Comment échapper aux pièges à l’emploi ?

Comment, notamment, inciter les mamans seules à sauter le pas du travail? © Getty Images
Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

Ci-dessous, trois pistes proposées par l’économiste Philippe Defeyt pour tenter d’éviter les pièges à l’emploi. Tout en retenant que l’écart entre salaire et allocation est souvent plus élevé qu’on ne croit.    

Depuis ce mois de novembre, le revenu d’intégration (RIS) est majoré. Désormais, une personne avec charge de famille percevra 1.707,11 euros par mois. Cette revalorisation a suscité des réactions. Le député N-VA Theo Francken note qu’en cumulant les allocations, le tarif social, les avantages dans les soins de santé, les transports en commun,voire l’attribution d’un logement social, « ce sont les imbéciles qui travaillent » (sic).

« Si l’on estime que quelqu’un vit une situation de piège à l’emploi, qu’il gagne moins à travailler qu’à ne pas travailler, il faut le montrer, réagit l’économiste Philippe Defeyt. Il faut éviter le ‘syndrome de la femme du notaire’, poursuit-il : quelqu’un, un jour, a entendu dire qu’on avait vu une femme de notaire aller toucher des allocations de chômage en descendant de sa grosse voiture… On ne construit pas une politique sociale et une réflexion politique avec ce genre d’anecdotes.”

“Dans les analyses, poursuit-il, il faut réfléchir en termes de niveau de vie du ménage, ce qui tient compte de la totalité des impacts de la (re)mise à l’emploi, et pas seulement en revenus nets.” Problème : « Il y a tellement de paramètres dans notre fouillis social et salarial que c’est souvent indéterminable».

1. Déblayer ce fouillis

La première piste consiste donc à clarifier ce fouillis. On compare bien souvent l’allocation (de chômage, d’invalidité, d’insertion) mensuelle avec le salaire mensuel, sans prendre en compte qu’en deçà du salaire mensuel, il y a un pécule de vacances et un 13e mois. Philippe Defeyt avait estimé l’an dernier qu’un travailleur isolé percevant un salaire mensuel brut de 3.045 euros touchait 2.045 euros nets. S’il avait été au chômage, il aurait reçu une allocation de 1.845 euros.

Vu comme cela, l’écart mensuel n’est que de 200 euros et nous pourrions dire qu’avec les frais de déplacements ou les frais de garde d’enfants engagés pour aller travailler, nous serions déjà face à un piège à l’emploi. Mais si nous ajoutons au salaire le pécule de vacances et le 13e mois et que l’on divise par 12, le salarié touche alors 2.282 euros nets par mois, ce qui porte l’écart entre chômage et travail à 437 euros par mois. Cela devient substantiel. Et si nous ajoutons éventuellement des chèques repas, une participation au deuxième pilier des pensions, une assurance hospitalisation, une prise en charge des frais de déplacement, etc., le fossé se creuse encore davantage.

Ce calcul en douzièmes est déjà un premier pas. Pour renforcer encore la comparabilité, il faudrait aussi améliorer le calcul et la perception du précompte sur les allocations et les salaires. « Nous avons un système moyenâgeux : le précompte sur les allocations de chômage est fixé à 10%. Nous sommes dans un système où, dans certains cas, on demande un précompte à des gens qui ont des tout petits revenus. Ils avancent donc de l’argent au Trésor et ne seront remboursés qu’un an plus tard. »

Un meilleur calcul du précompte, et un système permettant de comparer les salaires et les avantages complémentaires mensuels, clarifie la prise de décision. « C’est pour moi la mesure centrale », souligne Philippe Defeyt. Mais d’autres mesures peuvent aussi clarifier le débat.

2. Eviter l’effet de seuil

On peut ainsi, deuxième piste, essayer d’éviter que ceux qui bénéficient d’allocations perdent des avantages quand ils trouvent un emploi parce qu’ils dépassent alors un seuil. « Aujourd’hui, la principale aide qui concerne les petits revenus est le tarif social », rappelle Philippe Defeyt. Ce tarif est appliqué entre autres aux bénéficiaires du revenu d’insertion ou de la garantie d’aide aux personnes âgées. Il avait aussi été étendu temporairement, lors de la crise énergétique, jusqu’en juillet, aux statuts BIM (bénéficiaires d’intervention majorée), mais il ne fallait pas avoir un revenu annuel dépassant, grosso modo, 23.000 euros bruts imposables.

En trouvant un travail et en dépassant ce seuil, on perd ces avantages qui peuvent se traduire par une augmentation de la facture énergétique de plusieurs centaines d’euros par mois. « Il faut remplacer ce système par une mesure générale, observe Philippe Defeyt. Par exemple, pour l’électricité en tout cas, avoir un tarif réduit pour les 1.000 premiers KWh, et payer plus cher le reste. Un tel système a l’immense avantage que quelqu’un peut accepter un travail en sachant que ça ne changera rien à sa facture d’énergie. »

Pour la partie soins de santé, Philippe Defeyt propose de remplacer le statut BIM par un maximum à facturer. « Ce qui est important pour quelqu’un qui a de petits revenus est que, s’il est malade, il ne soit pas noyé dans des dépenses qui l’empêcheraient de vivre normalement », dit-il.

3. Crédit d’impôt ou exonération ?

La troisième piste est fiscale et consiste à remplacer le système de déduction et d’exonération par un système de crédit d’impôt. Pour Philippe Defeyt, on ne résout pas le problème des salaires modestes en augmentant la quotité exonérée d’impôt, car de nombreuses personnes qui travaillent à temps partiel avec des salaires horaires modestes ne paient pas de précompte. Augmenter la quotité exonérée ne change donc rien pour eux. « Ceux qui ont de tout petits revenus n’ont pas la possibilité d’exploiter complètement la quotité exonérée d’impôts. L’idée est donc de transformer cette quotité en crédit d’impôt », distribué à tous.

Avec ces mesures qui ne devraient pas peser énormément sur le budget, on aurait déjà un paysage dégagé, qui permettrait de mieux distinguer l’écart de revenu et de niveau de vie entre celui qui travaille et celui qui ne travaille pas.

Le problème n’est pas complètement réglé pour autant. « Le public le plus difficile à appréhender est celui des mamans seules avec enfants, surtout quand ces personnes ont de faibles compétences », ajoute Philippe Defeyt. Pour inciter les mamans seules avec enfants à sauter le pas, l’économiste estime qu’il faut travailler autrement : augmenter les allocations familiales et avoir des places bon marché en crèche et dans les structures d’accueil extrascolaires pour les enfants plus âgés.

Car si l’on propose un job à 6/10 dans les titres-services, la maman ou le papa isolé n’aura effectivement pas d’intérêt financier à aller travailler, « surtout après la suppression par le gouvernement du tarif social pour les personnes qui travaillent, quels que soient leurs revenus, donc même pour les plus modestes. C’est paradoxal pour un gouvernement qui voulait réduire les pièges à l’emploi, dit Philippe Defeyt. En réduisant le nombre de bénéficiaires du tarif social, cette mesure gouvernementale, au contraire, les renforce significativement ! »

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