Est-il trop difficile de licencier quelqu’un en Belgique?
Il existe dans notre pays 26 règles sur lesquelles les salariés peuvent s’appuyer pour se défendre contre un licenciement. Quelles sont ces règles et sur quoi s’appuient-elles ? Le professeur Alexander De Becker (UGent), le directeur d’Unizo Danny Van Assche et Filip Tilleman, un avocat spécialisé dans le droit du travail nous donne quelques éléments de réponse.
Selon l’Unizo, la fédération des PME et indépendants en Flandre, il y a trop de règles trop compliquées qui encadrent les licenciements dans notre pays. La Belgique souffre-t-elle vraiment d’une “réglementarite” aigue ? Réponse en trois points.
1/ “Il est trop compliqué et trop coûteux pour les employeurs de licencier des employés qui ne sont pas performants, ce qui peut entraîner une baisse de la productivité et une culture du travail négative”
DANNY VAN ASSCHE. “Surtout dans le climat actuel, avec un marché du travail tendu, il est important de souligner que les employeurs, en particulier les PME, ne licencient pas pour le plaisir. Ce n’est jamais la raison. Le licenciement est toujours une décision difficile et personnelle, avec des raisons valables telles que le dysfonctionnement, l’opposition, une mauvaise dynamique de groupe ou la nécessité économique. Toutefois, ces dernières années, les règles relatives au licenciement sont devenues plus strictes et plus complexes, tandis que les coûts restent élevés, ce qui fait peser une lourde charge sur les PME.
“La Belgique est l’un des pays les plus chers et les plus réglementés en termes de coûts de licenciement et de délais de préavis, ce qui conduit à des situations où les entreprises ne peuvent pas licencier leurs employés sans risquer des problèmes financiers. Le fait que des personnes ayant beaucoup d’ancienneté obtiennent des délais de préavis de 17 à 22 mois est pour beaucoup d’employeur – surtout pour une PME – une pilule très difficile à avaler. Unizo propose donc d’introduire un délai de préavis maximum de 52 semaines pour rendre le système plus simple et plus praticable”.
ALEXANDER DE BECKER. “Bien que le licenciement puisse être coûteux, en fonction de la protection contre le licenciement, la procédure elle-même n’est pas compliquée. Si je dis que vous êtes licencié, vous êtes licencié. La difficulté est d’éviter des coûts élevés en suivant des procédures appropriées et en rendant des comptes. Le problème se pose surtout lorsque les employeurs décident d’ignorer ces règles. C’est souvent cela qui entraîne des coûts plus élevés”.
PHILIP TILLEMAN. “On pense à tort que les employeurs aiment licencier. Pour eux, le licenciement est aussi une source de stress et un échec. Outre l’aspect émotionnel, la procédure de licenciement est coûteuse et administrativement lourde pour les employeurs. La loi détermine la durée de la période de préavis ou de l’indemnité de licenciement, l’employeur pouvant choisir entre un licenciement immédiat avec indemnité ou une période de préavis. Le montant de l’indemnité de licenciement est fixé par la loi en fonction de l’ancienneté du travailleur, ce qui réduit les discussions mais pas les coûts. La Convention collective du travail n° 109 joue un rôle crucial à cet égard : elle stipule qu’un ancien employé peut exiger un motif de licenciement détaillé et motivé. Si les motifs ne sont pas convaincants, le tribunal du travail peut condamner l’employeur à payer une indemnité supplémentaire de 3 à 17 semaines de salaire. Cela oblige les employeurs à tout documenter méticuleusement, ce qui peut nuire au lieu de travail et affecter négativement la productivité”.
“La CCT 109 offre une protection contre les licenciements manifestement déraisonnables, tandis que les élections sociales offrent des protections strictes aux travailleurs syndiqués. Le licenciement d’un travailleur élu peut entraîner six à huit ans de charges salariales, à moins qu’une raison urgente ne soit reconnue par le tribunal du travail. Ce système est nécessaire pour protéger l’activité syndicale, bien que les excès, tels que les protections pour les candidats non élus, puissent être excessifs”.
