La collecte sélective des textiles est désormais obligatoire en Europe. Les acteurs belges du réemploi comme Les Petits Riens, Oxfam ou TERRE asbl font face à une crise sans précédent. Sans aide temporaire immédiate, ces piliers de l’économie sociale pourraient devoir suspendre leurs activités, mettant en péril plus de 800 emplois. Le secteur demande une intervention d’urgence de 206 euros par tonne de textile traité. L’enjeu est à la fois social, environnemental… et politique.
À la veille de la trêve parlementaire, le secteur du réemploi textile en Belgique tire la sonnette d’alarme. Les acteurs historiques que sont Les Petits Riens, TERRE asbl et Oxfam réclament d’urgence une aide financière temporaire de 206 euros par tonne de textile collectée, en attendant l’application structurelle de la directive européenne prévue en 2028. Faute de réponse rapide des autorités régionales, plus de 800 emplois sont directement menacés. Un paradoxe criant pour un secteur qui cumule mission sociale, environnementale et ancrage local.
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Une directive européenne aux effets collatéraux sous-estimés
Depuis le 1er janvier 2025, la directive-cadre européenne sur les déchets impose une collecte sélective des textiles. Une avancée sur le papier, mais un défi de taille sur le terrain. En l’absence d’un dispositif belge de Responsabilité Élargie du Producteur (REP), les coûts de tri, de traitement et d’incinération reposent intégralement sur les structures d’économie sociale. Contrairement à la France ou aux Pays-Bas, déjà dotés d’un mécanisme REP opérationnel, la Belgique accuse un retard structurel, que les acteurs de terrain ne peuvent plus combler seuls.
« Nous ramassons aujourd’hui 20 % des déchets textiles à Bruxelles sans aucun soutien de la Région. Cela ne peut plus durer », alerte Thierry Smets, directeur général des Petits Riens. L’enseigne emblématique, fondée il y a près de 90 ans, est l’un des piliers de l’insertion socioprofessionnelle à Bruxelles. Elle emploie aujourd’hui quelque 500 personnes, dont bon nombre en réinsertion. La menace de licenciements massifs est désormais bien réelle.
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Une équation économique intenable
La crise ne se résume pas à un déficit budgétaire. Elle illustre surtout le coût caché de la fast fashion. La qualité des vêtements collectés chute, les volumes explosent, les débouchés pour la revente ou le recyclage se contractent. Résultat : les entreprises comme TERRE asbl doivent absorber des coûts d’incinération qui dépassent aujourd’hui 1,3 million d’euros par an en Wallonie, avec une hausse de 10 % des tonnages collectés.
Le modèle social basé sur la valorisation de la seconde main, autrefois équilibré, vacille sous le poids d’un marché dérégulé. Sans soutien ciblé, la spirale est inévitable : moins de collecte, plus d’enfouissement, moins d’emplois et une mission de service public abandonnée. Or, ce modèle a prouvé son efficacité sociale et environnementale. Il mérite mieux qu’une lente asphyxie budgétaire.
À Bruxelles comme en Wallonie, l’heure des choix
Ce jeudi 17 juillet, des mesures de soutien pourraient enfin être débattues au sein du gouvernement wallon. Parmi elles : l’exonération de la taxe à l’incinération, une subvention exceptionnelle pour le stockage et un mécanisme de soutien proportionnel au tonnage trié. Du côté de Bruxelles, l’absence de gouvernement régional freine toute avancée concrète.
Mais les acteurs sont clairs : sans aide directe au tonnage, il faudra suspendre les collectes et fermer des postes. « Est-ce normal que ce soient les entreprises sociales qui paient les effets d’une directive européenne ? », interroge Franck Kerckhof, porte-parole de la fédération RESSOURCES. Le coût est connu : 206 euros par tonne. Un montant que le secteur assume de réclamer, chiffres à l’appui, au nom de l’intérêt collectif et du bon sens économique.
Un modèle vertueux à préserver
Derrière les bulles à vêtements et les magasins de seconde main, il y a des femmes et des hommes qui ont fait le choix de l’économie sociale : recycler, trier, revendre, insérer. Un travail de l’ombre qui mérite la reconnaissance des pouvoirs publics. François Malaise, président du groupe TERRE, conclut sans détour : « Nous ne demandons pas l’aumône. Nous réclamons un soutien juste, pour continuer à rendre service à la société. »