La pointeuse n’offre aucune protection. C’est de la régression, déguisée en protection.
À partir de 2027, les entreprises belges devront à nouveau faire ce que nous pensions que le progrès nous avait enfin désappris. Tout le monde devra à nouveau pointer à l’entrée, pointer à la sortie et réduire sa journée de travail à une série d’horodatages numériques. Alors que le monde continue inexorablement de tourner et que nous sommes dépassés de toutes parts par des économies qui prennent au sérieux l’innovation et l’entrepreneuriat, l’Europe parvient à avoir le mauvais réflexe. Et la Belgique, bien sûr, surpasse ce mauvais réflexe. Édicter des règles, encore plus de règles, avec un zèle pour lequel le mot “fanatique” est presque un euphémisme.
Les arguments avec lesquels on vend la réanimation de la pointeuse sont des excuses boiteuses. Protection du travailleur. Protection contre les heures supplémentaires. Protection contre le profitariat. Protection contre soi-même, semble-t-il. Et bien qu’il y ait des préoccupations légitimes et des abus, pourquoi recourons-nous toujours aux mécanismes de contrôle et à encore plus de bureaucratie ? C’est hilarant, ou ça le serait, si ce n’était pas si tragique. Est-ce le mieux que nous puissions imaginer en Europe ? Un système bureaucratique d’horodatages, comme si le travailleur allait être sauvé par un chronomètre numérique, et en plus être motivé et heureux.
Ne pouvons-nous vraiment pas trouver une solution moderne qui profite aux gens ET à l’économie ? Les décideurs politiques n’ont-ils vraiment que le contrôle et les règles administratives dans leur arsenal ? Nous pouvons entraîner l’intelligence artificielle à reconnaître des tumeurs malignes et nous pouvons automatiser des entrepôts complets, mais LA grande innovation en matière de politique du travail, c’est de réintroduire la pointeuse. C’est comme si nous résolvions l’addiction au défilement des gens en donnant à tout le monde un Nokia de 1999 pour leur propre bien-être.
Alors que les entrepreneurs crient depuis des années que l’Europe doit urgemment arrêter d’étouffer et enfin faire de la place pour l’innovation, la flexibilité et l’autonomie, on nous propose une mesure qui semble sortir tout droit de la révolution industrielle. On voit presque l’atelier devant soi et on entend la cloche qui annonce la pause. Une file de gens se rassemble docilement près de la pointeuse. La différence, c’est que nous le faisons maintenant numériquement, ce que nous devrions trouver moderne. Mais c’est pour les gens, hein !
Devons-nous vraiment toujours nous rabattre sur des méthodes qui étaient déjà dépassées quand le fax était encore populaire ?
Et j’ai vraiment cru pendant un instant que j’étais tombé dans un épisode de “Het eiland” (L’île – Het eiland” est une émission satirique belge flamande qui parodie la bureaucratie absurde). Le genre d’absurdisme hallucinant où quelqu’un explique avec un visage impassible que “c’est comme ça que ça doit être” et que “les procédures créent de la clarté”. Mais contrairement à “Het eiland“, c’est bien l’économie réelle qui est affectée ici. De vraies entreprises sont ralenties, et de vrais travailleurs ET employeurs sont présentés comme des abuseurs potentiels.
Pendant ce temps, Cal Newport prouve avec “slow productivity” que tous les modèles de productivité que nous continuons à copier du XIXe siècle nous ont déjà freinés au XXe siècle, sans parler d’aujourd’hui. La productivité moderne exige l’autonomie, la créativité, la concentration, la flexibilité et beaucoup moins de micro-gestion. Mais personne ne semble se demander comment nous pouvons organiser cela plus intelligemment, plus humainement, de manière plus créative et stimulante. Devons-nous vraiment toujours nous rabattre sur des méthodes qui étaient déjà dépassées quand le fax était encore populaire ?
Le plus amer, c’est que personne n’en sort gagnant. Quelqu’un a-t-il déjà été motivé par un contrôle continu ? Une entreprise a-t-elle déjà connu une forte croissance en introduisant plus d’administration et de règles ? Une économie a-t-elle déjà prospéré sous le poids de la bureaucratie ?
La pointeuse n’offre aucune protection. C’est de la régression, déguisée en protection. Une mesure qui montre jusqu’où nous sommes parfois prêts à reculer, dès que nous avons le sentiment de ne plus être en phase avec le monde. C’est hallucinant et malheureusement pas un épisode de “Het eiland” dont on pourrait rire avant de reprendre notre vie.
Leslie Cottenjé, ancienne dirigeante de Codit Belgium et cofondatrice de Hello Customer. 20 ans d’expérience dans l’industrie technologique.