DE BECKER. “Les représentants du personnel constituent une catégorie spécifique bénéficiant d’une protection très étendue contre le licenciement. Les licenciements sont soumis à l’approbation préalable du tribunal, que ce soit pour des raisons urgentes, économiques ou techniques. En cas de licenciement, cela peut entraîner des dommages-intérêts importants, de deux à quatre années de salaire. Ils bénéficient donc de très fortes protections contre le licenciement.
Quelles nouvelles protections ont été ajoutées au cours de la dernière législature ?
TILLEMAN. “La CCT n° 161 étend la protection aux travailleurs ayant des contrats temporaires qui demandent des contrats permanents, ce qui est considéré comme une avancée considérable. La protection des travailleuses enceintes est incontestable, mais l’extension aux travailleuses qui suivent un traitement de fertilité soulève des questions sur les limites de ces protections.
“La discrimination en matière de licenciement est strictement contrôlée. La discrimination directe entraîne des coûts supplémentaires et une publicité négative. La discrimination indirecte, où des conséquences involontaires conduisent à la discrimination, est un problème complexe, comme le montrent des exemples du monde anglo-saxon, où des postes techniques vacants ont exclu par inadvertance des patients épileptiques, ce qui a conduit à des dilemmes juridiques et éthiques.
“Le risque constant de plaintes pour licenciement oblige les employeurs à tout documenter méticuleusement, ce qui peut nuire au lieu de travail. Les nouvelles protections doivent trouver un équilibre entre le réalisme et la prévention des abus. Des règles trop strictes peuvent conduire à une culture de méfiance et à des mesures disciplinaires. Le tribunal du travail joue un rôle crucial en corrigeant les excès et en garantissant une évaluation rapide et équitable. Les défis liés à la maladie, à l’épuisement professionnel et à la dépression exigent du réalisme et de la responsabilité de la part des médecins et des employés, afin que le lieu de travail reste équitable et fonctionnel.
Au début de cette année, un employeur a dû verser trois indemnités de protection correspondant à six mois de salaire brut chacune, en plus de l’indemnité de licenciement. La salariée enceinte a fait valoir à juste titre qu’elle avait été licenciée en raison de sa grossesse, de son sexe et de son état de santé en tant que femme enceinte. Vous comprenez l’intérêt de limiter les cumuls ?
DE BECKER. “Les salariés licenciés ne peuvent généralement pas cumuler différentes indemnités de licenciement sans limitation. Par exemple, un licenciement manifestement déraisonnable ne peut être cumulé avec la protection contre le licenciement pour cause de maladie. Parmi les plus de 25 protections contre le licenciement, beaucoup ne sont explicitement pas cumulables. Dans certains cas, il est possible de passer entre les mailles du filet, mais la plupart du temps, le cumul n’est pas autorisé”.
2/ “Les petites et moyennes entreprises (PME) sont touchées de manière disproportionnée par des règles de licenciement strictes, ce qui réduit leurs chances de survie et entrave leur croissance”
VAN ASSCHE. “Les PME sont durement touchées par les règles de licenciement, non pas parce qu’elles sont plus strictes pour elles que pour les autres entreprises, mais parce qu’elles sont moins bien équipées pour y faire face. Un entrepreneur de PME remplit souvent plusieurs rôles dans l’entreprise et ne peut pas toujours faire appel immédiatement à des services internes spécialisés. Cela augmente le risque d’erreurs, qui sont sanctionnées sans pitié dans le système actuel.
“Un employeur de PME doit constituer un dossier en cas de licenciement et être en mesure de prouver qu’un processus a été suivi avec l’employé. Cela se fait souvent de manière informelle dans les petites entreprises, ce qui peut entraîner des indemnités de licenciement supplémentaires si cela n’est pas fait correctement. En outre, il existe 26 raisons différentes pour lesquelles un salarié peut être protégé. Si un employeur ne les prend pas en compte et ne peut pas prouver de manière suffisante que le licenciement était motivé par une autre raison, il s’expose à une amende de six mois”.
