l’encontre de ce que l’on voit de nos jours avec des licenciements collectifs ou des actions pour faire plaisir à l’actionnaire. Mais elle est en phase avec la robustesse. Nous allons dans le mur avec nos sociétés capitalistes. Sérénité et robustesse vont sans doute aller de pair avec une décroissance prospère. Produire moins mais de meilleure qualité et consommer moins. Regardez les textiles à la Shein qu’on jette après les avoir portés deux fois. Il va falloir avoir le courage de faire les choses autrement.”
“Ce concept de robustesse m’a fait beaucoup réfléchir, renchérit Maud Larochette, CFO et HR director chez N-Side. Dans la nature qui ne cherche pas la performance pour la performance, tout finit par repousser. Un an de jachère fait du bien au sol et le rend plus fort sur le long terme. C’est à méditer au niveau des entreprises. Des contre-performances peuvent, de fait, nous rendre plus robustes. Nous aimons bien être tous alignés sur les objectifs et la façon de les atteindre. Avoir des collaborateurs avec d’autres façons de penser ou d’agir peut sembler moins efficace mais, suivant cette théorie, cela crée de la valeur au final. Cette robustesse permet de faire un lien avec la diversité.”
“Un an de jachère fait du bien au sol et le rend plus fort sur le long terme. C’est à méditer au niveau des entreprises.” – Maud Larochette, CFO et HR director chez N-Side
Alignement des valeurs
Sans surprise, l’étude évoque, dans les qualités principales, la manière de penser dans un écosystème et le collaboratif (collective solution solving). Dans un monde interdépendant, un dirigeant doit dépasser les silos organisationnels et adopter une vision holistique de sa fonction. Parallèlement, il doit impliquer activement les équipes et partager les responsabilités pour renforcer la cohésion interne et favoriser l’émergence de solutions innovantes.
Tout au long de l’étude, un mot revient comme un leitmotiv : la congruence, définie comme l’alignement entre les valeurs personnelles et l’action. Elle est nécessaire pour permettre aux équipes d’adhérer à un projet mais nécessite aussi du dirigeant qu’il se respecte lui-même. Être aligné avec ses valeurs dans une entreprise qu’on a créée semble couler de source, mais qu’en est-il quand on dirige une filiale d’un grand groupe international ?
“Je suis fondamentalement aligné avec les valeurs du groupe, confirme Michel Mersch. Cela fait tout de même 26 ans que je travaille chez Nestlé. Je ne pourrais pas vivre au sein d’une organisation dans laquelle je ne me retrouve pas. Mais je ne suis pas d’accord avec tout et je le fais savoir. Dernièrement, je me suis insurgé violemment contre certaines pratiques et la façon de les gérer en termes de communication. J’ai eu des contacts virulents avec mon chef au sujet de ces pratiques qui sont contraires aux valeurs du groupe.”
“Je ne pourrais pas vivre dans une organisation dans laquelle je ne me retrouve pas. Mais je ne suis pas d’accord avec tout et je le fais savoir.” – Michel Mersch, CEO de Nestlé Belgilux
“Un leader doit, de fait, être courageux, renchérit Maud Larochette. Quand on nous demande de faire des choses contraires à nos valeurs, il faut le dire et s’y opposer avec des arguments. Si on l’impose, chacun doit juger, en son âme et conscience, si c’est acceptable ou pas.”
Exemplarité
Faire montre de grandes valeurs, c’est essentiel. Encore faut-il parvenir à faire percoler ces valeurs et celles de l’entreprise au sein du personnel. Ce n’est pas toujours chose aisée et c’est un défi majeur vu, parfois, les résistances ou les vieux réflexes du court-termisme. “Pour cette percolation, il n’y a rien de mieux que l’exemplarité, souligne Michel Mersch. C’est d’ailleurs le plus gros défaut de nos politiciens aujourd’hui : ils ne sont pas exemplaires. Chez Nestlé, je suis souvent le premier à faire ce que je souhaiterais qu’on fasse. Cette exemplarité permet l’inspiration et pas l’imposition. Un leader doit convaincre, influencer et inspirer.”
“Chez N-Side, nous avons défini nos valeurs de façon collaborative, poursuit Maud Larochette. Je suis d’ailleurs certaine que la transparence n’en aurait pas fait partie sans ce processus. Ces valeurs, ce sont nos fils rouges, cela ne veut pas dire que nous sommes parfaits. Elles sont au centre de l’évaluation de la performance. Un employé qui a des résultats exceptionnels mais des agendas cachés ou qui ne fait pas montre de collaboration – une valeur essentielle – ne sera pas promu. Pareil dans le recrutement. Mes équipes et moi nous assurons du fit culturel du candidat (adéquation entre les valeurs de l’entreprise et le futur collaborateur, ndlr). C’est plus important que tout le reste. Les compétences s’affinent avec le temps, surtout dans un contexte de collaboration et de solidarité. Et ces valeurs, nous les trouvons partout où nous recrutons. Entre autres au Japon où, sur papier, ce n’était pas forcément gagné d’avance.”
Comme en 2021, l’authenticité continue à être plébiscitée. Elle est essentielle pour inspirer confiance et emporter le personnel dans l’histoire de l’entreprise. “Authentique et vulnérable, conclut Michel Mersch. Il n’y a pas de honte à reconnaître qu’on n’a pas réponse à tout ou qu’on a commis des erreurs. Bien réagir à ses erreurs est essentiel. Il ne faut surtout pas les nier car elles sont très instructives. Je pousse à cela en interne. Les collaborateurs ne doivent pas avoir peur d’évoquer publiquement leurs erreurs. On en tire des leçons essentielles. Dans une entreprise à la démarche entrepreneuriale comme chez Nestlé, on prend logiquement plus de risques. Les erreurs sont un aléa logique qu’il faut apprendre à bien gérer.”
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici