Depuis 10 ans, l’entreprise sociale DiversiCom facilite l’emploi des personnes en situation de handicap et conseille les entreprises. Soixante pour cent de ses candidats décrochent un contrat stable. Un impact sociétal et humain très important, mais aussi une démarche économique rentable pour les finances publiques.
Le saviez-vous ? Quinze pour cent de la population active se trouve en situation de handicap. Quatre-vingts pour cent de ces handicaps surviennent au cours de la vie et la même proportion vaut pour ceux qui sont invisibles aux yeux des autres. Sur le plan de l’emploi, la Belgique s’avère l’un des plus mauvais élèves de la classe européenne. Notre taux d’emploi de personnes en situation de handicap n’est que de 35%, là où la moyenne européenne frôle les 50%.
La faute à quoi ou à qui ? Des politiques éclatées entre le fédéral et les entités fédérées et un cadre légal faiblard. Le privé n’a aucune obligation d’engager des personnes en situation de handicap. Le public bien (3% au fédéral et dans les Régions et 2,5% dans les communes), mais il peine à remplir ses obligations. Accueillir une telle personne dans un service, l’y maintenir, lui octroyer du bien-être et un job adapté n’est pas chose aisée.
C’est le sens de la démarche lancée en 2015 par Marie-Laure Jonet quand elle a abandonné son emploi à la Commission européenne pour fonder l’ASBL DiversiCom.
Quatre piliers
L’entreprise sociale facilite l’emploi des personnes en situation de handicap dans les entreprises ordinaires (pas dans les ETA donc !) à Bruxelles. Son travail repose sur quatre piliers. D’abord, le jobcoaching de tels candidats, soit les accompagner à définir l’activité qui répond à leurs envies et besoins. Ensuite, le conseil aux entreprises désireuses de renforcer leur inclusion sans toujours savoir par quel bout s’y prendre. Troisièmement, accompagner candidat et employeur dans la mise et le maintien à l’emploi. Enfin, du lobbying pour faire changer les mentalités et faire évoluer le système belge très compliqué.
“Pour bien comprendre, la grande majorité des personnes en situation de handicap touchent le chômage, souligne Marie-Laure Jonet. Certains, en fonction de la gravité de leur handicap, ont, à la place, droit à l’allocation de remplacement de revenu décernée par le SPF Handicap. L’arbitrage du SPF pour déterminer qui est éligible ou pas est ressenti par beaucoup de ces personnes comme complexe, aléatoire et incertain. En outre, de nombreuses familles hésitent à se lancer dans le travail. Pourquoi ? Parce que si une personne en situation de handicap perd son job, elle n’est pas certaine du tout de récupérer l’allocation de remplacement…”
1.180 contrats
Début juin, DiversiCom a fêté, en grande pompe et en présence du roi Philippe, son 10e anniversaire. L’occasion de faire le point sur les résultats obtenus par une ASBL qui occupe aujourd’hui neuf personnes pour un budget annuel de 800.000 euros. Elle gagne sa vie via des subsides publics, des donations privées et les revenus de sa consultance en entreprise.
“En 10 ans, nous avons accompagné 536 candidats, plus de 300 entreprises et facilité la signature de 1.180 contrats de travail.”
“En 10 ans, nous avons accompagné 536 candidats, poursuit Marie-Laure Jonet. Environ 60% décrochent un travail. Nous avons facilité la signature de 1.180 contrats de travail et avons accompagné plus de 300 entreprises situées sur le territoire bruxellois. Chaque année, 50 nouveaux candidats et 30 entreprises font appel à nous.”
Impossible de citer toutes les entreprises, mais on y retrouve de très grands noms tels qu’Inditex, Infrabel, Pluxee, Axa, Partenamut, la BNB, Eurostar, Orange, etc. À l’occasion de ce 10e anniversaire, DiversiCom a demandé à BNP Paribas Fortis de réaliser une étude d’impact sociétal. La banque a volontiers accepté le job pro bono. Auprès des candidats, l’ASBL décroche un NPS (Net Promotor Score, score de fidélité basé sur les recommandations) de 75.
Auprès des entreprises, ce score grimpe à 82. DiversiCom obtient des scores staliniens de satisfaction auprès des employeurs tant pour la rédaction d’un plan d’action lié au handicap, la sensibilisation du personnel, la formation des équipes RH et des managers et le coaching ponctuel en faveur du maintien de l’emploi (entre 94 et 100% !). Le matching, soit la recherche et la présentation de candidats, est un poil moins plébiscité (entre 86 et 95% de satisfaits).
31.000 euros annuels
DiversiCom a aussi demandé une étude d’impact financier à Bain & Company (pro bono aussi !). Elle démontre que la mise à l’emploi des personnes en situation de handicap n’est pas uniquement une question d’inclusion ou une démarche humaine essentielle, c’est aussi une affaire économique qui a du sens. Le cabinet international de conseil en stratégie et management a ainsi calculé que chaque mise à l’emploi réalisée par l’ASBL a permis aux finances publiques de réaliser 31.000 euros d’économies annuellement.
Ce calcul tient compte des coûts évités (allocations de chômage, allocations de remplacement de revenus), des nouvelles recettes (cotisations ONSS, taux d’épargne, TVA de 21% car une personne à l’emploi gagne mieux sa vie et consomme plus, taxe communale, etc.) et des aides octroyées à l’entreprise accueillante (aides à l’emploi sous la forme, pour simplifier, des primes d’insertion et de la Prime Activa d’Actiris). En 10 ans, l’État, au sens large, a économisé 19.713.207 euros, soit quasiment neuf fois plus que les subsides distribués.
Une belle réussite qui pourrait avoir bientôt des suites en Wallonie. En attendant, DiversiCom entend continuer à faire des appels du pied au politique pour simplifier les démarches administratives et définir un cadre légal plus strict pour les entreprises et institutions publiques. Elle s’inquiète aussi du climat politique ambiant ou de la limitation des allocations de chômage.
En moyenne, il faut trois ans pour stabiliser de telles personnes dans un emploi
“L’absence de gouvernement bruxellois retarde de nombreuses décisions, soupire Marie-Laure Jonet. Ainsi, un transfert de compétences sur les aides et primes à l’emploi entre le communautaire bruxellois et la Région via Actiris, annoncé depuis trois ans, reste en suspens. Cela jette de l’incertitude sur notre travail tant que ces choses ne sont pas réglées. Je suis tout aussi inquiète de la limitation des allocations de chômage à deux ans. Je demande au gouvernement fédéral et au ministre Clarinval un traitement différencié pour les personnes en situation de handicap.
Pourquoi ? Parce qu’en moyenne, il faut trois ans pour stabiliser de telles personnes dans un emploi. Après le coaching et un stage découverte, la plupart de nos candidats signent un contrat d’adaptation professionnelle. Il est subsidié par le Phare, émanation de la Cocof. L’institution émet le contrat et compense, en plus de l’euro par heure payé par l’entreprise, la différence entre le chômage et le revenu barémique minimal. Perdre le chômage au bout de deux ans serait donc une catastrophe.”