DE BECKER. “Bien que la pression sur les PME se soit quelque peu relâchée avec le raccourcissement des périodes de préavis et la réduction des indemnités de licenciement, le défi reste de se tenir au courant des nombreuses protections en matière de licenciement. Cette complexité fait qu’il est difficile pour les PME de connaître toutes les règles existantes en matière de licenciement et de les appliquer correctement sans l’aide d’un conseiller juridique professionnel.
3/ “Les investisseurs internationaux sont découragés par la complexité des règles de licenciement en Belgique, ce qui entrave la croissance économique et la création de nouveaux emplois”
VAN ASSCHE. “Nous travaillons avec des entreprises internationales et les investisseurs néerlandais nous parlent souvent de l’énorme fardeau réglementaire qui pèse sur la Belgique. Il ne s’agit pas seulement de règles de licenciement complexes, mais de la pression réglementaire en général. Les PME, en particulier, sont confrontées à l’incertitude juridique qui en résulte, car il y a toujours une règle à laquelle elles ne se conforment pas entièrement.
“Les entreprises envisagent donc plus souvent de travailler avec du personnel intérimaire ou des free-lances pour contourner ces règles, bien que cela soit plus coûteux que des employés permanents. Toutefois, cela réduit le risque de problèmes en cas de licenciement. Nous pensons que les free-lances et les travailleurs intérimaires doivent être utilisés lorsque cela est nécessaire, mais que les travailleurs permanents doivent également être une option viable. Pour ce faire, il faut réduire la charge réglementaire et réformer les règles de licenciement”.
DE BECKER. “Les règles de licenciement en Belgique ne sont pas plus complexes que dans de nombreux autres pays et sont même parfois plus simples, comme le montre la comparaison avec les Pays-Bas, où l’autorisation préalable du tribunal est nécessaire pour procéder au licenciement. De nombreuses règles de licenciement en Belgique sont basées sur des réglementations européennes et ne sont pas significativement plus strictes ou plus complexes qu’ailleurs en Europe. L’idée que les investisseurs internationaux sont dissuadés par les règles belges est donc trompeuse, car ces règles ne sont pas plus strictes ou plus complexes qu’ailleurs en Europe.
Les 26 protections contre le licenciement
- Membre du comité d’entreprise ou Comité pour la prévention et la protection au travail (CPPT) : membres effectifs ou suppléants.
- Candidat aux élections sociales : Protection des candidats.
- Délégué syndical : Protection des délégués syndicaux.
- Aménagement du temps de travail : demande d’aménagement du temps de travail.
- Conditions de travail plus prévisibles : Demandes telles qu’un contrat à temps plein ou un horaire fixe.
- Interruption de carrière : complète ou partielle.
- Crédit d’heures : Utilisation du crédit-temps.
- Congé thématique : congé parental, congé palliatif, congé pour soins informels.
- Grossesse et allaitement : protection pendant la grossesse et les pauses d’allaitement.
- Congé de naissance : Anciennement congé de paternité.
- Congé de naissance en cas de décès ou d’hospitalisation de la mère : protection supplémentaire.
- Congé d’adoption : Congé en cas d’adoption.
- Congé pour soins : Congé pour s’occuper d’un membre de la famille gravement malade.
- Congé d’études : Congé éducatif rémunéré et congé éducatif flamand.
- Semaine de travail de quatre jours : semaine de travail de quatre jours à temps plein et régime de la semaine alternée.
- Sonneur d’alerte : protection des sonneurs d’alerte
- Obligations militaires : Obligations liées au service militaire.
- Clause de stabilité : accord temporaire de non-licenciement.
- Mandat politique : candidature ou exécution d’un mandat politique.
- Enquête sur la violence et le harcèlement : demandes sans discrimination, y compris pour les témoins.
- Conseiller en prévention : Protection des conseillers en prévention.
- Plainte pour discrimination/comportement sexuel : protection des plaignants et des témoins.
- Modification de l’horaire de travail : passage de l’équipe de nuit à l’équipe de jour.
- Commentaires sur la réglementation du travail : Formulation de commentaires sur les modifications.
- Déchets toxiques : Responsabilité en matière de déchets toxiques.
- Coordinateur environnemental : coordinateur chargé de préparer les rapports sur l’impact environnemental.
Par Laurens Bouckaert
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