Raoul Hedebouw ou Colruyt, qui a raison ?

Raoul Hedebouw, député PTB © Belga

Le président du PTB accuse Colruyt de ne payer que “0,27%” d’impôts. C’est faux, répond Colruyt, chiffres à l’appui. C’est vrai (que c’est faux), mais il y a des mais.

Échange de tirs entre le président du parti travailliste (PTB) Raoul Hedebouw et la chaine de supermarchés Colruyt. En résumé, lors des vœux de son parti, le “grand timonier” a accusé le groupe de Hal de n’avoir payé que 0,27% d’impôts. “Kort door de bocht”, répond ce dernier : une image pour dire que le chiffre est un “raccourci” ou manque de nuance.

Ou la manière polie et diplomate de dire que Raoul Hedebouw se trompe. Mais bon joueur, Colruyt ajoute dans son communiqué que le groupe “apprécie positivement l’engagement en faveur du pouvoir d’achat du consommateur”, sur lequel le discours du président du PTB était effectivement axé.

D’où vient ce chiffre ?

Sur X, Raoul Hedebouw partage un commentaire qui explique le calcul du chiffre. Dans ses résultats, publiquement accessibles comme il s’agit d’une entreprise cotée en bourse, Colruyt indique un “bénéfice pour l’année fiscale avant impôts” de 1,8 milliard d’euros. En dessous, au point “impôts sur le revenu”, il est indiqué 5 millions d’euros – ce qui représente 0,27% du premier chiffre.

Sauf que ce n’est pas comme cela que se calculent les impôts effectivement payés. Hedebouw s’est-il candidement trompé ou a-t-il sciemment agité un chiffre erroné pour susciter l’indignation de ses militants face au “grand méchant capital” ? On ne le saura sans doute jamais.

Les impôts et la comptabilité de Colruyt

Dans sa réponse aux déclarations du PTB, Colruyt indique avoir payé 62,2 millions d’euros d’impôts en 2022-23 dans les différents pays où le groupe opère. Sur un bénéfice consolidé de 250,9 millions d’euros. Soit un impôt de 24,8%. En Belgique, cet impôt sur les sociétés est de 25%, à titre de comparaison. Au Luxembourg, où Colruyt a également des magasins (lire plus bas), il est de 15 et de 17% (selon les seuils). En France, il s’agit de 25%.

Et ce n’est pas tout. Il ajoute avoir payé, en plus de cet impôt particulier, une contribution totale de 974,5 millions d’euros au Trésor belge. Cela représente 46,8% de la valeur ajoutée nette générée par Colruyt en Belgique. Il y a notamment les différents précomptes (im)mobiliers et professionnels et autres contributions sociales, tout comme des droits de douane et accises qui entrent dans cette catégorie.

Nuance : pour certaines parties de cette catégorie, il s’agit d’un impôt “indirect” pour Colruyt (qui n’est pas pris sur un bénéfice mais fait plutôt partie d’une dépense) : c’est une part du salaire des travailleurs qui va à l’Etat. Est-ce Colruyt ou le travailleur qui le “paie” : c’est une question de point de vue. Mais, en créant de l’emploi (28.000 salariés belges), Colruyt remplit aussi les poches de l’Etat.

Pareil pour les 300 millions d’euros de TVA (en net) versés à l’Etat : ils passent en fait de la poche du client à celle de l’Etat, et ce n’est pas un revenu pour Colruyt. Mais c’est en créant une offre, avec ses magasins, que Colruyt alimente les comptes de l’Etat, pourrait-on argumenter… C’est une question plutôt philosophique.

Structure en société mère et filiales (luxembourgeoises)

Mais que vaut ce chiffre de 1,8 milliard d’euros ? “Le bénéfice de 1,8 milliard de Colruyt Group provient des dividendes (la partie du bénéfice versée aux actionnaires) des filiales et de la vente d’actions”, explique Luc De Broe, professeur en droit fiscal à la KULeuven, à nos confères de Knack. “Ces dividendes ne peuvent pas être imposés une deuxième fois. Ces bénéfices sont déjà imposés dans les filiales”, ajoute-t-il.

“La déclaration de Hedebouw est une tromperie scandaleuse”, en déduit-il. “Il ne prend en compte qu’une seule entreprise, la société mère, et ne s’intéresse qu’aux bénéfices et aux impôts qui s’y rapportent.”

Ce chiffre d’1,8 milliard d’euros n’est, en plus, pas que du cash qui tombe dans la poche de Colruyt. C’est aussi un bénéfice qui n’existe que sur le papier, via un transfert de valeurs (biens immobiliers, parts, etc.) entre les différentes filiales et/ou vers la société mère. En 2023, il y a eu de nombreux transferts internes, pour faciliter l’organisation, rappelle L’Echo. Mais cela peut sembler opaque, certes.

Les fiscalistes Dave Goyvaerts et Annelies Roggeman de l’UGent expliquent à Knack que la majorité de ce bénéfice vient en fait du Grand-Duché du Luxembourg, où les impôts sont moins élevés qu’en Belgique : “Les états financiers et le rapport annuel montrent que l’essentiel du bénéfice de l’exercice provient d’un dividende de plus de 1,6 milliard d’euros que la société holding mère a reçu ponctuellement de sa filiale luxembourgeoise Colruyt Gestion, vraisemblablement à la suite d’une réorganisation intragroupe.” Il s’agit d’une holding qui a des parts dans tous les magasins et qui détient une centrale d’achats et une compagnie de réassurance.

Un montage fiscal qui permet d’optimiser les impôts, donc. Mais cela n’a rien d’illégal et n’empêche pas que Colruyt contribue au Trésor belge à hauteur de nombreux millions d’euros.

Colruyt et la “femme de ménage”

En donnant l’exemple des “0,27%” d’impôts, Hedebouw voulait souligner qu’une “femme de ménage paie plus d’impôts qu’une multinationale”. Cela n’est pas entièrement vrai non plus, ni entièrement faux. Comme dit plus haut, une entreprise doit payer 25% d’impôt sur les sociétés en Belgique, qu’elle soit multinationale ou pas (même s’il existe des moyens pour transférer des bénéfices réels dans des paradis fiscaux, d’où l’appel pour un impôt minimal de 15% partout dans le monde). Les bas salaires ne paient eux aussi que 25% d’impôts sur leur salaire. Moins la somme exonérée, qui plus est, donc il ne s’agit pas de 25% d’impôt total sur ce salaire.

Mais avec différentes hausses de salaires ayant eu lieu dernièrement, une personne peut vite basculer dans une catégorie supérieure et effectivement être taxée à 35% sur son salaire (sur la part qui dépasse le seuil). On paie alors effectivement plus d’impôts, de manière relative, qu’une entreprise belge et qu’une multinationale – du moins en partie. Un demi-point pour Raoul Hedebouw, donc.

La taxation belge des salaires fait légion. De nombreuses études la placent régulièrement à la première ou à la deuxième place du monde et de l’Europe. La droite comme la gauche s’en plaignent, mais la dernière réforme visant à revoir les différents seuils a échoué.

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