Ils représentent 20% de la population et sont atteints de troubles la plupart du temps invisibles aux yeux des autres. On les appelle les neurodivergents. Ils souffrent d’autisme, de troubles DYS, de trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité ou sont HPI. Une première journée belge leur a été consacrée pour une meilleure intégration sur nos lieux de travail.
Il y a trois ans, Audrey Carrafa et Moira Wrathall ont décidé de fonder Hypersens après une longue carrière dans le marketing et la stratégie d’entreprise. L’une a passé 17 ans chez Thalys, entre autres, comme corporate & strategic affairs director, l’autre a fait des passages remarqués chez IBA, NACS, Beci ou MediQuality. Hypersens vise à placer la neurodiversité au cœur de la stratégie des entreprises performantes et innovantes et ainsi valoriser la singularité cognitive au sein du collectif.
Neurodiversité ? Cette dénomination concerne les individus qui souffrent de troubles cognitifs et constituent environ 20% de la population. Ils présentent un haut potentiel intellectuel (HPI), sont autistes (syndrome d’Asperger) ou souffrent du trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDA/H), d’hypersensibilité (HSP) ou de troubles DYS (dyslexie, dyspraxie, dyscalculie…).
“Notre but est de permettre aux entreprises de chausser de nouvelles lunettes, souligne Audrey Carrafa, et leur permettre d’appréhender des difficultés invisibles. Il s’agit de faire attention à ce qui est déjà présent en entreprise. La neurodiversité apporte des bénéfices. Elle peut bousculer les habitudes et rendre les entreprises plus créatives et plus performantes. Il est désormais bien documenté que la diversité dans les équipes améliore la performance d’une entreprise.”
Une journée de sensibilisation
Il y a quelques jours, dans les locaux de Beci, la chambre de commerce de Bruxelles, Hypersens a organisé son premier Neurodiversity Experience Day. L’entreprise a convié des DRH, des responsables de diversité au sein des entreprises ou encore des consultants RH et coaches à venir écouter les témoignages et retours d’expérience d’experts, majoritairement français car chez nos voisins, grâce à l’impulsion donnée par le groupe Orange, le concept est en plein boom.
En Belgique, elle n’en est qu’à ses balbutiements. Pour ouvrir la séance, Josef Schovanec, que les auditeurs de La Première connaissent bien, s’est livré à un plaidoyer très intime. Docteur en philosophie, diplômé de Sciences-Po Paris et chercheur en sciences sociales, il parle 10 langues, mais est resté muet jusqu’à l’âge de six ans. Et pour cause, en plus d’être HPI, il souffre du syndrome d’Asperger.
“Les hommes ne sont ni égaux, ni identiques, sourit-il. Le QI inventé par le docteur Binet est un système fumeux et répugnant, comme si toutes les compétences humaines se situaient sur un seul axe avec une hiérarchie fixe. L’EI, l’intelligence émotionnelle, est bien plus importante. Il faudrait passer moins de temps à tenter de canaliser les enfants et se focaliser sur leurs dons et compétences. Quels qu’ils soient et quelle que soit la façon de les exprimer. Inclure les neurodivergents ne se fait pas par gentillesse, mais par rationalité. Il faut reconnaître leurs différences et compétences. Vous pouvez être aussi doué que vous voulez, vous n’êtes rien seul. Je raconte toujours l’histoire de l’Inspecteur Gadget, l’autiste le plus connu des enfants. S’il ne travaillait pas avec deux personnes différentes de lui, il ne survivrait pas au moindre épisode malgré son grand talent. Au bout de cinq ans, Gadget ne va pas dégadgetiser. Des gens comme lui, il faut les inclure avec intelligence dans les entreprises. Les hommes sont comme les diamants, ils ont de multiples facettes…”
Comme les cas de maladies mentales tel le burn-out, le dépistage des personnes neurodivergentes explose. En Belgique, il y a huit fois plus de diagnostics qu’il y a 20 ans. La porte d’entrée de ce dépistage, c’est la santé mentale.
“Le milieu du travail n’est pas forcément adapté pour les autistes, confie Marco Di Duca, psychologue et psychothérapeute spécialisé dans le syndrome d’Asperger. On peut supposer que les neurodivergents sont sur-représentés dans les malades belges de longue durée. La bonne question à se poser, c’est pourquoi ? Pourquoi de tels profils quittent une entreprise ? Travailler dans un open space bruyant ou assister à des réunions à 10 dans un endroit clos n’est pas simple pour ces gens-là. La question n’est pas que l’autiste, et toutes les qualités intellectuelles qu’on lui connaît, s’adapte au milieu de travail, mais qu’on lui offre un environnement qui lui permette de s’épanouir.”
Intelligence collective
L’inclusion intelligente de ces profils hors du commun rejoint la soif de sens exprimée par les salariés depuis la fin de la pandémie. Les process mis en place pour améliorer, soi-disant, la performance et la productivité brident l’innovation et la singularité. Tout standardiser n’est plus une démarche actuelle et la génération Z le rejette. Amener des neurodivergents dans une entreprise et laisser le personnel, quel qu’il soit, mieux exprimer sa singularité et ses compétences enrichit l’intelligence collective d’une entreprise avec des gains de créativité et de performance. Mieux mobiliser les ressources crée de la valeur et ce qui frappe quand on écoute les experts en neurodiversité, c’est une espèce d’altruisme. Car ce que l’on met en place pour des neurodivergents profite en réalité à tout le monde.
