L’idée d’une taxe douanière sur les petits colis en provenance de Chine n’inspire pas que les négociateurs budgétaires belges. On le sait depuis mai, la Commission Européenne planche sur un projet – et un montant – identique à l’échelle de l’Union. Encore faut-il que cet outil soit efficace, alors qu’Alibaba vient de renoncer à son extension dans Liège Airport.
Il y a quelques jours, on apprenait par ailleurs que le projet de loi de finance préparé par le fragile gouvernement Lecornu prévoit lui aussi sa propre taxe sur les colis en provenance d’entreprises installées en dehors de l’Union. Au lieu, comme l’envisage la Belgique et l’UE, d’un prélèvement unique de deux euros pour tout colis de moins de 150 euros livrés directement chez le consommateur, ce même montant s’appliquerait à chacun des articles qu’il contient. De quoi rapporter 1,6 milliard d’euros au budget hexagonal, d’après les prévisions.
Effet US immédiat
Aux Etats-Unis, la suppression de l’exemption « de minimis » qui exemptait de droit les colis inférieurs à 800 dollars a été brutalement remplacée par une taxe douanière. Fixée à 120% au pire de la bataille commerciale avec la Chine, elle est ensuite redescendue à 54%. Mais les effets furent immédiats. En mai, Temu annonçait ainsi cesser l’expédition directe de colis de Chine vers les consommateurs américains, et passer la main à des revendeurs locaux inscrits sur sa plateforme.
De fait, d’après le consultant Tech Buzz China cité par CNBC, un droit de douane de 50 % serait le seuil à partir duquel le hard discounter digital perdrait la plupart de ses avantages en termes de prix, menaçant dès lors sa présence sur le marché US.
2 euros : suffisant ?

Qu’en est-il chez nous ? Le projet belge doit permettre de financer un contrôle renforcé aux frontières de produits décriés pour leur piètre qualité, voire leur dangerosité. Mais un prix légèrement rehaussé suffira-t-il à juguler les comportements compulsifs des afficionados de Shein et autres Temu ? D’après le site spécialisé modernretail, en Europe, le panier Temu moyen avoisine les 27 euros, contre 31 euros pour Shein. Avec deux euros de surtaxe, on est donc très loin des 50% appliqués par les Etats-Unis.
Pour autant, si la taxe ne détruira pas forcément le business des plateformes en Europe, elle est de nature à refroidir sérieusement les ardeurs. Valentine Dreyfuss, consultante spécialisée en pricing, qui conseille notamment les enseignes But, Conforama ou Hageba, en est convaincue. « Les plateformes en ligne consacrent énormément de moyens à fluidifier au maximum le parcours d’achat. L’effet déceptif d’une taxe ajoutée à l’étiquette prix en fin de parcours est de nature à tuer la transaction », explique-t-elle. De fait, une récente étude du consultant Baymard Institute révèle que l’ajout de frais et autres redevances sont, et de loin, le premier motif d’abandon.
L’experte ne s’attend pas non plus à voir les clients regrouper leurs achats pour diminuer l’impact car « dans ce cas de figure, c’est la facilité et l’amour du prix bas qui favorise la récurrence et l’impulsivité ».
Par ailleurs, une taxe par article plutôt que par colis sera forcément dissuasive pour les petits produits. Mais pour les plus gros, tout dépendra des obligations d’affichage. « L’enjeu sera de voir si les marchands pourront intégrer l’augmentation dans les prix de départ », précise encore Valentine Dreyfuss.
Parades
Pour conserver leur marché, les géants de la distribution en ligne pourraient être amenés à déplacer une partie de leurs opérations en Europe. De quoi dispatcher leurs colis au plus près de consommateurs sur la fidélité desquels ils ne peuvent pas vraiment compter.
« Une augmentation de prix de biens non indispensables, comme ceux qu’on trouve sur Shein ou Temu, a pour effet sur le client de différer ou abandonner l’achat ou de rechercher des options alternatives », poursuit Valentine Dreyfuss. « C’est encore plus vrai en ligne où pullulent les comparateurs et où il est très compliqué de créer un attachement de marque ». On comprend mieux pourquoi Shein cherche aujourd’hui à implanter ses boutiques dans les centre-villes.
Par Philippe Beco.