Laisser le personnel, quel qu’il soit, mieux exprimer sa singularité et ses compétences enrichit l’intelligence collective d’une entreprise avec des gains de créativité et de performance.
Chez Orange, en France, ce sont les salariés qui se sont emparés du sujet et ont créé des communautés centrées sur la neurodivergence et le partage des bonnes pratiques. Chez Microsoft France, sous l’impulsion de collectifs de salariés, des cafés ND ont vu le jour avec une thématique différente à chaque fois. Ils permettent à tout un chacun de s’exprimer.
“Nous avons la chance d’évoluer dans un secteur tech où la plupart des grosses boîtes ont été créées par des neurodivergents, sourit Philippe Trotin, accessibility lead chez Microsoft France. Notre Bill Gates en premier. Pour des raisons évidentes de talent, nous avons un programme de recrutement spécifique pour les autistes. Une interview de recrutement ne doit pas être un choc ou une cause de stress. Nous avons ainsi intégré des neurodivergents dans les équipes qui procèdent à ces recrutements. Je suis responsable diversité et membre des RH. Cela facilite le dialogue. Il n’est pas simple pour des neurodivergents de parler aux RH et de déclarer leur handicap qui serait passé inaperçu jusque là. Je suis neurodivergent moi-même. Je souffre de dysorthographie et sans une collègue qui relit tout, j’aurais envoyé des torchons à mes clients. L’IA va nous aider, nous les neurodivergents. Notre communauté chez Microsoft s’est emparée du sujet pour monter des projets concrets.”
Chez Microsoft France, la sensibilisation à la neurodiversité a abouti à l’interdiction d’imposer à un salarié d’aller dans une salle de réunion avec tout le monde. Dans le groupe Engie, la neurodiversité s’est invitée, comme un coup de massue, à l’occasion de l’index annuel des genres. Beaucoup de neurodivergents ne s’y retrouvaient pas et l’ont fait savoir. En fin de compte, cela n’a rien de surprenant vu le nombre de mathématiciens et ingénieurs que le groupe emploie. Ainsi, dans une filiale britannique, Engie a identifié les métiers dans lesquels les neurodivergents pourraient le mieux exprimer leurs talents ou se montrer les plus créatifs.
“Une directrice m’a raconté une histoire édifiante il n’y a pas longtemps, susurre Sarah Jane Horner, head of DEI, attraction & engagement chez Engie Europe. En repassant à son bureau un dimanche, elle a découvert un employé en plein travail. Il lui a avoué qu’il venait travailler tous les samedis et dimanches pour rattraper son travail. Car travailler en open space était, pour lui, un calvaire. Je suis bien consciente que pour les managers, gérer de tels profils n’est pas simple. Je suis partisane de sortir la neurodiversité de la DEI et d’en faire un sujet business plutôt que RH. Quand on parle de l’intérêt pour le business de tels talents, bizarrement, on capte l’attention de tout le monde. Pour rester au top, il faut, comme le disait si bien Josef Schovanec, aller chercher les talents là où nous n’allons jamais regarder. Ce lien RH-business nous a déjà permis de bien avancer. Même si nous n’en sommes qu’au début.”

Former les managers
Dans une intégration intelligente, le manager, déjà soumis à une forte pression de tous côtés, a évidemment un rôle crucial à jouer. Il est essentiel de lui donner du temps pour qu’il soit à l’écoute car, en fin de compte, il n’est pas question de faire plus pour certains mais, mieux pour tout le monde. Il n’en demeure pas moins, à l’instar de la gestion des besoins exprimés par les salariés depuis la pandémie, que tous les managers ne sont pas forcément équipés pour. Que faire ?
“Flexibiliser le travail des neurodivergents est évident et c’est une façon de l’introduire pour tout le monde.” – Aline Lemaire, consultante
“Un manager doit connaître son équipe et investir en elle, conclut Aline Lemaire, l’ancienne directrice marketing de Coca-Cola Benelux aujourd’hui reconvertie dans la consultance centrée sur le leadership et le développement personnel. Le leadership neuro-inclusif implique un accompagnement dans l’authentique avec une approche différenciée. Le monde volatil d’aujourd’hui suppose de faire table rase du passé, d’être agile et d’utiliser les talents autrement. Flexibiliser le travail des neurodivergents est évident et c’est une façon de l’introduire pour tout le monde. Si on encourage les gens à être bienveillants et à l’écoute des différences, la culture d’entreprise devient, de facto, bienveillante. Que faire des managers qui ont été promus pour d’autres raisons que leurs soft skills, disiez-vous ? Je me suis posé la question tout récemment. Tout ne doit pas reposer sur leurs épaules et il faut les accompagner, mais tout le monde n’est pas égal face à l’empathie, l’écoute ou le feedback. Parfois, je me dis que certains acceptent le job sans se rendre compte qu’ils n’en ont pas les compétences humaines.”
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